Il faut préciser que comme la plus grande partie des hommes et des institutions de cette époque romaine, la réalité de son existence historique et de ses actions nous échappent, nos sources lacunaires présentant par ailleurs des récits et des traditions considérablement réécrits et déformés.
La place exacte du légendaire Publius Valerius Publicola n'est cependant plus discutable, contrairement à celles de Brutus, Collatin et Lucretius, après la découverte d'une inscription sur un bloc de tuf (le lapis Satricanus) réutilisé dans les fondations réalisées pour la reconstruction du temple de Mater Matuta de Satricum vers 480 av. J.-C.[3]. Y sont mentionnés un homonyme qui était de surcroît contemporain, Poplioso Valesioso (Publius Valerius) et ses hommes de main, suodales, qui offrent une dédicace à Mars. Les spécialistes qui ont étudié la paléographie de ce texte le datent autour de 500 av. J.-C.[4]
Selon Plutarque, sous la tyrannie, il s'acharne à défendre la justice et à aider ceux qui en ont besoin, usant de son éloquence et de sa richesse[5]. Denys d'Halicarnasse le décrit comme un « homme d'action et prudent[6] » ou encore comme « un homme estimable tant en louange qu’admirable pour beaucoup d'autres qualités, mais particulièrement pour sa manière sobre de vie[7] »
Publius Valerius laisse Lucius Junius Brutus prendre le commandement de la République naissante, mais est indigné qu'il ne soit pas choisi comme collègue lorsque l'on décide que deux hommes gouverneront la ville, et non un[5]. Lucius Tarquinius Collatinus est élu comme collègue de Lucius Junius Brutus[13]. Il se retire de la vie publique, indigné qu'on puisse croire qu'il aspire à la royauté, mais il est le premier à jurer qu'il ne ferait rien en faveur des Tarquins et qu’il les combattrait de toutes ses forces pour le maintien de la liberté[14].
Quelque temps plus tard, des ambassadeurs des Tarquins veulent s'adresser au peuple pour tenter de le séduire. Les consuls, Brutus et Collatin, ne contestent pas, mais Publius Valerius s'y oppose, de peur que le peuple, craignant plus les méfaits de la guerre à ceux de la tyrannie, abandonne la liberté pour la paix[14].
Selon Plutarque et Denys d'Halicarnasse, Collatin n'abdique pas tout de suite. Des ambassadeurs de Tarquin, sous quelques obscurs prétextes de restitution de fortune, restent à Rome plus que de raison et corrompent certaines familles de sénateurs dans le but de rendre à Tarquin son trône[16],[17]. Publius Valerius, dont la porte est ouverte à tous, a vent du complot visant à mettre à mort les consuls[18], car l'esclave témoin a peur de la réaction des deux consuls qui ont des parents dans la conspiration[19]. Il confond les conjurés, dont les fils de Brutus qui sont mis à mort par leur père lui-même[20],[21]. Mais l'autre consul, Collatin, laisse les autres conjurés libres de préparer leur défense, et s'oppose vivement à Valerius selon Plutarque[22], à Brutus selon Denys d'Halicarnasse[23].
D'après Plutarque, Lucius Junius Brutus met fin à la discorde et tous les conjurés sont mis à mort. Lucius Tarquinius Collatinus, dont le nom est odieux au peuple, et dont les derniers événements l'ont rendu peu populaire, choisit d'abdiquer de son consulat et de partir en exil[22].
Selon Denys d'Halicarnasse, Brutus accuse son collègue Collatin d'être du côté des tyrans, les Tarquins, et souhaite que le peuple vote pour la condamnation à mort des conjurés, malgré l'opposition de Collatin, et le peuple est furieux contre ce dernier[24]. Alors Spurius Lucretius Tricipitinus demande la permission d'intervenir devant le peuple, une première pour un citoyen privé, et convainc Collatin de s'exiler et Brutus de laisser noblement partir son collègue. Le premier accepte de quitter la ville et s'exile à Lavinium tandis que le second, pour le remercier, fait voter un don pour l'exilé auquel il participe[7].
Tite-Live, quant à lui, signale la conspiration pour tuer les consuls après l'exil de Collatin, et vise donc Brutus et Valerius[25]. Ces derniers sont mis au courant[26], et les conjurés, dont les enfants de Brutus, sont mis à mort, et l'esclave est récompensé par l'octroi de la citoyenneté[27],[28],[29].
ils complètent le sénat décimé par Tarquin le Superbe en élevant des plébéiens au patriciat qui deviennent ainsi membres de l'assemblée, de nouveau composée de 300 sénateurs ;
ils partagent les biens du tyran entre tous les citoyens romains ;
ils divisent les terres de l'ancien roi et les distribuent à ceux qui ne possèdent rien, tout en réservant le Champ de Mars aux entraînements militaires.
Ils accordent aussi une chance à tous les exilés qui ont suivi les Tarquins de revenir à Rome en toute impunité et sous une amnistie générale jusqu'à une date limite. Ensuite, s'ils ne sont pas revenus, ils accaparent leurs biens[28].
La bataille tourne au massacre pour les deux camps lorsqu'un orage éclate, les armées de Tarquin et Valerius doivent arrêter momentanément les combats, persuadés, au vu des pertes, qu'elles ont été vaincues. On dit qu'alors une voix d'une divinité s'élève pour dire que les Toscans ont perdu un homme de plus que les Romains, les hommes de Publius Valerius reprennent courage et prennent le camp ennemi. Près de 23 000 soldats seraient morts, autant d'un camp que de l'autre[32],[33].
Publius Valerius obtient le droit de triompher, rend les honneurs à son collègue défunt, et prononce son oraison funéraire[29],[32],[34],[35].
Détruit sa villa au nom du peuple romain
Toujours selon la légende, après avoir été glorifié par le peuple, Publius Valerius est haï, en proie à des « soupçons et des accusations odieuses[36] ». Il n'a en effet pas encore ordonné d'élection pour se donner un collègue (Aurelius Victor parle du non-remplacement du suffect de Brutus, Spurius Lucretius Tricipitinus, alors que les autres auteurs parlent du non remplacement de Brutus), s'attribuant ainsi l'autorité suprême, et se fait construire une somptueuse villa imprenable[34],[37],[38]. Il se comporte en tout point comme un roi[39].
Blessé par ces accusations, Publius Valerius détruit en une nuit sa villa, dormant maintenant chez des amis, n'ayant plus de toit[38],[39]. Il se présente devant le peuple, et réfute une à une les accusations portées contre lui, et une fois son discours terminé, fait édifier sa maison à l'endroit le plus bas de la ville, là où se situera plus tard le temple de la Victoire[34],[39].
Denys d'Halicarnasse ajoute qu'il aurait dès ce moment-là choisi un nouveau collègue, Spurius Lucretius Tricipitinus, mais qui meurt peu après, et ensuite Marcus Horatius Pulvillus. Seulement après, il aurait fait détruire puis reconstruire sa villa au plus bas de la ville et il aurait instauré le fait qu'un consul à l'intérieur de la ville soit entouré de licteurs ne portant que des baguettes et non des haches, comme hors des murs[37].
On lui attribue son surnom, Publicola
Il dépose ses faisceaux aux pieds du peuple[38], reconnaissant et honorant ainsi la souveraineté suprême du peuple, et ainsi il recouvre la confiance entière du peuple[34], et reçoit alors le surnom du Publicola, selon Plutarque[39], alors que Tite-Live et Aurelius Victor écrivent qu'il reçoit ce surnom après une série de lois favorables au peuple.
Profitant de sa popularité retrouvée, et de l'autorité suprême, il fait voter plusieurs lois avant de se donner un collègue, pour en garder le seul mérite :
droit de tuer tout homme qui aspirerait à la tyrannie et impunité pour l'auteur du meurtre[46] : Lex Valeria condamnant la tyrannie (Lex Valeria de sacrando) ;
tous ceux qui transgressent la loi sont déclarés sacer[37] et impunité pour leur meurtrier[37] ;
Elle n'a toujours pas eu lieu[40],[47]. Selon Tite-Live, Marcus Horatius Pulvillus a l'honneur, par le tirage au sort, de le dédier, tandis que Publius Valerius Publicola prend la tête des armées pour faire face aux Véiens[40],[48]. Selon Plutarque, nombre de sénateurs souhaitent que cela soit quelqu'un d'autre que Valerius qui le dédie. Alors on fait voter au peuple que le temple soit dédié par Marcus Horatius Pulvillus, alors que Publius Valerius Publicola est en campagne[49]. Selon les deux auteurs, la famille de Publicola, notamment son frère, Marcus Valerius Volusus Maximus (futur consul), tente par tous les moyens d'empêcher cette dédicace jusqu'à ce que Publius Valerius revienne, faisant croire que le fils de Marcus Horatius Pulvillus est mort, mais le consul ne s'en trouble point et continue la dédicace[40],[48],[49].
Selon Aurelius Victor, Publius Valerius Publicola obtint trois triomphes, dont le premier contre les Véiens, vraisemblablement après cette campagne[38].
Tarquin le Superbe, après sa défaite à la bataille où Brutus et son fils se sont entretués, se réfugie auprès de Porsenna, un roi étrusque de Clusium, très puissant, qui promet à l'exilé son aide. Il envoie à Rome des ambassadeurs pour les sommer de recevoir leur roi, et, devant leur refus, marche sur Rome[51],[52].
Publius Valerius Publicola, bien qu'absent, est élu au consulat avec Titus Lucretius Tricipitinus[40],[52]. Selon Denys d'Halicarnasse, rien de notable ne se produit durant cette année, excepté qu'un recensement est effectué et les taxes de guerre sont à nouveau prélevées[53].
Dès son retour à Rome après son élection pour la deuxième[52] (peu vraisemblable) ou troisième fois au consulat[54], il installe une colonie avec 700 hommes face au roi étrusque, mais ce dernier avance si vivement qu'il défait cette colonie et les pousse à la fuite[55].
La bataille s'engage, et les deux armées rivalisent de courage et d'agressivité, les Romains plus expérimentés tenant tête aux Étrusques plus nombreux, jusqu'à ce que les deux consuls soient blessés et ramenés dans la ville, et l'armée romaine s'enfuit par le pont Sublicius et regagne la ville, malgré l'avantage pris à l'aile droite sur les corps dirigés par les Tarquins[56].
Quelque temps plus tard, Porsenna décide de retourner à Clusium et abandonne le siège de Rome, dit-on impressionné par la vaillance de ces derniers (héroïsme de Caius Mucius Scaevola[64],[65] et bientôt l'exploit de Clélie[66],[67]).
Selon Denys d'Halicarnasse et Plutarque, Publius Valerius Publicola ne refuse pas de prendre comme juge le roi de Clusium entre les Romains et Tarquin[68], mais ce dernier ne veut pas de juge, encore moins le roi étrusque[69]. Porsenna, mécontent de l'attitude de l'ancien tyran[70], qui aurait aussi tenté d'attaquer les ambassadeurs sacrés romains[71], accepte la paix avec Rome, signe des traités d'amitié, et se retire[72],[73].
Aurelius Victor parle d'un triomphe de Publius Valerius face aux Sabins[38], il s'agit sûrement d'une confusion avec son frère, bien que Publius Valerius Publicola supervise tout selon Plutarque[75].
Comme le souligne Tite-Live et surtout Denys d'Halicarnasse, il décède si riche en gloire, mais sans fortune, que ses funérailles doivent être faites aux dépens de l'État, et les dames romaines prennent le deuil pour lui comme pour Brutus[38],[80],[81],[82].
« Cet homme, bien qu'il fût l'un des quatre premiers patriciens qui expulsèrent les rois et confisquèrent leurs fortunes, bien qu'il fût investi quatre fois de la puissance consulaire, qu’il fût victorieux dans deux guerres avec les meilleures conséquences et qu’il célébrât le triomphe les deux fois [...] et bien qu'il eût de telles occasions pour accumuler des richesses [...] il ne fut néanmoins pas surmonté par l’avarice, le vice qui asservit tous les hommes et toutes les forces à agir bassement ; mais il continua à vivre sur le petit domaine qu'il avait hérité de ses ancêtres, menant une vie supérieure de sang-froid et de frugalité à chaque désir, et avec peu de moyens il éleva ses enfants d'une manière digne de leurs naissances, faisant comprendre à tous les hommes qu'il est riche, non qu'il possède beaucoup de choses, mais qu'il exige peu. »
Il a un frère, Marcus Valerius Volusus Maximus[55],[84], consul en 505 av. J.-C., qui reçoit les honneurs du triomphe la même année pour avoir vaincu les Sabins[74],[75]. Selon Plutarque, dans la Vie de Coriolan, il a aussi une sœur qui lui survit : alors que Coriolan marche sur Rome en 488 av. J.-C., les femmes se répandent dans tous les temples de la ville et Valeria, la sœur de Publicola, qui, par l'éclat de sa vertu, relève encore celui de sa naissance, jouit de l'estime et de la considération de toute la ville, aurait été frappée d'une inspiration divine : elle se rend chez la mère de Coriolan la convainc, ainsi que sa belle-fille, de venir avec toutes les femmes aux devants de l'armée de Coriolan et de le faire céder[85].
↑Catherine Virlouvet (dir.) et Stéphane Bourdin, Rome, naissance d'un empire : De Romulus à Pompée 753-70 av. J.-C, Paris, Éditions Belin, coll. « Mondes anciens », , 796 p. (ISBN978-2-7011-6495-3), chap. 3 (« La mise en place de la République »), p. 94.
(en) T. Robert S. Broughton (The American Philological Association), The Magistrates of the Roman Republic : Volume I, 509 B.C. - 100 B.C., New York, Press of Case Western Reserve University (Leveland, Ohio), coll. « Philological Monographs, number XV, volume I », , 578 p.
Anne Pallud, « Publius Valerius Publicola : ami du peuple et fondateur d'une république oligarchique », Hypothèses, no 5, , p. 217-224 (lire en ligne)