Les premiers dérivés d'oxaziridines sont synthétisés dans les années 1950 par Emmons[2], Krimm[3] et Horner et Jürgens[4]. Alors que les atomes d'oxygène et d'azote agissent usuellement comme nucléophiles du fait de leur électronégativité élevée, les oxaziridines permettent le transfert électrophile des deux hétéroatomes. Cette réactivité particulière est due à la présence du cycle à trois atomes très contraint, et de la relative faiblesse de la liaison N-O. Les nucléophiles ont tendance à attaquer sur l'azote de l'oxaziridine quand le substituant sur l'atome d'azote est petit (typiquement R1= H), et sur l'atome d'oxygène quand le substituant sur l'atome d'azote est très encombré stériquement. Ces effets électroniques peuvent être exploités pour réaliser différentes réactions de transfert d'atome d'oxygène ou d'azote, comme l'α-hydroxylation d'énolates, l'époxydation d'alcènes ou encore l'oxydation sélective de sulfures et de séléniures.
Chiralité
Des réactifs chiraux de dérivés d'oxaziridines ont été développés, et permettent des réactions de transfert d'hétéroatomesstéréospécifiques. La chiralité des oxaziridines peut venir de la structure des substituants du cycle ou de la conformation de l'atome d'azote (invertomère). Les oxazirines sont en effet uniques du fait de la très haute barrière d'inversion de l'azote qui permet de conserver leur configuration stéréochimique. Cette barrière d'inversion à température ambiante est de l'ordre de 24 à 31kcal·mol-1, et des oxaziridines énantiopures ont pu être préparées dans les années 1980[5].
Des dérivés d'oxaziridines à base de dérivés du camphre ont été synthétisés dans les années 1970[6], et sont devenus une pierre angulaire de la synthèse asymétrique. Parmi les nombreuses synthèses totales employant des oxaziridines, la synthèse totale du taxol par les équipes de Holton[7],[8] et de Wender[9],[10] proposent l'α-hydroxylation asymétrique avec le camphorsulfonyloxaxiridine comme une étape clé de la synthèse de cet agent anticancéreux.
De plus, l'oxydation d'imines chirales et l'oxydation d'imines avec des peracides chiraux peut conduire à la préparation d'oxaziridines énantiomériquement pures.
N-Sulfonyloxaziridines
Au début des années 1980, la première N-sulfonyloxaziridine est préparée[11]. Ces dérivés sulfonyles sont utilisés exclusivement pour les réactions de transfert d'atome d'oxygène, et sont actuellement la classe d'oxaziridines la plus communément employée. Originellement préparées à partir de m-CPBA et de chlorure de benzyltrimethylammonium comme catalyseur de transfert de phase, une amélioration de la synthèse permet désormais l'utilisation d'hydrogénopersulfate de potassium, ou Oxone comme oxydant[12].
De nombreux dérivés de N-sulfonyloxaziridines sont utilisés, chacun possédant différentes propriétés physico-chimiques et réactivités. Un résumé de ces différents réactifs est présenté dans le tableau suivant[13],[14],[15],[16],[17],[18],[19],[20],[21].
Oxaziridines perfluorées
Les oxaziridines perfluorées présentent une forte réactivité comparées à leurs équivalents hydrocarbonés. Les substituants perfluorés sont électron-accepteurs, rendant la réactivité des oxaziridines perfluorées similaire à celle des dioxiranes[22]. Les perfluoroalkyloxaziridines peuvent notamment hydroxyler certaines liaisons C-H avec une très forte sélectivité. Les oxaziridines perfluorées peuvent être synthétisées en faisant réagir une imine perfluorée avec du peroxyde de perfluorométhylfluorocarbonyle et un métal fluoré pour piéger le HF libéré[22].
Réactions
Transferts d'atome d'oxygène
α-Hydroxylation des énolates
Le groupement α-hydroxycétone, ou acyloïne, est un motif présent dans de nombreux produits naturels. De nombreuses voies de synthèse ont été employées pour reproduire ce motif, comme la réduction d'α-déicétones, la substitution d'hydroxyles pour un groupe partant, ou l'oxydation directe d'un énolate. Lors de cette dernière méthode, l'oxodiperoxymolybdenum(pyridine)-(triamide hexaméthylphosphorique) (MoOPH) et les N-sulfonyloxaziridines sont les sources d'oxygène électrophiles les plus communément employées. Les N-sulfonyloxaziridines présentent l'avantage d'induire une plus grande chiralité comparativement à l'utilisation de MoOPH et d'autres oxydants[23]. L'induction chirale a été démontrée avec de nombreuses autres cétones chirales et des cétones avec des auxiliaires de chiralité, comme le SAMP et le RAMP[13].
Des travaux ont été menés sur l'hydroxylation asymétrique d'énolates prochiraux avec des dérivés de camphorsulfonyloxaziridine, permettant d'atteindre de bons excès énantiomériques[16]. Il est communément admis que l'état de transition qui permet d'obtenir cette bonne stéréochimie implique un état de transition ouvert dans lequel le groupement stériquement encombré détermine le côté par lequel la molécule est approchée[13].
La sélectivité de certaines hydroxylations peut être améliorée par l'ajout de groupements coordinants en position alpha du cycle oxaziridine, comme dans les oxaziridines 3b et 3c dans le tableau ci-dessus[19]. Il est proposé que la réaction passe par un état de transition fermé dans lequel l'oxyanion métallique est stabilisé par chélation grâce au sulfate et aux groupements coordinants du camphre[13].
L'époxydation des alcènes est très employée en synthèse organique, les époxydes pouvant être transformés en de nombreux groupes fonctionnels. Habituellement, l'époxydation utilise du m-CPBA (ou d'autres peracides), mais les oxaziridnes ont montré qu'ils peuvent être employés pour mener des synthèses similaires et sont très utiles pour préparer des époxydes sensibles aux conditions acidiques[5]. Ci-dessous est décrit la synthèse de la (-)-chaetominine qui utilise l'époxydation d'un alcène par une oxaziridine lors de l'une des dernières étapes de sa synthèse[27].
Une autre classe de transformation très employée en synthèse organique est l'époxydation asymétrique, comme l'époxydation de Sharpless, l'époxydation de Jacobsen ou l'époxydation de Juliá-Colonna(en). L'inconvénient majeur de ces réactions est qu'elles nécessitent des fonctionnalités très spécifiques pour permettre d'être sélectives. L'époxydation de Sharpless fonctionne avec des alcools allyliques, l'époxydation de Jacobsen avec des alcènes disubstitués en cis par des aromatiques, et l'époxydation de Juliá-Colonna des cétones α-β insaturées. L'utilisation d'oxaziridines asymétriques permet de réaliser des transformations stéréospécifiques sur des alcènes non-fonctionnalisés[5]. Le schéma ci-dessous présente l'époxydation asymétrique du trans-stilbène avec un sel d'oxaziridinium chiral utilisant de l'oxone comme oxydant[28].
Hydroxylation d'hydrocarbure désactivés
Les oxaziridines perfluorées sont connues pour hydroxyler les hydrocarbures désactivés avec une grande régio- et diastéréospécificité[22]. Cette réaction est très importante, et peu d'autres composés présentent ce type de réactivité. Les oxaziridines perfluorées présentent une très bonne sélectivité vis-à-vis des carbones tertiaires. L'hydroxylation de carbones primaires ou la dihydroxylation de composés présentant deux sites oxydables n'a jamais été observée. La rétention de la stéréochimie est très importante, de l'ordre de 95 à 95 %, et peut être encore augmentée en ajoutant un sel de fluorure[29].
Transferts d'atome d'azote
Moins d'attention a été donnée aux oxaziridines comme réactifs de transfert d'atome d'azote. Les oxaziridines non-substituées ou possédant un groupement acyle sur l'azote peuvent être utilisées pour de telles réactions, le premier exemple datant des années 1960[30].
Le transfert d'amines acylées est plus difficiles que pour les amines non-substituées. Ces réactions de transfert ont tout d'abord été effectuées en utilisant des nucléophiles comme des amines et des hydrazines. Quelques rares exemples de transferts d'amines acylées vers des carbones nucléophiles ont aussi été décrits[31].
Réarrangements
Les oxaziridines peuvent subir des réactions de réarrangement sous irradiation dans l'ultraviolet, via un mécanisme radicalaire, ou en présence d'un réducteur, comme le CuI. Les oxaziridines spirocycliques peuvent aussi étendre leur cycle pour donner la lactame correspondante[32]. La migration du substituant est contrôlée par des effets stéréoélectroniques, et le groupe en trans du doublet non liant de l'azote donne majoritairement le produit de migration[33]. Cet effet permet d'utiliser la chiralité de l'azote, du fait de la haute barrière d'inversion de l'azote, pour diriger le réarrangement, comme démontré sur le schéma ci-dessous. Sur la partie gauche du schéma le produit défavorable thermodynamiquement est observé de façon exclusive, alors que sur la partie droite du schéma le produit dérivé de l'intermédiaire radicalaire le moins stable est favorisé[32].
Les oxaziridines peuvent aussi subir des réactions de réarrangement thermiques pour donner des nitrones. La sélectivité cis-trans est faible, mais les rendements sont bons. Il aussi est envisagé que certaines oxaziridines racémisent au cours du temps en passant par un intermédiaire nitrone[5].
Cycloaddions avec des hétérocumulènes
Les oxaziridines peuvent réagir avec des hétérocumulènes pour donner différents hétérocycles à cinq atomes, comme décrit sur la figure ci-dessous. Cette réactivité est due à la contrainte du cycle à trois atomes et à la faiblesse de la liaison N-O[5].
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↑« Yohimbe », sur le site nlm.nih.gov (consulté le ).
(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Oxaziridine » (voir la liste des auteurs).