Les résidus constituant la triade catalytique peuvent être très éloignés les uns des autres le long de la séquence peptidique (structure primaire) des enzymes considérées, mais se retrouver à proximité les uns des autres en raison du repliement des polypeptides en une structure tertiaire tridimensionnelle complexe.
Les triades catalytiques constituent l'un des meilleurs exemples de convergence évolutive : la nature même des réactions chimiques catalysées ont conduit de façon indépendante aux mêmes types de sites actifs à partir d'au moins 23 superfamilles distinctes[3]. Leur mécanisme réactionnel est par conséquent l'un des mieux compris de toute la biochimie[4].
Les principaux nucléophiles enzymatiques sont l'hydroxyle OH du groupe alcool de la sérine et le sulfhydryle SH du groupe thiol ou de l'ionthiolate S− de la cystéine. Inclure ces nucléophiles dans une triade catalytique accroît leur activité. Quelques peptidases utilisent l'alcool secondaire de la thréonine ; cependant, en raison de la présence d'un groupe méthyle supplémentaire, ces peptidases utilisent l'amideN-terminale comme base plutôt qu'un autre résidu d'acide aminé[3],[5].
Base
Aucun acide aminé naturel n'étant suffisamment nucléophile pour catalyser seul les réactions chimiques en question, les triades catalytiques font intervenir une base qui polarise et déprotone le nucléophile afin d'accroître sa réactivité. Cette base déprotone également le premier produit de réaction pour favoriser l'élimination du groupe partant.
C'est généralement un résidu d'histidine qui joue le rôle de base dans les triades catalytiques, étant donné que son pKa permet à la fois une catalyse efficace, la formation d'une liaison hydrogène avec le résidu d'acide, et la déprotonation du résidu nucléophile. Les β-lactamases de type TEM-1 utilisent quant à elles un résidu de lysine. La valeur très élevée du pKa de la lysine — voisine de 11 — est compensée par un résidu de glutamate et plusieurs autres résidus, qui agissent pour stabiliser sa forme déprotonée pendant le cycle catalytique[6]. Afin de limiter l'encombrement stérique, les protéases à thréonine utilisent leur amideN-terminale comme base afin d'accroître la réactivité catalytique du résidu de thréonine[7],[8].
Acide
Le résiduacide agit en alignant et en polarisant le résidu basique. Il s'agit généralement d'un résidu d'aspartate ou de glutamate. Certaines enzymes se contentent en fait d'une « dyade catalytique » dans la mesure où la composante acide peut n'être pas nécessaire à certaines protéases à cystéine. Ainsi, la papaïne utilise l'asparagine comme troisième membre de la triade, celle-ci ne pouvant en aucun cas agir comme acide mais simplement orienter convenablement l'histidine pour la réaction. De la même façon, la peptidase du virus de l'hépatite A contient une molécule d'eau là où devrait se trouver le résidu acide. Enfin, les peptidases de cytomégalovirus utilisent deux résidus d'histidine contigus, l'un agissant comme base et l'autre à la place normalement occupée par un résidu acide[3] ; n'étant pas acide, mais au contraire basique, ce second résidu d'histidine conduit à une efficacité catalytique inférieure pour cette enzyme.
La chymotrypsine se lie à son substrat au niveau d'une boucle contenant un grand résiduhydrophobe.
L'aspartate forme une liaison hydrogène avec l'histidine, ce qui fait passer de 7 à près de 12 le pKa de l'atome d'azote du cycleimidazole. Ceci permet à l'histidine d'agir comme une base forte et de déprotoner la sérine.
L'histidine donne ensuite son proton à l'atome d'azote du carbone α. L'azote et le fragment peptidiqueC-terminal sont éliminés par diffusion.
Une molécule d'eau donne alors un proton à l'histidine et l'hydroxyle –OH restant attaque l'atome de carbone du carbonyle, formant un autre intermédiaire tétraédrique. L'hydroxyle est un moins bon nucléofuge que le fragment peptidique C-terminal de sorte que c'est la sérine qui est éliminée en récupérant un proton de l'histidine.
Le fragment peptidique N-terminal est éliminé par diffusion.
Plusieurs familles de protéases à cystéine utilisent cette combinaison d'acides aminés comme triade catalytique, par exemple la protéase TEV et la papaïne. Cette triade à cystéine agit comme celle des protéases à sérine mais avec cependant quelques différences notables. En particulier, le rôle de l'aspartate dans la triade de la papaïne n'est pas clair et plusieurs protéases à cystéine utilisent en réalité une dyade catalytique, comme la peptidase du virus de l'hépatite A.
Ser-His-His
La triade catalytique de la peptidase du cytomégalovirus utilise deux résidus d'histidine contigus à l'emplacement de la base et de l'acide. Retirer l'histidine « acide » conduit à une activité seulement dix fois moindre, alors que le retrait du résidu d'aspartate de la chymotrypsine conduit à une activité 10 000 fois moindre. Cette triade particulière a été interprétée comme une possible manière de produire une enzyme à l'activité réduite afin de contrôler le taux de clivage[5].
Notes et références
↑(en) Jason Phan, Alexander Zdanov, Artem G. Evdokimov, Joseph E. Tropea, Howard K. Peters III, Rachel B. Kapust, Mi Li, Alexander Wlodawer et David S. Waugh, « Structural Basis for the Substrate Specificity of Tobacco Etch Virus Protease », Journal of Biological Chemistry, vol. 277, no 52, , p. 50564-50572 (PMID12377789, DOI10.1074/jbc.M207224200, lire en ligne)
↑(en) Andrew R. Buller et Craig A. Townsend, « Intrinsic evolutionary constraints on protease structure, enzyme acylation, and the identity of the catalytic triad », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 110, no 8, , E653-E661 (PMID23382230, PMCID3581919, DOI10.1073/pnas.1221050110, lire en ligne)
↑ a et b(en) Özlem Doğan Ekici, Mark Paetzel et Ross E. Dalbey, « Unconventional serine proteases: Variations on the catalytic Ser/His/Asp triad configuration », Protein Science, vol. 17, no 12, , p. 2023-2037 (PMID18824507, PMCID2590910, DOI10.1110/ps.035436.108, lire en ligne)
↑(en) C. Damblon, X. Raquet, L. Y Lian, J. Lamotte-Brasseur, E. Fonze, P. Charlier, G. C Roberts et J. M Frère, « The catalytic mechanism of beta-lactamases: NMR titration of an active-site lysine residue of the TEM-1 enzyme », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 93, no 5, , p. 1747-1752 (PMID8700829, PMCID39852)
↑(en) James A. Brannigan, Guy Dodson, Helen J. Duggleby, Peter C. E. Moody, Janet L. Smith, Diana R. Tomchick et Alexey G. Murzin, « A protein catalytic framework with an N-terminal nucleophile is capable of self-activation », Nature, vol. 378, no 6555, , p. 416-419 (PMID7477383, DOI10.1038/378416a0, lire en ligne)
↑(en) Hua Cheng et Nick V. Grishin, « DOM-fold: A structure with crossing loops found in DmpA, ornithine acetyltransferase, and molybdenum cofactor-binding domain », Protein Science, vol. 14, no 7, , p. 1902-1910 (PMID15937278, PMCID2253344, DOI10.1110/ps.051364905, lire en ligne)