Melong X, 12, novembre–décembre 1939, page de garde. « La roue du Dharma préside le dalaï-lama, et le garçon réincarné est comme le soleil ; Il revient au jardin du pays des neiges ; Avec un sourire qui brille dans le monde. »
Miroir du Tibet (tibétainYulchog Soseu Sargyour Mélong, tibétain : ཡུལ་ཕྱོགས་སོ་སོའི་གསར་འགྱུར་མེ་ལོང, Wylie : yul phyogs so so'i gsar 'gyur me long, en anglais Tibet Mirror) ou Miroir des nouvelles est le nom d'un journal en langue tibétaine, édité en Inde entre 1925 et 1962, et distribué au Tibet. Gyégyèn Tharchin (Gergan Tharchin) en était à la fois le journaliste, le rédacteur en chef et le directeur de publication. Dès le début l'auteur présente une ligne clairement anticommuniste[1]. Vers la fin des années 1940, lorsque les communistes progressent, il chauffe ses lecteurs en les alertant d'une risque imminente d'invasion chinoise[2]. Après 1950, il se positionne sur une ligne nationaliste anti-chinoise et pro-tibétaine[2].
Naissance (1925)
La tibétologue Françoise Robin indique que le Miroir des nouvelles a utilisé plusieurs titres en anglais ; « Tibet Mirror, Weekly Tibet Mirror (lorsque la parution était hebdomadaire), ou encore Tibetan Newspaper. Mais le titre tibétain ne varia jamais pendant ses trente-huit ans d’existence : c’était toujours « Le Miroir des nouvelles de chaque région » (Yul phyogs so so’i gsar ’gyur me long, ཡུལ་ཕྱོགས་སོ་སོའི་གསར་འགྱུར་མེ་ལོང་།) »[3].
Créé en 1925 à Kalimpong dans le Bengale-Occidental, le Miroir du Tibet est, après Le Journal du Ladakh (Ladakh Kyi Akbar), le deuxième journal de langue tibétaine à avoir vu le jour. Son initiateur fut un certain Gergan Dorje Tharchin, Tibétain de confession chrétienne exerçant le ministère de pasteur à Kalimpong, ville peu éloignée de la frontière et vivant du commerce de la laine entre le Tibet et l'Inde. Né en 1890 dans le village de Poo dans l'Himachal Pradesh, il avait été l'élève des missionnaires moraves[4],[5] (il n’y eut jamais, toutefois, dans le journal, d’articles faisant du prosélytisme)[4].
Périodicité, tirage et distribution
De périodicité mensuelle, le journal parut pour la première fois en octobre 1925 sous le titre Yulchog Sosoi Sargyur Melong (Miroir des nouvelles de toutes les parties du monde)[6],[7]. Tiré à 50 exemplaires, il fut envoyé par Gergan Tharchin à des amis à Lhassa, ainsi qu'au 13e dalaï-lama, lequel lui écrivit une lettre d'encouragement et devint un lecteur enthousiaste et un abonné régulier[8]. Le 14e dalaï-lama devait hériter de l'abonnement qui continua sans interruption jusqu'en 1959[9],[8].
Le Miroir du Tibet eut jusqu'à 150 abonnés, et était diffusé, outre à Lhassa, dans les villes de Lithang, Kantzé, Dégué, Gyantsé et Shigatsé[8].
Il permit au jeune 14e dalaï-lama de commencer à étudier le monde extérieur. Quand il sut lire, les affaires du monde le passionnèrent, et aujourd'hui il se souvient des numéros du journal contenant de longues histoires sur le Japon, l'Éthiopie et la Grande-Bretagne, et des rapports sur la Seconde Guerre mondiale[8].
Gergan Tharchin
Tharchin était à la fois journaliste, rédacteur en chef et directeur de la publication. Il choisissait les nouvelles dans les journaux auxquels il était abonné et les traduisait en tibétain pour le journal[10]. Il s'était donné comme objectifs d'œuvrer à l'éveil des Tibétains au monde moderne et à l'ouverture du Tibet sur le monde extérieur[11]. Le journal rapportait ce qui se passait dans le monde (la révolution chinoise, la Seconde Guerre mondiale, l'indépendance de l'Inde, etc.) mais aussi et surtout en Inde, au Tibet et à Kalimpong même[12]. Il proclamait être un sujet du Raj britannique puis, plus tard, indien. Il était avec le Tibet, mais en tant que chrétien, contrairement à la majorité des Tibétains ou des Indiens[13]. Dans le no 7 de 1952, l'auteur proclame, « Nous, les mangeur de tsampa, les porteurs de chuba, les joueurs de dés, mangeurs de viande crue et séchée, suiveurs du bouddhisme tibétain, parlant une langue tibétaine, le peuple du Ngari Korsum, de l'U-Tsang Ruzhi, du Dokham Gangdrug, les 13 trikors [myriarchies] du Tibet, nous devons nous efforcer de terminer l'occupation [chinoise]. [...] Pour cela, chacun doit s'impliquer dans les efforts. Cette requête est faite par l'éditeur »[14].
Influence et positionnement pro-tibétain
Malgré son minuscule tirage, il eut une énorme influence sur un petit cercle d'aristocrates tibétains, et un cercle encore plus restreint de réformistes[15].
L'intellectuel tibétain Gendün Chöphel (1903-1951) contribue au journal avec des articles critiques[3].
Le journal se fit l'avocat de l'indépendance du Tibet. Ses bureaux devinrent un lieu de réunion pour les nationalistes, érudits et dissidents[16] tibétains soucieux de moderniser le Tibet pour contrer le défi que constituait une Chine renaissante[17]. Ainsi, en 1946, Tharchin reçut la visite de Phuntsok Wangyal, le fondateur du parti communiste tibétain. Celui-ci expliqua qu'il était venu après la lecture d'un exemplaire du Miroir du Tibet et qu'il souhaitait rencontrer un représentant britannique par l'intermédiaire de Tharchin pour obtenir de l'aide en raison de l'imminence d’une invasion par les communistes chinois[4]. Selon Barun Roy, Tharchin était en étroit contact avec le milieu du renseignement britannique à Kalimpong, ville où se nouaient des intrigues politiques entre espions britanniques, indiens et chinois, réfugiés du Tibet, de Chine, d'Inde et de Birmanie, plus un zeste d'érudits, moines et lamas bouddhistes. Il eut aussi à connaître l'agent secret japonais Hisao Kimura, qui, après avoir séjourné clandestinement en Mongolie pour le compte du gouvernement japonais, avait voyagé en secret au Tibet pour celui du renseignement britannique[18],[19].
Dans les années 1950, les communistes chinois tentèrent de courtiser Tharchin par l’entremise d’un aristocrate tibétain qui lui demanda de ne plus publier d’articles « anti-chinois » et de se concentrer sur les « progrès » réalisés par la Chine au Tibet, contre la promesse d’une commande chinoise de 500 exemplaires du journal, et l’assurance de ne pas faire faillite. Tharchin refusa[4],[20].
Après 1950 le journal se positionne sur une ligne clairement nationaliste. Ainsi un article en date du indique : « prétendre que l’État chinois souhaite accorder la liberté au Tibet ou envisage de le faire est semblable à une fleur dans le ciel, à une corne de lapin » – autant d’images familières dans le bouddhisme indo-tibétain pour désigner une impossibilité ontologique »[3]. Françoise Pommaret indique qu'en 1959, un appel à la résistance tibétaine paru dans Miroir du Tibet « s'adressait non pas aux Tibétains mais à tous les mangeurs de tsampa, tant la farine d'orge grillé est symbolique de l'identité tibétaine »[21],[22].
Disparition (1962)
Le Miroir du Tibet cessa d'être publié en 1962 lorsque les réfugiés tibétains firent paraître leur propre journal – Tibetan Freedom (« Liberté tibétaine ») – à Darjeeling[23]. Tharchin, trop âgé pour continuer à s'en occuper, devait décéder en 1976[24].
En 2005, la maisonnette ayant servi de siège social au journal était toujours debout sur la route de Giri, arborant un panneau portant l'inscription THE TIBET MIRROR PRESS, KALIMPONG, Estd. 1925 (c'est-à-dire « Presse du Miroir du Tibet, Kalimpong, fondée en 1925 ») et l'équivalent en tibétain et en hindi[25].
L'université Columbia aux États-Unis a rassemblé une collection presque complète du Miroir du Tibet[26]. En France, l'Institut d'études tibétaines (IET) est détenteur de la plus grande collection du journal en Europe, dont une partie a été numérisée dans le cadre d'un accord avec l'université Columbia[27].
Notes et références
↑(Moskaleva 2018, p. 98,99) « A nrief browsing through The Tibet Mirror issues gives an impression that the newspaper editor most certainly was not trying to keep silent about his political opinion, which was a markedly anticommunist stance. »
↑Lobsang Wangyal, op. cit. : « Yulchog Sosoi Sargyur Melong (Mirror of News from All Sides of the World) was the original Tibetan name of the Tibet Mirror. The first issue of the newspaper came out in October 1925. The issues came out at irregular intervals. »
↑On trouve aussi « Yul phyogs so so'i Gsar 'gyur Me long (Le Miroir de l'information de toutes les régions) » sous la plume de Françoise Robin, dans Le vers libre au Tibet : une forme littéraire de l'intime au service d'un projet collectif, dans D'un Orient l'autre: actes des troisièmes journées de l'Orient, Bordeaux, 2-4 octobre 2002 (sous la direction de Jean-Louis Bacqué-Grammont, A. Pino, S. Khoury, Peeters Publishers, 2005, 606 p., p. 573-601, en part. p. 583, note 31.
↑Lobsang Wangyal, op. cit. : « Of the fifty initial copies, most were sent to his friends in Lhasa, including one to the 13th Dalai Lama. The 13th Dalai Lama became an ardent reader of the paper and encouraged Tharchin to continue with the publication (...). The current 14th Dalai Lama inherited the subscription of the late 13th. »
↑Lobsang Wangyal, op. cit. : « "It was my grandfather who did all the work of the newspaper. He selected the news from the newspapers he subscribed to and translated them for the paper". »
↑Lobsang Wangyal, op. cit. : « Tharchin (...) made much effort to report on affairs of the world, to educate Tibetans and to encourage the opening up of Tibet to the changing modern world. »
↑Thubten Samphel, op. cit., p. 173 : « The Mirror published articles on world events and especially reported what was taking place in India, Tibet and in the region of Kalimpong. »
↑« “We, the tsampa eaters, chuba wearers, dice players, raw and dried meat eaters, followers of Tibetan Buddhism, Tibetan language speakers, the people from Ngari Korsum, U-Tsang Ruzhi, Dokham Gangdrug, the thirteen trikors of Tibet, we must make the effort to end the [Chinese] occupation.... For this everyone must put in effort. This request is made by the publisher” ».
↑Thubten Samphel, op. cit., p. 173 : « Despite its minuscule circulation, the impact of Tibbet Mirror, though confined to a small circle of Tibetan aristocrats and an even smaller circle of Tibetan reformists (...) was enormous. »
↑Au sens d'opposants au gouvernement ultraconservateur de l'époque.
↑Thubten Samphel, op. cit., pp. 173 et 175 : « Tibetan nationalists, scholars and dissidents held regular conclaves at Babu Tharchin's place to discuss how Tibet could best avoid the gathering political storm », « Tharchin Babu and the office of Tibet Mirror became the meeting point of intellectuals and reformists who wanted to modernize Tibet so that it would effectively counter the challenges posed by a resurgent China. »
↑(en) Barun Roy, Essay: A Japanese Agent in Tibet, sur le site The Himalayan Beacon, News, views and insights from Gorkhas World Over!, 9 septembre 2009 : « He proves to have extensive contacts with the secret world of British intelligence who are preoccupied with the ‘Great Game’, the struggle for power and influence in Central Asia. »
↑Barun Roy, op. cit. : « In the late 1940s, Kalimpong (...) could be rightly described as a nest of political intrigue, involving British, Indian and Chinese spies, refugees from Tibet, China, India and Burma, with a sprinkling of Buddhist scholars, monks and lamas. »
↑« Tharchin babu told the Tibetan Review : (...) In the 50's they (the Chinese communists) (...) used to try to woo me. Once a Tibetan aristocrat came to see me here with presents. He said (...) that I should not publish more anti-Chinese articles. Instead I should concentrate on the 'progress' made by China in Tibet. If I agreed the Chinese would order 500 copies of every issue (...) and they would also make sure I don't run at a loss. I refused. »
↑Thubten Samphel, op. cit., p. 175 : « Tibet Mirror ceased publication in 1962 when the Tibetan refugees brought out their own newspaper called Tibetan Freedom from neighbouring Darjeeling. »
↑Lobsang Wangyal, op. cit. : « the paper came to an end in 1962, and Tharchin died in 1976. "My grandfather was getting too old to continue the paper". »
↑Lobsang Wangyal, op. cit. : « "The Tibet Mirror Press; Established 1925", reads the sign board on the crumbling tinned house (...) on Giri road. »
Herbert Louis Fader, Called from Obscurity: The Life and Times of a True Son of Tibet - Gergan Dorje Tharchin, Tibet Mirror Press, Kalimpong, 2002
(en) Natalia Moskaleva, « 'What Does Babu Say? ', a Pinch of Artistic Approach to News Reporting in The Tibet Mirror (1949-1963) », Revue d’Etudes Tibétaines, no 46, , p. 98–148 (lire en ligne)