Militante de la cause noire avec sa sœur Jeanne, elle est une des inspiratrices du courant littéraire de la négritude et la première femme noire à étudier à la Sorbonne.
Biographie
Jeunesse en Martinique
Paulette Nardal[2] naît au François en Martinique le 12 octobre 1896 dans une famille de la nouvelle bourgeoisie noire de l'île[3]. Son arrière-grand-mère Sidonie Nardal est née esclave[4]. Aînée de sept sœurs qui suivront toutes de longues études, elle est la fille de Paul Nardal[3] et de Louise Achille, une femme métisse institutrice[4]. Les filles sont élevées dans une culture dite « latine », étudiant les humanités, l'histoire de l'art occidental et la musique[5].
Son père, Paul Nardal, est le premier Noir à décrocher une bourse pour l’École des arts et métiers à Paris, puis le premier ingénieur noir en travaux publics, actif pendant 45 années au Service colonial des Travaux Publics. Il supervise les travaux du réservoir de l’Évêché, du pont Absalon à Fort-de-France ainsi qu’une partie de l’église de Ducos, partiellement détruite en 1903 par un cyclone. Enseignant en mathématiques et en physique, il forme plusieurs générations d’ingénieurs martiniquais. Il recevra les Palmes académiques et la Légion d’honneur et son nom est donné à une rue de la ville-préfecture[6]. Louise Achille, mère de Paulette, est née le dans une famille de mulâtres[5]. Elle est impliquée dans les sociétés mutualistes telles que la Société des Dames de Saint–Louis, qui vient en aide aux femmes de 18 à 50 ans et à leurs enfants, mais également en faveur des personnes âgées à l’asile des vieillards de Bethléem, ainsi qu'à l'Ouvroir, institution destinée à accueillir de jeunes orphelines désargentées ou encore à l’orphelinat de La Ruche[6].
Paulette Nardal devient institutrice avant de décider, à l'âge de 24 ans, de rejoindre la France métropolitaine pour poursuivre ses études de lettres[7].
Vie parisienne
Études à la Sorbonne
Elle arrive à Paris en 1920 et y entreprend des études d'anglais[5]. Elle et sa sœur Jeanne, qui étudie la littérature, sont les premières étudiantes noires à s'inscrire à la Sorbonne[5],[8], à une époque où peu de femmes et de Noirs avaient accès à cette institution. Elle y soutient sa thèse sur l'écrivaine et abolitionniste américaine Harriet Beecher Stowe, auteure en 1852 de La Case de l'oncle Tom[6].
À Paris, elle profite de la vie culturelle de la capitale. Elle va au théâtre, assiste à des concerts, visite des expositions... Elle fréquente le Bal Nègre. C’est l’un des rares endroits où la jeune femme peut retrouver ses repères culturels[9]. Elle assiste là aux revues de la cantatrice Marian Anderson et de Joséphine Baker qui la font s'éveiller à ce que sa sœur appelle la « conscience noire »[5].
Le salon littéraire
Paulette Nardal tient un salon littéraire dans l'appartement qu'elle partage au 7 rue Hébert[10] avec ses deux sœurs à Clamart[11]. Elle cherche à mettre en relation les diasporas noires[11]. Elle aborde la question de l’émancipation des femmes et pose les prémices de la théorie de la Négritude[12]. Dans son salon littéraire se croiseront des écrivains célèbres tels que Léopold Senghor, Aimé Césaire qui feront part de leur expérience d'étudiants en métropole, Jean Price Mars de passage dans la capitale, Léon-Gontran Damas, René Maran qui racontera les péripéties rencontrées avec son livre Batouala, et d'autres venus d'Afrique, de Haïti et de New York, notamment ceux de la Harlem Renaissance comme Claude McKay[5]. En 1928, elle rejoint la Dépêche africaine, une revue panafricaniste[5].
Paulette Nardal fonde en 1931 avec les écrivains haïtien Léo Sajous et guyanais René MaranLa Revue du Monde Noir, qui est éditée en français et anglais[7]. Son objectif affiché est de « créer entre les Noirs du monde entier, sans distinction de nationalité, un lien intellectuel et moral qui leur permette de mieux se connaître, de s’aimer fraternellement, de défendre plus efficacement leurs intérêts collectifs et d’illustrer leur race[7]. » La revue cesse de paraître en 1932, après seulement six numéros à cause de contraintes économiques[7]. Ses sœurs Jeanne et Andrée étaient aussi des contributrices de la revue, tout comme leur cousin germain Louis–Thomas Achille[6]. D'autres écrivains vont reprendre le flambeau de ce courant littéraire de la Négritude, tels que Césaire ou Senghor, notamment avec la revue L'Étudiant noir, tout en omettant largement de donner crédit à Paulette Nardal qui écrira : « Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avons brandies et les ont exprimées avec beaucoup plus d’étincelles, nous n’étions que des femmes ! Nous avons balisé les pistes pour les hommes »[13],[10].
Militante politique
Catholique fervente, Paulette Nardal est opposée au communisme, présent en Martinique dès cette période et à l’influence duquel elle attribuera, s'ajoutant à la misogynie, sa progressive mise à l'écart du mouvement de la négritude ; très attachée à la France, elle défend une pleine intégration de l’île dans le cadre de l’empire colonial français d’alors et déclare dans un texte de 1932 « trouv[er] stupide l’idée de l’indépendance des Antilles »[5].
En 1939, alors qu'elle rentre de Martinique en bateau peu après le déclenchement de la Guerre, un sous-marin allemand torpille le navire SS Bretagne sur lequel elle voyage et le coule. Elle est sauvée de la noyade par une chaloupe de sauvetage mais se brise les deux rotules[14]. Elle passe 11 mois à l’hôpital de Plymouth et restera handicapée pour le reste de ses jours[6]. Durant la période vichyste, elle retourne en Martinique et donne clandestinement des cours d’anglais à des jeunes Martiniquais désireux de rejoindre la France libre via la Dominique[15]. Elle ouvre un nouveau salon littéraire[6].
À la suite de l'ordonnance du qui accorde le droit de vote aux femmes, Paulette Nardal crée le Rassemblement féminin, branche martiniquaise de l'Union féminine civique et sociale et participe au mensuel La Femme dans la cité publié entre 1945 et 1951[15]. Elle souhaite ainsi inciter les femmes martiniquaises à exercer ce nouveau droit et à aller voter le [5].
De retour en Martinique, elle y fonde la chorale « Joie de chanter » avec sa sœur Alice, tout en poursuivant son activité militante en faveur de la promotion de la femme, la culture, la littérature ou encore l’histoire. Les deux sœurs préparent les commémorations du centenaire de l’abolition de l'esclavage[6]. En 1956, un inconnu jette une torche enflammée à travers une fenêtre de sa maison ; peu après, sa famille la convainc de cesser son activité politique, de crainte pour sa vie[5]. Elle rédige un historique de la tradition musicale des campagnes martiniquaises. Le Bèlè et ses variantes comme le gran bèlè, le béliya, le bouwo, le Ladjia et sa base, le rythme afro aja-gbe doivent retrouver leur place dans la musique antillaise. Au sein d'une famille très attachée à la musique et au chant, elle est la tante de la cantatriceChristiane Eda-Pierre[6].
Elle est faite Officier des Palmes académiques et Chevalier de la Légion d’honneur[6], alors que Léopold Sédar Senghor lui décerne le titre de Commandeur de l’Ordre National de la République du Sénégal[6]. À Fort-de-France, l’ancienne place Fénelon, proche de l’ancienne maison familiale rue Schœlcher, porte maintenant son nom[6].
Mort
Paulette Nardal meurt le à l’âge de 88 ans[16] à Fort-de-France[17]. Cette femme de lettres et militante politique, pionnière de la cause noire, restera celle qui répétait inlassablement à ses amis et ses élèves sa fierté d'être noire : « Black is beautiful »[8].
Vie privée
À Fort-de-France, elle habite la maison familiale de la rue Schœlcher, avec son père et ses sœurs ; à la différence de celles-ci, toutes épouses et mères de famille, elle ne se marie pas, trouvant dans le célibat une forme d'affirmation de son indépendance[5].
Hommages
Dans les années 1980, Aimé Césaire fait apposer le nom de Paulette Nardal sur une place de la ville de Fort-de-France, dont il est maire[10].
En 2019, la ville de Clamart vote le choix de son nom pour une future voie de la ville[10],[22] et la commune de Malakoff le choisit pour rebaptiser l'école Paul-Bert[23],[24].
En 2021, la ville de Ducos (Martinique) rebaptise son lycée en son honneur[25]
En 2022, la ville de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) donne son nom à l'allée desservant la nouvelle école Paul-Langevin.
↑Acte de naissance no 464 du , état-civil de la commune du François, sur la déclaration de Paul Nardal, âgé de 32 ans, conducteur des Ponts et Chaussées en résidence au François.
↑ a et b(en) Emily Musil Church, « In Search of Seven Sisters: A Biography of the Nardal Sisters of Martinique », Callaloo, vol. 36, no 2, , p. 375–390 (lire en ligne)
↑ a et bDanielle Ohana et Nicole Lucas, Femmes à l’épreuve de la colonisation et des indépendances : Abécédaire raisonné, Le Manuscrit, , 280 p. (ISBN978-2-304-05434-7, lire en ligne), « Nardal ».
↑ a et bCécile Bertin-Elisabeth, Cécile Bertin-Élisabeth (dir.) et Vinciane Trancart (dir.) (Création d'une revue EHIC), « Les Nardal : Textes, co-textes, contextes », Flamme, Université de Limoges, vol. 1 « Mondes noirs : hommage à Paulette Nardal », , p. 23 (e-ISSN2802-7329, HALhal-03427502, lire en ligne) :
« Désormais, en France aussi on leur rend hommage comme ce samedi 31 août 2019 où la ville de Paris a honoré Paulette et Jane Nardal en donnant leurs prénoms et nom à une promenade dans le XIVe arrondissement. À Clamart également, on a décidé de retenir leur nom pour une rue. Toutefois, la reconnaissance n’est pas encore stabilisée comme le montre le texte de France-info/Outre-mer 1re (Boscher, 2020) ayant pourtant pour titre : « Paulette Nardal, l’architecte oubliée de la Négritude », mais où est ajouté un encart où les sœurs Nardal sont qualifiées de « marraines » de la Négritude [« Un hommage à ces deux sœurs martiniquaises, activistes, féministes et marraines du concept de négritude, trop longtemps oubliées »], comme ayant de ce fait porté sur les fonts baptismaux un enfant (la Négritude) qui ne serait pas le leur... Reconnaissance balbutiante ; preuve en tous les cas qu’un déphasage demeure dans cette reconnaissance. Paulette Nardal rappelle en effet dans ses Entretiens (Grollemund, 2019), que c’est Joseph Zobel qui les aurait désignées en tant que « marraines » de la négritude. C’était à l’époque un premier pas important vers la reconnaissance, mais ne convient-il pas d’aller plus loin aujourd’hui ? »
(en) Shireen K. Lewis, « Gendering Négritude: Paulette Nardal’s Contribution to the Birth of Modern Francophone Literature », Romance Languages Annual, (lire en ligne)
(en) Shireen K. Lewis, Race, culture and identity: Francophone West African and Caribbean Literature and Theory from Negritude to Créolité, Lexington Books, coll. « Caribbean studies », , 166 p. (ISBN978-0-739-11472-8)
(en) Emily Kirkland McTighe Musil, La Marianne noire. How Gender and race in the Twentieth Century Atlantic World Reshaped the debate about Human Rights : Ph.D. dissertation, University of California, Los Angeles, , 247 p. (ISBN978-0-549-51184-7)
Astride Véronique Charles, « L’éveil de la conscience de race par des femmes : une lecture genrée de la Négritude », Africultures – Les mondes en relation, no 7, (lire en ligne)
Christine Dualé, « L’émergence de la pensée féminine et féministe antillaise : des sœurs Nardal à Suzanne Roussi Césaire », Africultures – Les mondes en relation, (lire en ligne)
Philippe Grollemund (préf. Christiane Eda Pierre), Fiertés de femme noire - Entretiens / Mémoires de Paulette Nardal, L'Harmattan, , 208 p. (ISBN978-2-343-16043-6, lire en ligne)
Catherine Marceline, Christiane Eda-Pierre : une vie d'excellence, Fort de France, , 130 p. (ISBN9791069930209)
(en) Brent Hayes Edwards, Paris Modern: Paulette Nardal and the paradoxes of Colonial Feminism, Princeton University,
Érick Noël (dir.), Paris créole. Son histoire, ses écrivains, ses artistes (XVIIIe – XXe siècles), Presses Universitaires de Nouvelle-Aquitaine, , 177 p. (ISBN979-10-353-0651-9), p. 97-106; 107-117