La mort de Souheil El Khalfaoui, un jeune marseillais, est médiatisée lorsque celui-ci est tué par la police dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille le , au cours d'un contrôle routier. La police plaide la légitime défense, qui est remise en question par plusieurs témoignages. L'affaire est classée sans suite en décembre 2021 puis rouverte après que l'avocat de la famille dénonce une enquête bâclée par l'IGPN et porte plainte pour « obstruction à la manifestation de la vérité », constatant que des vidéos d'une caméra de surveillance située à l’endroit même du contrôle, qui n'avaient pas été placées sous scellés, ont disparu. Un juge d’instruction est désigné en octobre 2022 ; il est remplacé deux ans plus tard, avant d'avoir auditionné le tireur.
Victime
Souheil El Khalfaoui
Souheil El Khalfaoui, sur une affiche annonçant le "marathon de la vérité" en novembre 2011 à Marseille
Le mercredi , vers 18 heures[1], dans le quartier de la Belle de Mai, au croisement des rues Bonnardel et Fortuné-Jourdan, le policier Romain Devassine tue Souheil El Khalfaoui, un jeune marseillais de 19 ans, au cours d'une opération de contrôle.
L'équipe de police était formée de trois membres, un brigadier-chef, un policier stagiaire au moment des faits (le tireur)[3] et un adjoint de sécurité (ADS, le blessé) inexpérimenté[1],[4].
Selon la police, Souheil El Khalfaoui aurait commis un délit de fuite la veille et les fonctionnaires ont reconnu son véhicule[1]. Selon le témoignage d'un voisin, les policiers « sont arrivés, les jeunes étaient très calmes mais eux étaient agressifs. Ils disaient qu’ils le reconnaissaient, qu’il avait échappé à un contrôle de police la veille. Lui disait que c’était pas vrai, qu’ils n’avaient qu’à appeler sa mère pour vérifier »[4].
Selon le syndicat Alliance Police nationale, Souheil El Khalfaoui aurait voulu fuir à bord de sa voiture et renversé un policier[5],[6]. Il s'agirait donc de légitime défense[7], un discours classique dans les affaires de violences policières[8]. Au cours du contrôle, Souheil El Khalfaoui aurait redémarré en marche arrière, percutant l'ADS. Lors du passage du véhicule à sa hauteur, celui-ci aurait tiré par la fenêtre de la voiture, touchant Souheil au thorax[4].
Selon un enquêteur de l'IGPN, « tout ce qui apparaissait dans le dossier se confirme et notamment le délit de fuite de la veille. La seule chose qui reste, c’est la question de la proportionnalité [de la riposte]. Comme le fonctionnaire n’est pas gravement blessé, on peut se la poser. » En effet, des vidéos dans lesquelles on voit l'ADS debout après le tir interrogent sur la gravité de sa blessure[4], mais la procureure de Marseille précise que l'ADS a obtenu dix jours d’interruption totale de travail[1].
Une vidéo montre l'infirmière qui était de passage apporter les premiers soins à Souheil El Khalfaoui, encore vivant d'après elle, devant les trois agents inactifs. Pour la famille, c'est « une non-assistance à personne en danger ». L’arrivée des pompiers est jugée tardive, malgré « un appel immédiat à Police secours »[4].
Du 12 au 14 novembre 2021, la famille de Souheil El Khalfaoui organise un « marathon de la vérité » sur le Vieux-Port de Marseille. La série de rencontres, débats et projections se termine par un rassemblement[1],[13],[14],[15],[16].
Presque deux ans après la mort de Souheil, son père Issam El Khalfaoui ouvre une marche pour la justice à Marseille, marquée par d'autres meurtres récents, notamment celui de Nahel à Nanterre: « l’histoire de Nahel a ravivé beaucoup de souvenirs et de douleur. Sauf que pour Souheil la vidéo a été perdue par l’IGPN »[17].
En juillet 2023, le père de la victime, Issam El Khalfaoui, témoigne pendant des manifestations contre les violences policières de son « écœurement » : « le président de la République n’a fait aucune proposition. Le syndicat de police Alliance, la télévision, déversent un racisme décomplexé. Et on nous interdit de manifester »[18].
Romain Devassine, le policier qui a tiré, participe comme rider de BMX à la cérémonie d'ouverture des JOs[2],[19],[20],[21],[22]. Scandalisé, le père de la victime dénonce[23]« une enquête biaisée qui s’éternise », et une institution policière « prête à tout pour systématiquement disculper l’un des siens »[2]
Suites judiciaires
Cette section est liée à une affaire judiciaireen cours (août 2021). Le texte peut changer fréquemment, n'est peut-être pas à jour et peut manquer de recul. N'hésitez pas à participer à l'écriture de synthèse de manière neutre et objective, en citant vos sources. N'oubliez pas que, dans nombre de systèmes judiciaires, toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement établie. Affaire judiciaire en cours
Deux enquêtes sont ouvertes immédiatement après le meurtre, l'une par l'IGPN pour l’usage de l’arme, l'autre par la police judiciaire pour « tentative d’homicide »[5],[24]. Selon la famille, l'IGPN n'a pas interrogé les témoins[1].
Une semaine plus tard, la famille conteste la thèse de la légitime défense sur la base de nombreux témoignages qui contredisent la version de la police, et demande l’ouverture d’une information judiciaire[4],[25]. La famille dépose plainte pour homicide volontaire et non-assistance à personne en danger[26],[27].
En novembre 2021, alors que l’enquête préliminaire est toujours en cours, le parquet privilégie la thèse de la légitime défense. La famille réclame la nomination d’un juge d’instruction[28]. Le 16 décembre, l’enquête de l'IGPN est classée sans suite par le procureur adjoint André Ribes au motif de la « légitime défense »[29],[30],[31].
En février 2022, selon Libération, la procureure de la République de Marseille a demandé à l’IGPN un complément d’enquête[32],[33],[34]. Cette réouverture du dossier fait suite à la contre-enquête menée par le nouvel avocat de la famille, Arié Alimi, qui dénonce une première enquête bâclée et révèle plusieurs éléments qui ont été ignorés par l'IPGN, ainsi que la destruction de preuves[35]. La famille porte plainte contre l'IGPN pour « obstruction à la manifestation de la vérité », et demande le dépaysement de l’affaire[36],[37]. La plainte vise notamment l’un des enquêteurs, le brigadier Stéphane R., qui n'a pas placé sous scellés six vidéos de caméra de surveillance située à l’endroit même du contrôle, dont trois ont ensuite disparu[36]. La famille se constitue partie civile[38] et un juge d’instruction est désigné en octobre 2022. Après son départ du tribunal, il est remplacé par l'un se ses collègues pendant l'été 2024[2].
En juillet 2024, le policier tireur et visé par une information judiciaire pour homicide volontaire est en poste dans une autre ville des Bouches-du-Rhône ; il n'a pas encore été auditionné par le juge d’instruction[2].
↑Mediapart a retracé le parcours du tireur, Romain Devassine, qui est entré dans la police comme adjoint de sécurité en 2017, puis a réussi le concours de gardien de la paix et intégré une école de police. Il est affecté, en tant que stagiaire, à la police secours à Marseille à sa sortie de l'école, en décembre 2020[2].
↑« Vanessa Codaccioni : « Les policiers incarnent le monopole de la violence physique légitime de l’Etat » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )