Ode à l'automne

Ode à l'automne
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Illustration pour Ode à l'automne
de W. J. Neatby (1899).

Auteur John Keats
Pays Drapeau de l'Angleterre Angleterre
Genre Ode
Version originale
Langue Anglais
Titre To Autumn
Date de parution 1820
Version française
Traducteur Albert Laffay, Keats, Selected Poems, Poèmes choisis
Éditeur Aubier-Flammarion bilingue
Date de parution 1968

Ode à l'automne (titre original : To Autumn) est une ode composée par le poète romantique anglais John Keats (1795-1821).

C'est la dernière d'une série de six odes connues sous le titre Les Odes de Keats (Keats's Odes), composées en 1819. Les cinq premières, Ode sur une urne grecque, Ode sur l'indolence, Ode sur la mélancolie, Ode à un rossignol et Ode à Psyché sont datées de  ; l'Ode à l'automne est composée après une promenade près de Winchester (Hampshire, dans le Sud de l’Angleterre), pendant la soirée du de la même année. Elle est publiée avec les autres — l'Ode sur l'indolence non compris — en 1820 dans le recueil comprenant Les Poèmes de Lamia (Lamia Poems) et La Veille de la Sainte-Agnès (The Eve of St. Agnes). C'est le dernier grand poème que compose Keats, qui meurt à Rome à peine plus d'un an après sa publication, le à l'âge de vingt-cinq ans.

L'ode se compose de trois strophes, chacune comportant onze vers qui évoquent la progression et les métamorphoses de la saison, de la lente maturation des récoltes jusqu'à la moisson, puis ses derniers jours alors qu'approchent les froideurs. L'automne y est personnifié et l'évocation de ses largesses, des visions qu'il offre, des sons qu'il laisse percevoir, demeure assez proche des réalisations des paysagistes anglais. Interprétée par certains comme une méditation sur la mort ou encore comme une allégorie, pour d'autres cette ode semble une réaction à un fait historique, le massacre de Peterloo le sur le terrain de St Peter's Fields à Manchester, lorsque la cavalerie charge une manifestation pacifique de 60 000 à 80 000 personnes rassemblées pour demander une réforme de la représentation parlementaire. À ce compte, elle serait l'expression d'un sentiment nationaliste.

Quoi qu'il en soit, si Keats est malheureux pendant l'été 1819 (maladie, deuil, pressions financières), il lui suffit d'une journée ensoleillée d'arrière-saison pour qu'il retrouve les sommets de son art. En ce sens, l'Ode à l'automne est son chant du cygne. Elle figure dans pratiquement toutes les anthologies et nombre de critiques y voient l'un des courts poèmes les plus aboutis jamais composés en langue anglaise.

Genèse

Profil au crayon d'un homme en veste blanche, environ 25 ans, cheveux mi-longs bouclés, menton reposant sur le poing droit
John Keats, par Charles Brown, août 1819.

Pendant le printemps de 1819, Keats écrit cinq de ses grandes odes, toutes datées de . Il se porte ensuite vers d'autres formes poétiques, en particulier la tragédie en vers Otho le grand (Otho the Great), écrite en collaboration avec son ami et propriétaire Charles Armitage Brown, puis la deuxième partie de Lamia, avant de revenir à son épopée inachevée Hyperion[KB 1],[N 1]. C'est une époque où il se consacre totalement à son art, alternant les genres, la longueur des poèmes, se fixant pour but d'écrire plus de cinquante vers par jour ; pendant ses loisirs, il lit des œuvres aussi variées que L'Anatomie de la mélancolie de Robert Burton, les poèmes de Thomas Chatterton et aussi les essais de Leigh Hunt[1].

Si Keats est particulièrement fécond en cette année 1819, il affronte une multitude de difficultés. Déjà endetté, il doit venir en aide à son frère George qui, émigré aux États-Unis, manque cruellement d'argent ; il sent par ailleurs sa santé décliner depuis qu'il s'est occupé de son cadet Tom, atteint de tuberculose et décédé en 1818. C'est en septembre qu'il compose sa plus belle œuvre[2], l'ode À l'automne, et qu'il met fin du même coup à sa carrière poétique[KB 2] : acculé par les obstacles matériels et les obligations morales, il se tourne vers des projets qu'il espère plus lucratifs[3].

Rivière dans paysage arboré et verdoyant, avec plantes aquatiques en surface
l'Itchen, près d'Ovington.

Le dimanche , Keats se promène près de Winchester le long de l'Itchen, rivière du Hampshire. Une lettre à son ami John Hamilton Reynolds du rend compte de ses impressions[KB 3] : « Comme la saison est admirable en ce moment. Comme l'air est pur – quelque chose de vif et de tempéré. Vraiment, sans plaisanterie, un temps chaste, un ciel de Diane. Je n'ai jamais aimé les chaumes autant qu'aujourd'hui. Oui, plus que le vert frileux du printemps. Je ne sais pourquoi, mais un champ où on a coupé le blé paraît chaud, de la même manière que certains tableaux paraissent chauds. J'en ai été si frappé au cours de ma promenade de dimanche que cela m'a donné l'idée d'écrire[KL 1],[C 1]. »

Ainsi naît l'Ode à l'automne dont Keats joint le manuscrit à une lettre destinée à Richard Woodhouse[5], son ami et éditeur, datée du même jour que celle adressée à Reynolds[6].

Une fois révisé, le poème est inclus dans le recueil publié en 1820 Lamia, Isabella, The Eve of St Agnes and Other Poems[7],[8]. Échaudés par l'âpreté des comptes rendus ayant accueilli Endymion[9],[10], les éditeurs Taylor & Hessey n'acceptent de publier l'ensemble qu'à la condition que tout poème susceptible d'engendrer une controverse d'ordre politique en soit banni[11].

Le poème

L'Ode à l'automne est la plus courte des odes composées en 1819. Elle se divise en trois strophes de onze vers ayant chacune son évolution mais dont la réunion forme une introduction, un développement et une conclusion à l'ensemble.

Texte et traduction

To Autumn

Season of mists and mellow fruitfulness,
Close bosom-friend of the maturing sun
Conspiring with him how to load and bless
With fruit the vines that round the thatch-eves run;
To bend with apples the moss'd cottage-trees,
And fill all fruit with ripeness to the core;
To swell the gourd, and plump the hazel shells
With a sweet kernel; to set budding more,
And still more, later flowers for the bees,
Until they think warm days will never cease,
For Summer has o'er-brimm'd their clammy cells.

Who hath not seen thee oft amid thy store?
Sometimes whoever seeks abroad may find
Thee sitting careless on a granary floor,
Thy hair soft-lifted by the winnowing wind;
Or on a half-reap'd furrow sound asleep,
Drows'd with the fume of poppies, while thy hook
Spares the next swath and all its twined flowers:
And sometimes like a gleaner thou dost keep
Steady thy laden head across a brook;
Or by a cider-press, with patient look,
Thou watchest the last oozings hours by hours.

Where are the songs of Spring? Ay, where are they?
Think not of them, thou hast thy music too,–
While barred clouds bloom the soft-dying day,
And touch the stubble-plains with rosy hue;
Then in a wailful choir the small gnats mourn
Among the river sallows, borne aloft
Or sinking as the light wind lives or dies;
And full-grown lambs loud bleat from hilly bourn;
Hedge-crickets sing; and now with treble soft
The red-breast whistles from a garden-croft;
And gathering swallows twitter in the skies.

Ode à l'automne

Saison des brumes et de la moelleuse abondance,
La plus tendre compagne du soleil qui fait mûrir,
Toi qui complotes avec lui pour dispenser tes bienfaits
Aux treilles qui courent au bord des toits de chaume,
Pour faire ployer sous les pommes les arbres moussus des enclos,
Et combler tous les fruits de maturité jusqu'au cœur,
Pour gonfler la courge et arrondir la coque des noisettes
D'une savoureuse amande ; pour prodiguer
Et prodiguer encore les promesses de fleurs tardives aux abeilles,
Au point qu'elles croient les tièdes journées éternelles,
Car l'Été a gorgé leurs alvéoles sirupeux.

Qui ne t'a vue maintes fois parmi tes trésors ?
Parfois celui qui va te chercher te découvre
Nonchalamment assise sur l'aire d'une grange,
Les cheveux soulevés en caresse par le souffle du vannage,
Ou profondément endormie sur un sillon à demi moissonné,
Assoupie aux vapeurs des pavots, tandis que ta faucille
Épargne l'andin suivant et toutes les fleurs entrelacées ;
Quelquefois, telle une glaneuse, tu portes droite
Ta tête chargée de gerbes en passant un ruisseau,
Ou encore, près d'un pressoir à cidre, tes yeux patients
Regardent suinter les dernières gouttes pendant des heures et des heures.

Où sont les chants du printemps ? Oui, où sont-ils ?
N'y pense plus, tu as aussi tes harmonies :
Pendant que de longues nuées fleurissent le jour qui mollement se meurt,
Et nuancent d'une teinte vermeille les chaumes de la plaine,
Alors, en un chœur plaintif, les frêles éphémères se lamentent
Parmi les saules de la rivière, soulevés
Ou retombant, selon que le vent léger s'anime ou meurt ;
Et les agneaux déjà grands bêlent à pleine voix là-bas sur les collines ;
Les grillons des haies chantent ; et voici qu'en notes hautes et douces
Le rouge-gorge siffle dans un jardin
Et que les hirondelles qui s'assemblent trissent dans les cieux[KL 2].

Analyse

Page blanche remplie d'une écriture cursive ; plusieurs vers rayés au milieu
Exemplaire manuscrit de l'ode, page 1
Les mots rayés sont remplacés par d'autres qui sont perceptibles à l'envers de la page, mais non lisibles
Exemplaire manuscrit de l'ode, page 2

L'Ode à l'automne décrit trois aspects de la saison, un par strophe : sa maturité, son labeur et son déclin. À ces phases correspond une progression temporelle : d'abord la saison reste balbutiante, puis elle jouit de sa plénitude avant de se faire le héraut de l'hiver. Dans le même temps, s'écoulent les heures du jour, d'abord le matin, puis l'après-midi, enfin le crépuscule. Chaque portion de saison et de jour a son sens particulier, le toucher, la vue et le son, d'où une symétrie tripartite inconnue dans les autres odes[12].

Première strophe

La première strophe montre l'activité de la saison dans l'élaboration des processus naturels, la croissance, puis la maturation, deux forces opposées dans la nature dont la rivalité dialectique peut servir l'idée que la saison est sans fin[KB 4]. D'après Sperry, les fruits sont encore à l'état de promesse, les bourgeons s'ouvrent sous la chaleur d'un reste d'été, et primauté demeure au toucher, la succession des images suggérant une douce croissance et une lente progression, toutes palpables, puisque s'accumulent les verbes relevant des champs sémantiques de l'enflure, du ploiement et de l'affermissement[12].

Pour Albert Laffay, la dominante est l'idée de maturité. L'adjectif mellow (« moelleux, adouci ») évoque un fruit mûr et s'adresse à tous les sens à la fois. Le vocabulaire, les substantifs fruitfulness, maturing, ripeness (« fécondité », « maturation », « maturité »), les verbes load, bless, bend, fill, swell, plump (« charger », « ployer », « remplir », « gonfler », « devenir charnu »), les adjectifs sweet, clammy (« sucré », « poisseux »), tout évoque la richesse surabondante. À cela s'ajoute le fait que « les mots n'interviennent pas seulement par les figures que le poète a réalisées, mais encore, inconsciemment, par des possibilités d'images auxquelles il n'a même pas songé[KL 1] ». Ainsi, bosom (« sein, poitrine de femme ») dans bosom-friend (« ami intime ») créent virtuellement la métaphore de la maternité. Aussi ne s'agit-il pas ici de l'automne romantique, symbole du déclin et de la mort, mais de celui des Anciens, « le temps de la récolte et la récompense de l'effort[KL 1] », la chaude saison qui satisfait la vue, le toucher, l'odorat et le goût[KL 3].

Deuxième strophe

À droite, bosquet ; à gauche, champ moissonné, chaume ; ciel dégagé
Champ moissonné, Hampshire.

D'après Robert Gittings, cette strophe a peut-être été écrite en dernier[13]. À mi-chemin, l'automne est représenté métaphoriquement, comme une conspiratrice alliée du soleil qui mûrit les fruits, moissonne les récoltes et fait bruire son chant. De fait, la deuxième strophe personnifie la saison et même en fait une allégorie de la moisson[14], chargée des tâches qui assurent la subsistance des paysans pour l'année. Les mouvements restent lents, comme figés dans des attitudes hiératiques : l'automne n'est pas vraiment vu à la tâche, mais assis, au repos ou en train d'observer ; le poème s'est comme arrêté[15] ; l'après-midi est somnolente, les céréales ont été vannées, le moissonneur dort ou revient d'un pas lourd à la maison[N 2], les dernières gouttes suintent du pressoir à cidre[12].

Pour Laffay, l'idée principale est celle du « loisir ». « Grenier » et « provisions » (Granary et store) en sont les mots clefs : pour demain, l'abondance est assurée, rien ne presse ; l'heure est à l'indifférence paresseuse : le temps s'est comme immobilisé et partout prévaut la durée[KL 3].

Troisième strophe

La dernière strophe oppose les bruits (sounds) de l'automne à ceux du printemps. Ce sont aussi ceux du soir, le frôlement des éphémères et le bêlement des agneaux au crépuscule. La nuit approche et, avec elle, la mort qu'annonce la prochaine venue de l'hiver : les agneaux, comme les grappes ou les noisettes, sont à maturité, bientôt promis à rejoindre les provisions déjà engrangées. Les hirondelles gazouillent, mais c'est leur chant du départ, et les campagnes resteront dénudées. Le rouge-gorge siffle et le criquet crisse, hérauts des froidures. Il est déjà question du printemps, chaque saison suit son cycle, naît, grandit et se meurt tour à tour[KB 5].

L'ode revient à la conception romantique de la saison. La vision du poète a changé : par l'idée du départ, le poème se rapproche de celle de la mort, évoquée deux fois, dying (« mourant »), dies (« meurt »), et accompagnée d'un chœur de termes mélancoliques, wailful (plaintif), mourn (« faire son deuil »), sink (« sombrer »). Cependant, écrit Laffay, « en poésie (comme en musique), les thèmes successifs ne sont pas seulement juxtaposés. Pour être parvenue à l'idée d'automne-fin, d'automne-départ, à travers l'idée d'automne-abondance, la dernière strophe reçoit l'idée de mort dans une admirable sérénité. Tout est présent à la fois. Le temps, d'abord ignoré, puis remis en place, laisse à nos yeux transparaître l'éternel[KL 3] ».

Par le thème entrelacé de la musique de l'automne — abondent en effet les mots « chants, musique, chœur, chanter, roulades, siffler, gazouiller » (songs, music, choir, sing, treble, whistle, twitter) —, se dessine une opposition à Shelley qui, lui aussi, a célébré la saison (Ode au vent d'Ouest[N 3], Automne), la saison romantique du vent et des feuilles mortes[KL 4]. Chez Shelley, le vent d'Ouest destructeur porte les graines vers l'avenir et l'automne annonce le printemps : « Ô Vent, si l’Hiver s’approche, le Printemps peut-il être loin derrière[CCom 1] ? » « Au bout du pire, ajoute Laffay en conclusion, [Shelley] entrevoit le mieux. Keats n'a pas besoin d'être optimiste. En ses bons moments, c'est sur place qu'il accepte le malheur. En dedans. Et toujours par la reconnaissance du beau : “Le Beau, disait Platon, c'est la splendeur du Vrai”[KL 4]. »

Conclusion

Avec son catalogue d'images concrètes[17], l'ode dépeint un paradis sur terre, mais fondé sur les archétypes de la saison : la croissance, la maturation et l'approche de la mort. Comme l'écrit Bate, il y a là une union heureuse entre l'idéal et le réel[KB 6]. Le principe fondateur du poème est l'équilibre, compensation entre les forces de la vie et celles de la mort, union des générosités de la nature et de l'effort individuel[18]. C'est un poème sans drame, chaud et impénétrable, dans lequel peu est dit mais tout est abordé[19].

Interprétation

L'ode ne jaillit point d'une soudaine inspiration éthérée ; bien au contraire, elle s'inscrit dans une tradition qui remonte aux Géorgiques de Virgile[20].

Filiation

Cette filiation, comme le souligne Helen Vendler, citée par O'Rourke, passe par Le Cortège des saisons de Spenser :

The Procession of the Seasons, Autumn

Then came Autumn all in yellow clad
            As though he joyéd in his plenteous store,
            Laden with fruits that made him laugh, full glad
            That he had banished hunger, which to-fore
            Had by the belly oft him pinchéd sore;
            Upon his head a wreath, that was enrolled
            With ears of corn of every sort, he bore,
            And in his hand a sickle he did hold
To reap the ripened fruits the which the earth had yold.

Le cortège des saisons : l'automne

Puis Automne venait, tout de jaune vêtu,
l'air tout joyeux d'avoir abondantes richesses,
chargé de fruits qui le faisaient sourire, heureux
d'avoir banni la faim qui jadis maintes fois
lui avait fortement tenaillé les entrailles.
Sur la tête il portait, enroulés en couronne,
des épis de céréales de toutes sortes,
et dans la main tenait une faucille
pour récolter les fruits mûrs que la terre avait produits[21].

et The Mask of Mutability[22], et au-delà, par James Thomson dans son long poème Les Saisons[23].

S'y retrouvent également des expressions dues à la langue de Chatterton[24],[25] : « D'une façon ou d'une autre, j'associe toujours l'automne à Chatterton, écrit Keats à son ami John Hamilton Reynolds le  ; c'est l'écrivain le plus pur de la langue anglaise. Point de gallicismes chez lui […]. L'idiome reste anglais de bout en bout[C 2] » ; et aussi de Coleridge, comme dans Frost at Midnight (Gel à minuit)[27],[28], sans compter l'essai sur l'automne de Leigh Hunt, que Keats lit peu avant sa propre composition[29].

De plus, À l'Automne partage des thèmes avec les autres odes écrites en 1819. Par exemple, l'idée sous-jacente de l'Ode à la mélancolie est l'acceptation du processus de la vie[KB 7] ; pourtant, ici, le poète s'efface et aucun lecteur imaginaire n'est présent pour recevoir une leçon personnelle ; nul conflit non plus, ni « débat dramatique, ni protestation […][CCom 2] ». De fait, en parallèle avec le déclin et la renaissance du jour, domine l'harmonie entre la finalité de la mort et les allusions au renouveau de la vie au sein du cycle des saisons[KB 9].

Processus mort-renaissance

Selon les critiques, différents aspects du processus sont soulignés. Ainsi, Walter Jackson Bate montre que chaque strophe contient son contraire, par exemple que la mort, quoique de façon indirecte, implique la renaissance[KB 10]. À cet égard, aussi bien Bate que Jennifer Wagner expliquent que la structure de la strophe renforce le sentiment d'une arrivée prochaine : en effet, le couplet placé avant la fin crée une impression de suspens, rehaussant en soi le thème de la continuité[30].

Harold Bloom met l'accent sur ce qu'il nomme « le paysage épuisé » (the exhausted landscape), l'accomplissement, la finalité de la mort, encore que « l'hiver descend comme un homme désireux de mourir avec une douceur naturelle[CCom 3] » : si la mort est inévitable, elle se présente ici avec une légèreté, une bienveillance « qui en autorise l'acceptation au-delà du chagrin[CCom 4] ». Le processus de croissance n'est plus nécessaire, la maturité a atteint son terme, la vie et la mort sont en harmonie, et la richesse descriptive du cycle des saisons incite le lecteur à se sentir partie de quelque chose qui le dépasse[33]. Il n'en demeure pas moins que la fin annuelle de ce cycle ressemble à celle d'une vie d'homme et O'Rourke voit dans la conclusion du poème, encore qu'à la différence des autres odes de Keats, la personne du poète soit engloutie dans la saison[KB 8], quelques signes d'une secrète frayeur[33].

Helen Vendler considère que l'Ode à l'automne peut être vue comme une allégorie de la création artistique. De même que le paysan transforme les fruits du sol en aliments destinés à nourrir le corps, l'artiste métamorphose l'expérience de la vie en une structure symbolique capable d'entretenir l'esprit. Ce processus ressortit à une sorte de cannibalisme sacrificiel, tant pour le grain du blé que pour l'artiste lui-même[34].

Présence sous-jacente d'événements politiques ?

Foule juchée sur élévation, drapeaux, hampes avec bonnets phrygiens, majorité de femmes, enchevêtrement d'individus
Peinture du massacre de Peterloo, par Richard Carlile.

Dans un essai paru en 1979, Jerome McGann défend la thèse selon laquelle que si l'ode est indirectement influencée par le paysage politique de 1819, Keats s'est délibérément abstenu d'en faire état[35]. En revanche, Andrew Bennett, Nicholas Roe et al pensent que les questions politiques y sont bel et bien sous-jacentes. Ainsi, Roe y voit en creux une oblitération des événements tragiques de Manchester, le massacre de Peterloo du [36], ce contre quoi Paul Fry s'inscrit en faux lorsqu'il ne discerne aucune pertinence dans l'argument : « le poème n'a rien d'une fuite devant les violences sociales du moment, c'est à l'évidence une rencontre avec la mort […], sans codage politique qui rappellerait une quelconque trahison forcée du radicalisme de l'auteur[CCom 5] ».

Pourtant, ajoute Motion, l'usage de verbe conspire (vers 3) se réfère à la notion de complot[38]. Keats n'ignore pas les récentes activités de Henry Hunt (manifestation de Manchester)[N 4]. D'autre part, la référence aux « glaneurs » renvoie à l'actualité politique : glaner est illégal en Angleterre depuis les lois sur le blé (Corn Laws), de 1818 ; non seulement l'évocation des paysannes courbées sur le sol rappelle un idéal classique et, du même coup, sert de métaphore personnelle en cela que le poète désire glaner sur les champs de son fertile cerveau, elle — et comme elle, l'évocation des abeilles — exprime aussi sa sympathie à l'égard des exclus et des dépossédés de la société dont Keats a surtout été témoin lors de sa randonnée en Écosse[38].

paysage vallonné, petite ville arborée, quelques bâtiments importants, église sur le flanc de la colline, nombreuses maisons individuelles, terrains labourés en premier plan
Winchester du temps où John Keats composait son Ode à l'automne (1819).

En 2012, se fondant sur des archives, Richard Marggraf Turley, Jayne Archer et Howard Thomas de l'université d'Aberystwyth, publient conjointement un article prétendant avoir localisé le champ de blé sur lequel Keats marchait lorsque l'inspiration de son ode lui est venue. Traditionnellement, les prairies humides s'étendant au sud de Winchester, où Keats se promenait chaque jour, étaient considérées comme avoir fourni au poète les paysages et les bruits de l'automne dont il fait état[39]. Ces auteurs pensent que l'ode a plus vraisemblablement été inspirée par une visite à St Giles's Hill, où un nouveau champ de blé venait d'être inauguré à l'extrémité Est de la cité marchande. Naguère un bosquet, le terrain avait été labouré pour produire des céréales d'autant plus recherchées que le pain était en hausse constante. Cette localisation nouvelle renouerait le lien entre l'ode et la chose politique puisqu'en définitive, il y serait implicitement question de la production d'aliments, de salaires et de productivité. Le site est désormais recouvert d'un parking à étages[40].

En 1999, Bewell présente l'idée que l'ode de Keats est une sorte d'allégorie biomédicale, une illustration des bienfaits inhérents au climat de la Grande-Bretagne par rapport aux alternatives qu'offrent les divers pays peu à peu colonisés[41]. De fait, l'expansion au-delà des mers du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe a exposé la métropole à de nouvelles infections ou maladies chroniques[42], et Keats, formé aux pratiques médicales[43] et lui-même souffrant, ne peut qu'être sensible à cette menace[44].

L'Ode à l'automne serait donc une glorification de l'Angleterre rurale, bénéficiant d'un climat tempéré[45]. L'allusion à de possibles fièvres peut être indirectement notée dans l'usage de l'adjectif clammy, qui implique un poisseux tropical à la fois humide et froid, mais dont l'air sec et piquant de l'automne anglaise compense amplement les effets[45]. Ainsi, Keats exprimerait ce que Bewell appelle « un désir de santé très personnel[CCom 6] » et, du même coup, inscrirait son œuvre dans un débat politico-idéologique touchant la nation tout entière[47].

McFarland, quant à lui, met en garde contre une surinterprétation du poème, en particulier selon une grille de lecture politico-idéologique risquant de prendre le pas sur l'évocation première de la nature[48] et la concentration de l'imagerie destinée à transmettre le sentiment, inhérent à la saison concernée, de l'interpénétration du vivant et de la mort[CCom 7] ».

Forme

Les trois strophes du poème comprennent chacune onze vers. En ce sens, elles suivent le schéma de l'ode antique, une triade à la fois chantée et dansée, la « strophe » (un tour à gauche), l'« antistrophe » (un tour à droite) et l'« épode », chantée après coup (retour au point de départ)[KB 11].

Progression sans mouvement

La strophe de l'ode diffère de ses homologues en cela qu'elle a un vers de plus qu'elles, ce qui permet d'insérer un distique (couplet), soit deux pentamètres iambiques rimés avant le dernier vers[KB 12]. De plus, n'ayant ni narrateur[KB 13] ni phases dramatiques, elle se focalise sur des objets concrets. Paradoxalement, elle progresse alors que les objets évoqués ne se modifient pas. Il y a là, selon Bate, « une union du mouvement et de la stase[CCom 8] », une concentration d'énergie au repos, effet que Keats appelle lui-même stationing, progression interne sans référence au temps chronologique[KB 13]. Au début de la troisième strophe, il emploie le processus dramatique dit ubi sunt, « où sont(-ils) »[N 5], qu'il associe à un sentiment de mélancolie, pour interroger le sort sur le destin des choses disparues : les chants du printemps, en l'occurrence[50].

Keats privilégie les mots monosyllabiques, tels que dans le vers : […] how to load and bless with fruit the vines that round the thatch-eves run (« […] pour dispenser tes bienfaits / Aux treilles qui courent au bord des toits de chaume »). D'autre part, les mots peuvent se trouver appesantis par l'insistance mise sur les consonnes bilabiales, par exemple dans […] for Summer has o'er brimm'd their clammy cells (« […] Car l'Été a gorgé leurs alvéoles sirupeux »), où brimm'd fixe le vers en son milieu. Se trouvent également utilisées les voyelles longues qui règlent le flux rythmique du vers, le forçant à garder un tempo lent et mesuré : […] while barred clouds bloom the soft dying day (« Pendant que de longues nuées fleurissent le jour qui mollement se meurt »)[51].

Prosodie

Comme pour les autres odes, le vers choisi est le pentamètre iambique, avec cinq accents toniques précédés par une syllabe inaccentuée [u –][52]. Keats varie ce schéma par l'inversion dite « augustienne », issue de la Poetic diction[N 6] des siècles précédents, en substituant un trochée à un iambe ([– –], surtout en début de vers, comme dans 'Season of 'mists and 'mellow 'fruitfulness, qui se scande [– –/u –/u –/u –/– u], procédé répété pour chacune des questions posées, dont l'avantage est de retarder l'envolée iambique et de lester le sens dès l'ouverture du vers[52].

La rime commence chaque strophe selon un schéma de sonnet shakespearien[N 7], soit [ABAB], que suivent [CDEDCCE] dans le reste de la première et [CDECDDE] dans les deux autres, le dernier vers étant précédé d'un distique [CC] et [DD] [DD]. Ce maillage de rimes offre l'occasion de resserrer le poème à la manière d'une fugue où tout se ressemble et aussi diffère avant que l'ensemble ne se pose[54].

Emprunts à de précédents poèmes

En partie, la langue utilisée par Keats dans sa dernière ode emprunte des expressions aux poèmes précédents, en particulier Endymion, ou Sommeil et poésie (Sleep and Poetry) :

Sleep and Poetry

WHAT is more gentle than a wind in summer?
What is more soothing than the pretty hummer
That stays one moment in an open flower,
And buzzes cheerily from bower to bower?
What is more tranquil than a musk-rose blowing
In a green island, far from all men’s knowing?
More healthful than the leafiness of dales?
More secret than a nest of nightingales?
More serene than Cordelia’s countenance?
More full of visions than a high romance?
What, but thee Sleep? Soft closer of our eyes!
Low murmurer of tender lullabies!
Light hoverer around our happy pillows!
Wreather of poppy buds, and weeping willows!
Silent entangler of a beauty’s tresses!
Most happy listener! when the morning blesses
Thee for enlivening all the cheerful eyes
That glance so brightly at the new sun-rise[55].

Sommeil et poésie

Quoi de plus doux qu'une brise d'été ?
De plus apaisant que le beau bourdonnement
Qui s'attarde sur une fleur épanouie,
Et joyeusement butine de charmille en charmille ?
Quoi de plus tranquille qu'une rose musquée qui s'ouvre
Sur une île de verdure, dans l'oubli de tous les hommes ?
Plus bienfaisant que les vallons enrubannés de feuillages ?
Plus secret qu'un nid de rossignols ?
Plus serein que le visage de Cornelia ?
Plus riche en visions qu'une romance ?
Toi doux sommeil, qui ferme nos paupières !
Tendre chuchoteur de douces berceuses !
Visiteur aérien de nos heureux oreillers !
Tisserant des guirlandes de pavots et de saules pleureurs !
Silencieux artisan des tresses nouées d'une beauté !
Heureux témoin des louanges que te décerne le frais matin,
Pour avoir illuminé les yeux d'une nouvelle gaieté,
Le regard posé sur le soleil qui à nouveau se lève.

et Calidore, A Fragment[56].

Du manuscrit à l'édition

D'assez nombreuses modifications ont été apportées au manuscrit original avant la publication du poème. Elles tendent toutes à resserrer l'expression. Ainsi, au vers 17, Drows'd with red poppies (« Assoupis par les coquelicots rouges ») se corse en Drows'd with the fumes of poppies (« Assoupis par l'effluve des coquelicots »), qui privilégie l'odorat aux dépens de la vue. De plus, la version finale s'appuie sur des formes passives et, en particulier les participes passés : ainsi, au vers 25, With a gold cloud (« avec un nuage d'or ») devient With barred clouds ([Traduction littérale] « avec un barrage nuageux »)[KB 15].

D'autres changements visent à donner plus d'impact à l'expression ; c'est ainsi qu'au vers 13, whoever seeks for thee may find est remplacée par whoever seeks abroad may find, l'adverbe abroad suggérant de lointaines contrées et, ce de fait, introduisant dans la vision évoquée une frange de mystère et d'infini. La plupart des vers de la deuxième strophe ont été entièrement réécrits, car ils ne s'ajustaient pas à la rime. Enfin, certains changements mineurs ont porté sur la ponctuation et la capitalisation[57].

Lenteur, pesanteur et plénitude

D'après Laffay, les syllabes de Keats ont du poids et, selon Sidney Colvin, « [Keats] distille plus qu'il ne décrit[58] ». Charles Du Bos ajoute que son tempo laisse à chaque terme, l'un après l'autre, « développer en nous sa vertu[59] ». Le pas est terrestre, chaque expression arrêtée au passage et abandonnée avec regret[KL 5]. Il n'est que de considérer le début de la première strophe :

Season of 'mists and 'mellow 'fruitfulness,
'Close 'bosom-'friend of the ma'turing 'sun
Con'spiring 'with him 'how to 'load and 'bless
With 'fruit the 'vines that 'round the 'thatch-eves 'run[KL 6]
.

Les iambes [u —], de par leur pesanteur, se distinguent mal des trochées [— u], d'où une tendance à gommer les arêtes du rythme prosodique, d'autant que le débit, par l'usage des mots composés, bosom-'friend, thatch-eves, a pour résultat d'amplifier le vers, de l'abandonner presque, jusqu'à sa finale run, détachée et faisant écho au solitaire Close qui inaugure le deuxième vers[KL 7].

Autre caractéristique, reliquat des premières œuvres[KL 8], l'abondance des mots en « y » retrouvé dans l'ensemble de l'extrait : 'mists, 'fruit, friend, 'con'spiring, 'thatcheves[KL 9]. Selon Garrod, à ce compte, les grandes odes de Keats « ne chantent pas » (do not sing)[60] et l'Ode à l'automne ne fait pas exception : en cela, elle s'oppose à l'œuvre de Shelley[KL 10], léger, aérien, fugitif, qui, lui aussi, a décrit les saisons dans son Ode au vent d'Ouest[KL 11] :

Ode to the West Wind (strophe 5)

Make me thy lyre, even as the forest is:
What if my leaves are falling like its own!
The tumult of thy mighty harmonies

Will take from both a deep, autumnal tone,
Sweet though in sadness. Be thou, Spirit fierce,
My spirit! Be thou me, impetuous one!

Drive my dead thoughts over the universe
Like wither'd leaves to quicken a new birth!
And, by the incantation of this verse,

Scatter, as from an unextinguish'd hearth
Ashes and sparks, my words among mankind!
Be through my lips to unawaken'd earth

The trumpet of a prophecy! O Wind,
If Winter comes, can Spring be far behind?

Ode au vent d'Ouest (strophe 5)

Fais de moi ta lyre, comme l'est la forêt :
Qu'importe si mes feuilles tombent, comme les siennes !
Le tumulte de tes puissantes harmonies

Tirera de tous deux un son profond d'automne,
Doux, malgré sa tristesse. Sois, âme farouche,
Mon âme ! Sois moi-même, vent impétueux !

Chasse mes pensées mortes par-dessus l'univers,
Feuillage desséché d'où renaisse la vie !
Et par l'incantation de ces vers,

Disperse, comme d'un foyer inextinguible
Cendres et étincelles, mes paroles parmi l'humanité !
Sois par mes lèvres, pour la terre assoupie encore,

La trompette d'une prophétie ! Ô, Vent,
Si vient l'hiver, le printemps peut-il être loin[61] ?

Le dernier vers de Shelley est résolument tourné vers l'avenir, c'est plus qu'une promesse, un vœu ardent, devenu certitude. Ce qui compte ici n'est pas tellement la constatation de l'inéluctabilité du cycle des saisons, mais l'élan d'espoir qui finit par gommer les rigueurs de l'hiver pour ne voir en lui que le héraut du printemps[KL 5].

Le sucré et le visqueux

D'autre part, l'épithète chez Keats, « a toujours tendance à assumer une valeur affective très forte. Elle sert beaucoup plus à condenser une charge d'émotion qu'à décrire ou analyser[KL 12] ». Le début du poème n'en comporte que deux mellow et close, mais chacune est chargée d'une telle densité qu'à elles seules, elles suffisent à résumer l'ensemble, et à mettre en évidence la douceur, l'achèvement et l'alliance scellée avec l'astre principe de vie, sans quoi l'abondance, le surplus, les sucs et les pulpes, bref la succulence ne sauraient exister[KL 10]. De même, l'adjectif clammy (« le moite sucré »), ici associé à cells (« alvéoles ») revêt lui aussi une puissance symbolique : dans nombre de poèmes, Keats évoque le sucré (sweet) ; or, selon Sartre, le sucré est l'équivalent gustatif du visqueux, et par l'usage de cet adjectif, Keats renvoie à la notion de miel, à la fois gluant et suave au palais[KL 13].

De plus, dans l'Ode à l'automne, l'emploi des « r » et des « l » dans les vers

To bend with apples the moss'd cottage-trees,
And fill all fruit with ripeness to the core

produit ou renforce la sensation de surfaces en ronde bosse, fermes et dociles au toucher, « pommes, fruits, plein à ras bord et tous à maturité jusqu'au cœur » (apples, fill, all, fruit, ripeness, core)[KL 14].

Si bien que Laffay peut ajouter que « Keats se perd dans les choses et, d'autre part, elles disparaissent en lui[KL 14] ». Dans le cas de l'ode dédiée à l'automne, le poète absorbe les objets, tout gonflés de sensations : les choses pour lui sont des fruits, elles en ont « la rondeur, la succulence, le duvet, la saturation, l'éclat[62] ». Une fois encore les mots mellow et clammy expriment tout cela : l'ode est repue d'une jouissance véritablement alimentaire et « le poète mange la beauté[KL 11] ».

Accueil critique

La critique littéraire et universitaire est unanime à considérer l'Ode à l'automne comme l'un des poèmes les plus réussis de la langue anglaise. Selon le poète anglais Algernon Swinburne, « avec l'Ode sur une urne grecque, on touche à l'absolue perfection[CCom 9] » ; pour la professeure de littérature anglaise Aileen Ward, il s'agit là « du poème le plus réussi et le plus serein de Keats[CCom 10] ». Le critique littéraire et historien Douglas Bush ajoute que « l'œuvre est sans faille, que l'on se réfère à sa structure, sa texture, son ton et son rythme[CCom 11] ». L'historien et éditeur Walter Evert constate même, alors qu'il crédite toute l'œuvre de Keats d'une absolue perfection, que cette ode sort du lot par l'extraordinaire pertinence de chaque partie avec le tout[CCom 12].

Premiers comptes rendus

Les premiers comptes rendus se penchent sur l'ode en tant que partie du recueil Lamia, Isabella, the Eve of St. Agnes, and Other Poems. Un critique anonyme du Monthly Review écrit en à propos de Keats : « cet auteur ne manque ni d'idée ni d'imagination ; son Ode à l'automne regorge de cette dernière faculté, tant la réalité de la nature se voit représentée à nos yeux plus qu'aucune description connue ne saurait nous y inviter. […] Mr Keats est jeune, et tout en craignant que ses idiosyncrasies ne résistent à toute critique, nous serions enclin à l'exhorter à faire montre d'un peu moins d'originalité, d'être moins entiché de la manie des expressions trop nouvelles ou trop vieilles, – et moins convaincu que la poésie ne saurait exister sans les unes ou les autres[CCom 13] ». Josiah Conder explique dans le magazine Eclectic Review qu'« on va naturellement vers les morceaux les plus courts pour goûter la saveur de la poésie, et [que] To Autumn est loin d'être un mauvais spécimen[CCom 14] ». Le compte rendu de l'Edinburgh Magazine, plus focalisé sur les poèmes longs, n'en souligne pas moins le « grand mérite » (great merit) de l'ode[67].

La période victorienne

Pendant l'époque victorienne, en dépit de la condamnation quasi générale d'une prétendue « faiblesse » de caractère et de l'opinion souvent émise que l'œuvre, trop sensuelle, manquerait de substance[68], certains des poèmes de Keats commencent à être appréciés. C'est ainsi que l'Ode à l'automne se voit promue par l'écrivain et poète écossais George Gilfillan dans le Dumfries Herald au rang du « meilleur des petits poèmes de Keats[CCom 15] » et qu'en 1851, le médecin et écrivain écossais David Macbeth Moir déclare dans l'une de ses conférences que les « quatre délicieuses odes, — à un rossignol, sur une urne grecque, à la mélancolie et à l'automne [sont] toutes habitées d'une profonde pensée, avec des descriptions particulièrement pittoresques et un pouvoir de suggestion inégalé[CCom 16] ». Même antienne en 1865 lorsque le poète et critique anglais Matthew Arnold met l'accent sur « l'ineffable délicatesse, le charme et la perfection de […] la touche de Keats dans À l'automne[CCom 17] ». John Dennis, quant à lui, parle de la maturité du poème qu'il déclare en harmonie avec la saison qu'il décrit et en conclut qu'il s'agit là de l'un des plus précieux joyaux de la poésie lyrique[CCom 18] ». Enfin, la version 1888 de l'Encyclopædia Britannica écrit que « parmi les odes, les deux qui sans doute parviennent à la perfection, présentent une réussite accomplie et atteignent le plus haut degré de la beauté qu'il soit possible de créer avec des mots, sont sur une urne grecque et à l'automne[CCom 19] ».

Au XXe siècle et au-delà

En 1904, l'analyse de Stephen Gwynn de ce qu'il appelle « la grande poésie » (great poetry), le conduit à ne pas faire de différence entre les trois poèmes Ode à un rossignol, Ode sur une urne grecque et Ode à l'automne, car chacune « contient toute la magie de la poésie[CCom 20] ». Sidney Colvin, quant à lui, auteur d'une biographie du poète en 1917, remarque que si l'Ode à l'automne « n'ouvre pas de boulevards dans l'âme et l'esprit comme les odes sur une urne grecque et à un rossignol, ou encore sur la mélancolie, elle les surpasse par sa finition et sa perfection formelle[CCom 21] ».

En 1961, le critique littéraire Harold Bloom écrit que l'ode « est le plus abouti des courts poèmes jamais écrits dans la langue anglaise[CCom 22] ». Dix années plus tard, Stuart Sperry, plutôt que de se limiter à un jugement de valeur, tente de saisir l'attrait intime du poème et conclut que « à l'automne se fonde sur l'acceptation d'un ordre des choses inhérent à notre expérience […], le rythme naturel des saisons. C'est un poème qui, sans le dire mais en le suggérant avec une profusion d'implications aussi profondes que riches, évoque irrésistiblement la vérité d'une "maturation universelle" qui n'est autre que le processus de la chute[CCom 23] ».

En 1981, le professeur en littérature du Commonwealth William Walsh[N 8] écrit : « Parmi les grandes odes […], il est établi que à l'automne reste suprême, car le poème rend compte pleinement, et avec un art consommé, de la maturité si laborieusement accomplie de la propre vie de Keats, comme en témoigne sa correspondance[CCom 24] ». En 1988, la critique littéraire Helen Vendler ajoute que dans son ode, « Keats trouve le symbole le plus complet et le plus adéquat qui soit de la valeur sociale de l'art[CCom 25] ».

En 1997, le poète, romancier et biographe anglais Andrew Motion fait le point de la critique littéraire concernant To Autumn : « [l'ode] a souvent été considérée comme le poème le plus apaisé de Keats […] ; pour apprécier la pleine force de cette réussite, il convient de considérer l'exigence et la puissance des tensions qui la sous-tendent[CCom 26] ». À sa suite, l'écrivain et critique littéraire américain M. H. Abrams explique en 1998 que l'ode « est la dernière œuvre majeure que Keats ait achevée […], un poème de célébration, qui se réconcilie doucement avec le temps qui passe, le passage de chaque chose et la mortalité ; et cela, à une époque où il se sentait habité d'une prémonition […] qu'il lui restait moins de deux années à vivre[CCom 27] ».

La même année, James Chandler, spécialiste du romantisme anglais, fait remarquer que la grandeur de ce poème, si souvent évoquée, répond à la plus exigeante des ambitions de son auteur, et que le fait qu'il s'y soit haussé est d'autant plus remarquable que sa carrière a été très brève[CCom 28] ». Nombre d'autres critiques, par exemple Timothy Corrigan, Thomas McFarland et Stanley Plumly, montrent tour à tour le charme bucolique se dégageant de la langue vernaculaire du poème[82], la suprématie de à l'automne, à un rossignol, sur une urne grecque, ainsi que La veille de la Sainte-Agnès et Hyperion qui ont élevé Keats au rang des plus grands créateurs de la littérature universelle[83], sans compter le succès jamais démenti de à un rossignol, sur une urne grecque et à l'automne dont la vision tragique en a fait des habituées des anthologies[84].

Annexes

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Bibliographie

Traductions en français

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Articles connexes

Liens externes

Notes et références

Citation originale de l'auteur

  1. (en)« How beautiful the season is now — How fine the air. A temperate sharpness about it. Really, without joking, chaste weather — Dian skies — I never liked stubble-fields so much as now — Aye better than the chilly green of the Spring. Somehow, a stubble-field looks warm — in the same way that some pictures look warm. This struck me so much in my Sunday’s walk that I composed upon it.[4] »
  2. (en) « I always somehow associate Chatterton with autumn. He is the purest writer in the English Language. He has no French idiom or particles […] ’tis genuine English Idiom in English words[26]. »

Citations originales des commentateurs

  1. (en) « O, wind, if winter comes, can spring be far behind[16]? »
  2. (en) « There are no open conflicts, and dramatic debate, protest […], are absent.[KB 8] »
  3. (en) « Winter descends here as a man might hope to die, with a natural sweetness[31] »
  4. (en) « an acceptance of process beyond the possibility of grief[32] »
  5. (en) « It scarcely seems pertinent to say that 'To Autumn' is therefore an evasion of social violence when it is so clearly an encounter with death itself [...], it is not a politically encoded escape from history reflecting the coerced betrayal [...] of its author's radicalism[37] »
  6. (en) « a very personal expression of desire for health[46] »
  7. (en) « concentration of imagery and allusion in its evocation of nature conveying an interpenatration of livingness and dyingness as contained in the very nature of autumn[49] »
  8. (en) « a union of process and stasis[KB 14] »
  9. (en) « the nearest to absolute perfection[63] »
  10. (en) « Keats's most perfect and untroubled poem[63] »
  11. (en) « flawless in structure, texture, tone, and rhythm[63] »
  12. (en) « I am thinking of absolute perfection in whole poems, in which every part is wholly relevant and consistent with every other part[64] »
  13. (en) « this writer is very rich both in imagination and fancy; and even a superabundance of the latter faculty is displayed in his lines 'On Autumn,' which bring the reality of nature more before our eyes than almost any description that we remember. [...] If we did not fear that, young as is Mr K., his peculiarities are fixed beyond all the power of criticism to remove, we would exhort him to become somewhat less strikingly original,—to be less fond of the folly of too new or too old phrases,—and to believe that poetry does not consist in either the one or the other[65] »
  14. (en) « One naturally turns first to the shorter pieces, in order to taste the flavour of the poetry. The following ode to Autumn is no unfavourable specimen[66] »
  15. (en) « the finest of Keats's smaller pieces[69] »
  16. (en) « all so pregnant with deep thought, so picturesque in their limning, and so suggestive[70] »
  17. (en) « the indefinable delicacy, charm, and perfection of […] Keats's [touch] in his Autumn[71] »
  18. (en) « the Ode to Autumn, ripe with the glory of the season it describes—must ever a place among the most precious gems of lyrical poetry[72] »
  19. (en) « Of these, perhaps the tow nearest to absolute perfection, to the triumphant activement and accomplishment of the Berry utmost beauty possible to human words, may be to Autumn and that on a Grecian Urn[73] »
  20. (en) « the whole magic of poetry seems contained[74] »
  21. (en) « the ode To Autumn [...] opens up no such far-reaching avenues to the mind and soul of the reader as the odes To a Grecian Urn, To a Nightingale, or On Melancholy, but in execution is more complete and faultless than any of them[75] »
  22. (en) « the most accomplished poem ever written in the English language[KB 8] »
  23. (en) « To Autumn succeeds through its acceptance of an order innate in our experience – the natural rhythm of the seasons. It is a poem that, without ever stating it, inevitably suggests the truth of 'ripeness is all' by developing, with a richness of profundity of implication, the simple perception that ripeness is fall[76] »
  24. (en) « Among the major Odes [...] no one has questioned the place and supremacy of 'To Autumn', in which we see wholly realized, powerfully embodied in art, the complete maturity so earnestly laboured at in Keats's life, so persuasively argued about in his letters[77] »
  25. (en) « in the ode 'To Autumn,' Keats finds his most comprehensive and adequate symbol for the social value of art[78] »
  26. (en) « it has often been called Keats's 'most ... untroubled poem' [...] To register the full force of its achievement, its tensions have to be felt as potent and demanding[79] »
  27. (en) « 'To Autumn' was the last work of artistic consequence that Keats completed [...] he achieved this celebratory poem, with its calm acquiescence to time, transience and mortality, at a time when he was possessed by a premonition [...] that he had himself less than two years to live[80] »
  28. (en) « If To Autumn is his greatest piece of writing, as has so often been said, it is because in it he arguably set himself the most ambitious challenge of his brief career and managed to meet it[81] »

Notes

  1. Écrite en vers blanc, publiée en 1820, Hyperion est une des œuvres majeures de Keats. Fondée sur la titanomachie, elle raconte le désespoir des titans après leur défaite face aux divinités olympiennes.
  2. Ici, peut-être une réminiscence du troisième vers du poème de Thomas Gray, Élégie écrite dans un cimetière de campagne : « The ploughman homeward plods his weary way ».
  3. À ne pas confondre avec le concerto pour violoncelle et orchestre de Hans Werner Henze du même nom, d'après le poème de Shelley.
  4. Un des plus riches fermiers de son pays, Hunt parcourt l’Angleterre, prêchant partout la réforme parlementaire et l’abolition des lois sur le blé, provoquant des attroupements qui devinrent souvent menaçants. Arrêté à la suite de la manifestation du sur le terrain de St Peter’s Fields à Manchester qui devient le massacre de Peterloo, il est condamné en 1820 à 30 mois d’emprisonnement qu’il met à profit pour rédiger A Peep into Prison, description de la situation carcérale.
  5. L'expression est issue du latin « ubi sunt qui ante nos fuerunt? » signifiant « où sont passés ceux qui nous précédèrent ? ».
  6. La Poetic Diction se traduit généralement par « langage poétique », mais l'expression anglaise, surtout depuis la mise en cause de Wordsworth dans la préface des Ballades lyriques (Lyrical Ballads) publiée en 1798, renvoie essentiellement à la période ayant précédé l'avènement du Romantisme[53].
  7. Le sonnet est introduit en Angleterre par le poète Thomas Wyatt, au début du XVIe siècle, sous forme de transpositions des formes pétrarquistes et ronsardiennes. C'est Henry Howard, comte de Surrey, qui donne à cette forme poétique ses caractéristiques essentielles, qu'elle conserve toujours dans la langue anglaise, du point de vue du mètre et de la distribution des rimes. À partir de 1591, il y a un engouement pour les « séquences de sonnet » ; parmi les poètes qui suivent cette mode figurent Edmund Spenser et William Shakespeare, dont les sonnets sont d'autre part originaux — ils suivent le modèle du comte de Surrey et le popularisent, à tel point qu'on parle aujourd'hui pour ce type de sonnet de « sonnet shakespearien » — alors que les autres utilisent les formes de Pétrarque. Spenser invente une forme spécifique de sonnet, appelé « sonnet spensérien » (spenserian sonnet), qui adopte le schéma suivant : abab bcbc cdcd ee, reprenant le principe de la terza rima italienne.
  8. Il a prononcé la John Keats Memorial Lecture de 1983 ((en) W. Walsh, « John Keats Memorial Lecture: The Keatsian paradox: the hectic and the healthy », Ann R Coll Surg Engl, vol. 66, no 2,‎ , p. 139–44 (PMID 6367610, PMCID 2492397, lire en ligne [PDF])).

Références

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Autres sources

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