La notion de rupture épistémologique, forgée par Gaston Bachelard[1] dans son ouvrage La Formation de l'esprit scientifique, fait référence à un changement fondamental dans la manière dont la connaissance est construite et comprise dans une discipline particulière. La rupture épistémologique suppose un passage radical d'un paradigme à un autre, dans la façon dont les scientifiques abordent, pensent et comprennent un domaine donné.
Sciences et techniques
Accéder à la science, selon Gaston Bachelard, ce serait accepter de contredire le passé, quand elle se fondait sur « l'expérience première[2] ». La sphère des opinions et des convictions serait alors une barrière qui ne permet pas d'atteindre l'objectivité recherchée par les démarches scientifiques.
Toujours selon Bachelard : « Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser »[2].
Ce qui devrait conduire à une attitude de vigilance épistémologique : « L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement[2]. »
La psychanalyse aurait, par exemple, opéré une rupture épistémologique avec les conceptions (ou définitions courantes) qui la précédaient[3].
Rompre avec l'expérience première pour pouvoir accéder à un fondement solide d'une science[réf. nécessaire], c'est ce que veut souligner Pierre Bourdieu lorsqu'il affirme : « Le fait se conquiert contre l'illusion du savoir immédiat[5]. »
Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron et Jean-Claude Chamboredon donnent un exemple de la rupture nécessaire avec les « notions communes » pour approcher d'une vraie science (et dans ce cas de « statistiques exactes ») avec ce qui fut appelé le « cas du soldat américain » (un ensemble de présupposés au sujet de l'intégration des hommes dans la vie militaire durant la seconde guerre mondiale qui furent tous contredits de manière flagrante par les résultats réels)[6]. Les quatre « notions communes » de l'époque qui furent démenties par les faits étaient :
les intellectuels sont sujets à des déséquilibres psychologiques plus fréquents ou plus importants que les personnes ayant un faible niveau d'instruction ;
dans l'armée, les personnes qui vivaient à la campagne ont un meilleur moral que celles qui vivaient en ville, car elles sont habituées à une vie plus dure ;
les soldats du sud des États-Unis endurent plus facilement les grosses chaleurs et seront plus résistants dans les îles du Pacifique ;
par manque d’ambition, les Noirs deviennent moins souvent sous-officiers que les Blancs.
↑Louis Althusser et Étienne Balibar (avant-propos), Pour Marx, Paris, La Découverte, coll. « Découverte/Poche / Sciences humaines et sociales » (no 16), , 273 p. (ISBN978-2-7071-4714-1, OCLC827598833)
↑Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron et Jean-Claude Chamboredon, Le Métier de sociologue : préalables épistémologiques, Berlin/New-York/Paris, Mouton, Bordas, , 357 p. (ISBN3-11-017429-4)
↑Paul Lazarsfeld, The American Soldier
Bourdieu P., Passeron J.-C., Chamboredon J.-C., Le métier de sociologue, Mouton, Bordas, 1968, p. 141. La rupture épistémologique