Le Nathu La (tibétain : རྣ་ཐོས་ལ་, Wylie : rna thos la ; sanskrit : नाथू ला ; IAST : nāthū lā), aussi appelé col Nathu, est un col de montagne de l'Himalaya qui relie, à 4 310 mètres d'altitude, l'État du Sikkim en Inde à la région autonome du Tibet en Chine. Les chutes de neige qui se produisent à cette altitude contraignent à la fermeture hivernale du col durant quatre mois environ, tandis que la mousson estivale rend les sols propices aux glissements de terrain qui compliquent son accès en été. L'environnement du col, qui abrite plusieurs espèces protégées, est fragile.
Le col se trouve historiquement sur une des branches de l'ancienne route du thé et des chevaux et de la route de la soie ayant permis les communications entre le sous-continent indien et le monde chinois, si bien qu'il est devenu un enjeu commercial majeur pour l'Empire britannique de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle. Après l'indépendance de l'Inde, le col est un point de passage pour de nombreuses personnalités chinoises, tibétaines et indiennes mais, en 1962, la guerre sino-indienne et des affrontements directs au col provoquent sa fermeture jusqu'en 2006. Depuis, le commerce est de nouveau autorisé sur certains produits détaxés, avec un nombre limité de marchands et avec des restrictions journalières ; il reste en deçà des prévisions. De nouveaux aménagements ont été construits au col et il attire des touristes indiens.
Toponymie
En sanskrit, Nāthū signifie « oreilles qui écoutent » alors que Lā est le mot désignant un col de montagne[1] ; c'est la transcription du devanagariनाथू ला, parfois orthographiée Nathula ou Natula. En chinois simplifié, il est appelé 乃堆拉山口 dont la transcription en pinyin est Nǎiduīlā Shānkǒu ; on rencontre aussi l'orthographe Natoi La[2]. Son nom tibétain est རྣ་ཐོས་ལ་, dont la translittération Wylie est rna thos la.
La voie d'accès depuis Gangtok par la route Jawaharlal Nehru est longue de 52[5] à 54 kilomètres[6] avec le franchissement de plusieurs cols et vallées. Sur le versant sud-ouest du col, une route bifurque vers le sud pour le relier à Pedong puis à Kalimpong. Sur le versant tibétain, la route rejoint Rinqingang(en) en 25 kilomètres et met Lhassa à 430 kilomètres du col[5].
Aucun instrument météorologique ne permet d'étudier le climat au Nathu La ou dans ses environs, bien que l'installation d'un pluviomètre soit requise au col[10]. De mi-novembre à fin mars, les chutes de neige[3] contraignent généralement à la fermeture du col. L'été, de mi-juin à mi-septembre, le relief agit comme une barrière face à la mousson estivale et le bassin de la Teesta connaît d'importantes précipitations. L'étage alpin et les vallées sont cependant moins arrosés que les collines bordières. L'intersaison d'avril à mi-juin, la transition météorologique amène parfois des orages[11]. Au-delà de 4 000 mètres d'altitude, au Sikkim, la température n'excède jamais 15 °C[12] et, au col, elle avoisine 10 °C de mai à novembre[3] ; l'hiver, elle peut descendre à −25 °C[3].
Les premières tentatives de commerce de la part des Britanniques avec le Tibet ont lieu en 1774, lorsque Warren Hastings dépêche George Bogle au nom de la Compagnie britannique des Indes orientales auprès du sixième panchen-lamaLobsang Palden Yeshe à Shigatsé, puis en 1783 avec l'envoi d'une nouvelle mission ; ces tentatives restent commercialement infructueuses[20]. En 1815, le commerce régional connaît un nouvel essor après l'annexion au sein de l'Empire britannique des territoires occupés par les Sikkimais, Népalais et Bhoutanais. Le potentiel du col est mis en avant en 1874-1875 après la publication par J.W. Edgar, commissaire adjoint de Darjeeling, d'un rapport sur l'importance stratégique des cols entre le Sikkim et le Tibet. Le à Calcutta, la Grande-Bretagne et la dynastie Qing signent la Convention relative au commerce, à la circulation et au pâturage au Sikkim et au Tibet, un des accords entre l'Empire britannique et les Mandchous qui se heurte à l'opposition des Tibétains et suscite des incidents[23],[1],[20]. Seuls les armes, le sel, les liqueurs et les produits narcotiques sont prohibés[24],[20],[25].
Le Nathu La et le Jelep La(en) jouent un rôle majeur en 1903-1904 lors de l'expédition militaire britannique au Tibet qui cherche à contrecarrer l'ingérence russe dans les affaires tibétaines. Durant l'été, le lieutenant-colonel Francis Younghusband, en tant que commissaire aux affaires de la frontière tibétaine, franchit le col et stationne à Khampa Dzong. En décembre, faute de négociateur tibétain, il reçoit l'ordre de poursuivre jusqu'à Lhassa. En avril, il prend Gyantsé et sa forteresse. La convention entre la Grande-Bretagne et le Tibet, signée le 7 septembre, accorde aux Britanniques les comptoirs de Gyantsé, Yadong et Gartok, ainsi que l'occupation de la vallée de Chumbi contre versement progressif d'une indemnité de la part des Tibétains[26],[27],[28]. Rejeté par le gouvernement impérial, l'accord est retoqué par le traité de Pékin de 1906[29]. Au début du XXe siècle, le col représente la porte d'entrée du Tibet, qu'Alexandra David-Néel ne fait qu'observer en 1912[30], tandis que Fosco Maraini et Giuseppe Tucci empruntent cette voie en 1937 et en 1948. Maraini mentionne que le militaire britannique Granger, Anagarika Govinda et sa compagne, Li Gotami, empruntèrent aussi le Nathu la, ces deux derniers ayant fait escale comme lui au monastère kagyu Tsé-Choling sur le versant tibétain de la route caravanière[31].
Après le rejet par référendum local de l'intégration du Sikkim au sein de Union indienne, un statut de protectorat est accordé en 1950 par le Premier ministre de l'IndeJawaharlal Nehru. Ainsi, le contrôle des frontières est assuré par des troupes indiennes. À cette époque, plus de 1 000 mules[25], dont 200 chaque jour transportant 80 kilogrammes chacune[32], et 700 hommes[25], essentiellement de la communauté des Marwaris[27], participent au commerce transfrontalier par le col : l'Inde importe de la laine, de la soie, du cuir, de la liqueur, des herbes médicinales, des queues de yak, des pierres précieuses, de l'or et de l'argenterie et exporte vers le Tibet des vêtements en coton, des céréales, de l'huile alimentaire, du tabac, des savons, des montres, des stylos, des matériaux de construction et des carcasses de voitures et de scooters[25],[32]. La fréquentation s'est accrue dès 1949 à la suite de l'expulsion en juillet par le gouvernement tibétain des Chinois de son territoire, prétextant que la mission chinoise à Lhassa n'avait plus de liens avec le gouvernement nationaliste et n'était pas encore accréditée par le gouvernement communiste de Mao Zedong, mais craignant en réalité que certains ne le rejoignent ; ces derniers passent majoritairement par le Sikkim puis Calcutta avant de gagner la Chine[33].
En 1959, avec le soulèvement tibétain réprimé par l'Armée populaire de libération, le col devient un corridor de réfugiés. En 1962, au cours de la guerre sino-indienne, le Nathu La connaît des escarmouches. Le col est fermé peu de temps après. Du 7 au , les armées chinoise et indienne s'affrontent à coups d'artillerie lourde et de mortiers[40]. Selon la version indienne, une compagnie du génie chargée d'installer une clôture sur l'arête septentrionale du col a été prise pour cible. Le bilan des incidents de Nathu La et de Chola est de 88 morts parmi les soldats indiens et estimé à 300 du côté chinois[41]. En 1975, le Sikkim rejoint finalement l'Inde en tant qu'État, mais la Chine refuse dans un premier temps de reconnaître la situation[42],[43]. Pendant quarante ans, la seule personne autorisée à franchir les barrières est un postier chinois, escorté de militaires indiens, afin de remettre du courrier en main propre à un homologue dans un bâtiment à la frontière[43].
En 2003, avec le dégel des relations entre les deux pays, la visite du Premier ministre indien Atal Bihari Vajpayee en Chine conduit à la reprise des pourparlers sur la frontière. L'année suivante, un accord est trouvé par le ministre indien de la défense. L'ouverture effective du col, d'abord prévue pour le , est repoussée en raison de retards dans la construction de la ligne de chemin de fer Golmud-Lhassa et dans le renforcement des infrastructures chinoises de défense[44]. Finalement, elle a lieu le [42], coïncidant avec le 71e anniversaire du dalaï-lama et scellant la reconnaissance diplomatique sur la situation du Sikkim[27]. L'événement est célébré du côté indien en présence d'officiels des deux pays. Des délégations de cent marchands indiens et autant de tibétains franchissent respectivement la frontière vers les villes commerçantes proches. Malgré les fortes précipitations et le vent froid, la cérémonie est suivie par de nombreux médias officiels, locaux et internationaux[42],[45]. Les barbelés sont remplacés par un passage de dix mètres de large[46] sur vingt mètres de long[45] muré sur les deux côtés avec deux portails centraux[46],[45]. L'année 2006 est déclarée année de l'amitié sino-indienne[46],[47]. Parallèlement, le 20 novembre, la Border Roads Organisation, branche de l'armée indienne pour le génie civil, est chargée d'élargir la route qui mène au col par l'ouest sur un plan de quatre ans[48].
À partir de juin 2015, les pèlerins hindouistes sont de nouveau autorisés à passer le col et la frontière pour se rendre au mont Kangrinboqe (mont Kailash) et au lac Mapam Yumco (lac Manasarovar)[49].
Activités
Commerce frontalier
Depuis 2006, le commerce frontalier est autorisé du lundi au jeudi[42]. Une liste de marchandises exemptées de taxe douanière est désormais applicable aux populations locales. Ainsi, une licence est accordée à cent commerçants sikkimais, dont certains exerçaient déjà avant 1962. L'Inde peut exporter librement des outils agricoles, des bicyclettes, des couvertures, des habits, des chaussures, du cuivre ouvragé, du café, du thé, de l'orge, du riz, de la farine, des fruits secs, des légumes, de l'huile végétale, du tabac, du tabac à priser, des épices, du kérosène, de la papeterie, des ustensiles, des produits laitiers, de la nourriture en conserve, des colorants et des herbes locales ; la Chine peut exporter des peaux de chèvre et de mouton, de la laine, de la soie en bobine, des queues et poils de yak, du kaolin, du borax, du beurre, du sel alimentaire, des cheveux, des chèvres et des moutons. Le commerce s'effectue respectivement dans les marchés de Sherathang et de Renqinggang, à respectivement six kilomètres à l'ouest et dix kilomètres à l'est du col[45],[50],[51].
Des craintes se sont exprimées du côté indien sur le risque que les produits locaux trouvent peu de clientèle au Tibet, alors que la Chine aurait les portes ouvertes à un marché dynamique au Sikkim et au Bengale-Occidental[52]. L'ouverture du col était censée stimuler l'économie de la région et dynamiser les échanges sino-indiens mais elle n'a pas eu l'effet escompté : les trois premiers mois, les échanges bilatéraux se sont chiffrés à environ 186 000 $ selon des statistiques du Bureau régional du commerce de la république autonome du Tibet. Les restrictions sur les marchandises[53] ainsi que le manque d'accueil des Chinois côté indien[54] sont mis en cause. L'année suivante, le col a ouvert durant sept mois et a permis l'échange de 161 tonnes de produits pour une valeur de 595 000 $ par le biais de 2 562 passages de véhicules à la frontière[55]. En 2010, l'objectif fixé cinq ans auparavant de 580 millions de $ cumulés est loin d'être atteint, avec 1,5 million de $ exportés en Chine et seulement 50 000 $ vers l'Inde[24]. En 2012, toutefois, les relations bilatérales ont permis une hausse des échanges par le col avec respectivement 1,125 millions de $ et 200 000 $ sur cette seule année[24]. La fermeture du col une grande partie de l'année à cause des chutes de neige, les glissements de terrain durant la mousson et les retards dans l'élargissement de la route côté indien continuent de pénaliser le commerce[24].
Dès 2006, le gouvernement indien a mis en place un plan de lutte contre le trafic de produits animaliers, comme les peaux et les os de tigres et de léopard, les vésicules biliaires d'ours, les fourrures de loutres et la laine d'antilope du Tibet, en sensibilisant la police et les organismes législatifs locaux. L'essentiel de ce commerce illicite passe actuellement par le Népal voisin[56].
Tourisme
Afin de préserver le fragile environnement du Nathu La, le gouvernement indien a mis en place une politique de régulation touristique sur le versant occidental du col. Seuls les ressortissants indiens sont autorisés à visiter le col, et uniquement les mercredis, jeudis, samedis et dimanches, avant 13 h 30, après avoir déposé une demande de permis 24 heures à l'avance à Gangtok[6],[45]. Ils peuvent se recueillir devant le mémorial de guerre, visiter un centre d'exposition de l'armée et se restaurer à la cantine militaire qui sert du thé chaud et des casse-croûtes ; l'accès se fait par un escalier d'environ 90 marches. Les militaires stationnés aux postes-frontières sont devenus des attractions pour les touristes, qui les prennent en photo et sont parfois autorisés à leur serrer la main par-dessus les barbelés. Il est également possible de s'approcher des bunkers situés de part et d'autre tout le long de la crête[3]. Le col est en particulier emprunté lors de pèlerinages bouddhistes au Sikkim afin de se rendre notamment au monastère de Rumtek. Il est également susceptible de raccourcir de plusieurs jours les pèlerinages au mont Kailash et au lac Manasarovar pour les hindouistes[57],[58]. Si le commerce a eu du mal à profiter de la réouverture du col, le tourisme a en revanche connu un pic avec 7 000 visiteurs de début juillet à fin septembre 2006 à Yadong et 216 000 $ de revenus, soit une hausse de 53 % par rapport à l'année précédente[53].
Vue des aménagements au col : le passage frontalier est à gauche, le bureau de l'armée indienne au centre masque en partie le bureau de l'armée chinoise en arrière-plan.
Cérémonie d'accueil des touristes indiens.
Élevage
Aucun peuplement permanent n'est présent autour du col, toutefois quelques bergersnomadestibétains, appelés dokpas, élèvent des yaks, des moutons et des chèvres produisant de la laine pashmînâ. La fermeture de la frontière durant quarante ans a entraîné un surpâturage tant par les animaux domestiques que par les herbivores sauvages. La présence de mines terrestres cause encore la mort d'animaux[15].
Protection environnementale
Le col en lui-même ne fait partie d'aucune zone protégée. En revanche, la route d'accès vers Gangtok est en partie bordée au nord par le sanctuaire alpin de Kyongnosla[14],[59], un sanctuaire de vie sauvage créé en 1984[16] sur une superficie de 31 km2[14],[16],[19],[59], tandis que la route vers Pedong est largement bordée à l'est par le sanctuaire de la vie sauvage de Pangolakha[18],[59], créé en 2002[17] sur une superficie de 124 km2[17],[18],[59]. La présence d'unités militaires et le flux touristique, la pollution engendrée sur les zones humides et l'important trafic routier sont les principaux problèmes posés sur la préservation environnementale du versant indien du col[14],[17].
↑(zh) Bureau des noms de l'Institut national de topographie et de cartographie, Noms de lieux du Tibet, Pékin, Éditions de la tibétologie en Chine, 1995, p. 337.
↑ ab et c(en) [PDF] The Environmental Information System Center, Ecodestination of India - Sikkim chapter, Ministry of Environment and Forest, Government of India, 4 juin 2006, p. 43.
↑(en) [PDF] The Environmental Information System Center, Ecodestination of India - Sikkim chapter, Ministry of Environment and Forest, Government of India, 4 juin 2006, p. 33.
↑ a et b(en) [PDF] The Environmental Information System Center, Ecodestination of India - Sikkim chapter, Ministry of Environment and Forest, Government of India, 4 juin 2006, p. 10.
↑ abcd et e(en) [PDF] The Environmental Information System Center, Ecodestination of India - Sikkim chapter, Ministry of Environment and Forest, Government of India, 4 juin 2006, p. 44.
↑ ab et c(en) [PDF] The Environmental Information System Center, Ecodestination of India - Sikkim chapter, Ministry of Environment and Forest, Government of India, 4 juin 2006, p. 114.
↑Jeff Fuchs, The Ancient Tea Horse Road: Travels With the Last of the Himalayan Muleteers, Viking Canada, 2008 (ISBN978-0670066117), p. 211 : « One trail crossed the Nathu La (Nathu Pass) destined for Gangtok in Sikkim, while the other path crossed the Jelep La (Jelep Pass) into Kalimpong, in west Bengal. From these two towns the caravans could access goods at the port of Calcutta. »
↑(en) Michael Carrington, « Officers Gentlemen and Thieves: The Looting of Monasteries during the 1903/4 Younghusband Mission to Tibet », Modern Asian Studies no 37, 1, 2003, p. 81-109 [lire en ligne].
↑(en) John Powers, History As Propaganda : Tibetan Exiles versus the People's Republic of China, Oxford University Press, 2004, p. 80-82 [lire en ligne].
↑Jean Dif, Chronologie de l'histoire du Tibet et de ses relations avec le reste du monde (suite 2) : « Les Chinois négocient avec les Britanniques le traité de Pékin. Échaudés par les déconvenues qu’ils viennent d’essuyer, affaiblis par la chute du ministère Balfour à Londres, les Anglais décident de se montrer conciliants avec la Chine. La convention de Lhassa est aménagée. Il n’y aura pas d’occupation anglaise du territoire tibétain. L’indemnité de guerre se règlera en trois fois. La suzeraineté de la Chine sur le Tibet est réaffirmée. Cette dernière puissance règle les sommes dues aux Anglais par les Tibétains ».
↑(en) Sreedhar, China Becoming A Superpower and India's Options, Across the Himalayan Gap: An Indian Quest for Understanding China, Éd. Tan Chung, Indira Gandhi National Centre for the Arts, New Delhi, 1998.
↑(en) Keshav Mishra, Rapprochement Across the Himalayas: Emerging India-China Relations Post Cold War Period (1947-2003), Gyan Publishing House, 2004 (ISBN978-8178352947), p. 40 [lire en ligne].
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