C'est une tortue d'eau douce à l'aspect original par rapport aux autres espèces de son ordre, ce qui a suscité la curiosité de nombreux scientifiques. Elle se répartit globalement en Amérique du Sud, notamment dans le bassin amazonien, alors que sa proche cousine, Chelus orinocensis, fréquente les bassins de l'Orénoque et du Río Negro[4].
Description
Morphologie
On doit la première description de la Matamata à Barrère en 1741[5]. Il la décrit en latin en ces termes :
« testudo terrestris major putamine echinato et striato »
On peut traduire celle-ci par « grande tortue terrestre aux écailles épineuses et striées ». Ici, c'est la carapace de la matamata qui a d'abord frappé Barrère. Mais c'est la morphologie tout entière de l'animal qui frappe un œil non averti. En effet, il paraît difficile de confondre la matamata avec une autre tortue tellement elle présente des caractéristiques inédites :
sa taille peut aller jusqu'à 45 centimètres[6] à l'âge adulte, ce qui est plutôt grand pour une tortue d'eau douce ;
son poids est d'environ 15 kilogrammes[6] à l'âge adulte ;
sa queue est également plutôt longue pour une tortue d'eau douce ;
sa carapace est composée de trois rangées de plaques bosselées par une multitude de pyramidions ; elle est dentelée, ce qui la démarque également des autres tortues ; les stries de croissance sont très marquées et permettent de déterminer l'âge du spécimen ; dans le bassin amazonien, la dossière[b] est rectangulaire alors que dans le bassin de l'Orénoque, elle est plutôt ovale ;
sa tête est plate et triangulaire, couverte d'excroissances ; son museau est long et mince et est terminé par une petite trompe où se trouvent les narines ;
ses yeux sont petits, situés près de son museau et se reflètent dans la nuit comme chez de nombreux autres reptiles[7] ; ses capacités visuelles ne sont pas très élevées ;
sa bouche est très large et munie de deux barbillons[8] (filaments que l'on trouve de chaque côté de celle-ci) ;
son cou est très long, il lui sert à atteindre la surface pour respirer quand elle est sous l'eau[7] ;
ses pattes sont courtes, extensibles, munies de petites griffes et adaptées pour un habitat boueux[7].
Les femelles sont un peu plus grandes et ont un cou plus long. Néanmoins, il est difficile de différencier un mâle d'une femelle car le dimorphisme sexuel n'est pas très marqué.
Des variations sont surtout observables[9] entre les différentes régions où se répartit la matamata. Celles-ci se situent surtout au niveau de la taille moyenne et de la pigmentation.
Couleurs
La chair de l'animal varie entre un brun très sombre et un gris foncé. La couleur de sa carapace varie entre la couleur café et un gris très foncé. Quant à son plastron[b], il varie du blanchâtre (bassin amazonien) au rouge foncé (bassin de l'Orénoque).
Les jeunes sont généralement plus colorés que les adultes. Ils sont aussi plus clairs. Leurs ponts[b], leurs plastrons et le bord interne de leurs marginales sont roses et cerclés par des bandes sombres. Le bord externe de chaque marginale est, pour sa part, orangé. Sur le dessus de leur tête, plus claire que celle des adultes, on peut observer trois bandes sombres. Sur leur cou, il y a aussi trois bandes de couleur, cette fois-ci rougeâtres.
Camouflage
Ces attributs particuliers permettent à la matamata de se fondre dans le milieu où elle vit[8]. La couleur et la forme de sa carapace la font ressembler à un tas de feuilles mortes, voire à du bois mort. Or, ces résidus ne sont pas rares dans la région amazonienne.
Des scientifiques ont également remarqué que la tête de la matamata ressemblait, à cause de ses excroissances entre autres, aux feuilles du moucou-moucou, une plante aquatique indigène[6] (aracée envahissante mesurant de 3 à 4 mètres).
De plus, des algues colonisent son dos et accentuent sa capacité de camouflage[8]. En effet, la matamata sous l'eau peut aussi se confondre avec un rocher lorsqu'elle est immobile. Ce camouflage a une part importante dans la faculté de l'animal à attraper ses proies, il est donc un avantage de survie fort qui peut expliquer l'évolution originale de cet animal par rapport aux autres tortues. Cela pourrait également expliquer comment la matamata a traversé les âges.
Éthologie
Comportement général
La Matamata est un animal qui bouge peu, capable de rester immobile de nombreuses heures[10]. Elle s'aventure sur les berges le plus souvent uniquement dans le but de pondre.
Sinon, elle reste en eaux peu profondes d'où elle pourra aisément respirer à l'aide de son cou extensible qui lui permet d'atteindre l'air. Elle flotte rarement en surface, préférant rester au fond de l'eau.
C'est une espèce plutôt docile[11]. Elle n'est pas encline à mordre et n'en est d'ailleurs pas capable (son bec est beaucoup moins développé que celui des autres tortues).
Enfin, la matamata est un animal extrêmement photosensible. De ce fait, elle reste plutôt un animal crépusculaire[12].
Chasse et alimentation
La matamata a un régime alimentaire carnivore[13]. Elle se nourrit d'alevins et de têtards, voire d'amphibiens ou de poissons quand elle est adulte. Sur l'île de Trinidad, Kearney[14] a pu également observer des spécimens, en 1972, mangeant des crustacés d'eau douce et de petits mammifères nageant dans l'eau. La Matamata pourrait même parfois manger de petits oiseaux.
C'est une tortue de fond de marécage qui chasse à l'affût[9], grâce notamment à son camouflage. Elle peut retenir sa respiration de longues heures, ce qui augmente encore sa dangerosité pour ses proies. Le procédé de capture est le suivant[6] : la matamata aspire ses proies en ouvrant une très large bouche et avec l'aide d'un fort mouvement de sa gorge. La manœuvre prend environ un cinquantième de seconde. Ensuite, elle rejette lentement l'eau avalée, ce qui asphyxie les proies attrapées. En revanche, n'ayant pas le bec des autres tortues, elle ne mâche pas ses proies.
Elle utiliserait également des replis de peau sensoriels qui l'aideraient à détecter ses proies, bien que cela prête parfois à controverse dans le milieu scientifique. Un test a été pratiqué pour savoir ce qu'il en était[15] : dans un premier temps, on a bandé les yeux d'une matamata qui est ensuite parvenue à se nourrir. Dans un second temps, on a coupé les excroissances qui formaient les replis dits sensoriels d'un autre animal. Celui-ci n'est pas parvenu à attraper de proies malgré le fait qu'il possédait toutes ses capacités visuelles. Néanmoins, une stimulation humaine par contact de ces replis ne provoqua que des mouvements de un millimètre sur le premier cobaye. Les scientifiques en ont déduit que la tortue faisait la différence entre un mouvement de proie et un simple contact. Une autre théorie dit que la Matamata possède deux grands « tympans » sur les deux côtés de la tête capables de détecter les vibrations et ainsi, faire une sorte de triangulation pour savoir où est la proie[16].
On a pu observer certaines matamatas (en captivité) qui acculaient d'abord leurs proies dans un espace confiné pour ensuite les aspirer[17]. En réalité, l'animal apprend les meilleurs moyens de capturer leurs proies selon l'environnement où il vit[18]. Il s'adapte en permanence aux conditions de son milieu.
Reproduction
Les parades nuptiales sont difficilement observables, mais certains scientifiques parvinrent à relever le comportement suivant[6] : le mâle chevauche la femelle, sa tête s'étend vers elle. Il ouvre et ferme la bouche. Ses pattes se détendent et lui permettent des mouvements plus rapides que d'ordinaire et aussi de passer sur la femelle un peu plus grosse que lui.
Les œufs sont pondus sur la berge par groupe variant en moyenne de douze à vingt-huit[6]. Ceux-ci ont une coquille dure mesurant entre trente-cinq et quarante millimètres de diamètre[5]. Il y a plusieurs pontes par an, principalement entre novembre et décembre. L'incubation des œufs[5] est en moyenne de deux cents jours, pour une température d'environ vingt-huit degrés Celsius (observation faite en couveuse), ce qui cadre avec les températures automnales sud-américaines.
C'est vers l'âge de cinq ans que la Matamata devient sexuellement mature[9]. Aucune forme d'attitude maternelle n'a pu être observée chez les mères matamatas. L'espérance de vie d'une matamata tourne autour de dix ans et demi, bien que, en captivité, on l'ait vu atteindre des âges bien plus avancés (jusqu'à 15 ans[7]).
En état de captivité
La Matamata est une espèce très appréciée et recherchée par les zoos du monde entier pour de multiples raisons dont notamment :
son aspect original ;
son mode de vie plus sédentaire que la majorité des autres tortues, qui lui permet de vivre dans de petits enclos.
C'est une espèce qui demande beaucoup de soins et d'attention[9]: elle doit vivre dans un espace relativement large mais pas nécessairement dans des eaux très profondes. Les conditions majoritairement choisies par les zoos sont une profondeur suffisante pour qu'elle s'immerge totalement en pouvant toujours sortir la tête de l'eau pour respirer. Du fait de ses conditions de vie à l'état sauvage, elle reste néanmoins dans les zones où elle se sent en sécurité. Rondins de bois, rochers et autres aménagements similaires sont inutiles aux matamatas. En revanche, en cas de ponte, un lieu est impérativement mis en place.
Elles sont en général nourries avec des vairons. Parfois, elles sont nourries avec des poissons rouges, mais certains spécimens en captivité qui n'étaient nourris que de cet aliment ont rencontré des problèmes de nutrition[c]. Les zoos vérifient en général la qualité de l'alimentation des futures proies et leur état de santé, étant donné que la matamata est une espèce à laquelle il faut faire extrêmement attention, du fait de sa rareté.
En effet, du fait de l'attrait qu'elle représente, cette espèce préoccupe beaucoup d'amoureux de la nature dans le monde qui veulent la protéger des vendeurs d'animaux et collectionneurs privés peu aptes à élever un animal si particulier.
Elle a également été introduite en Floride à Pembroke Park en 1966 mais n'aurait pas réussi à s'adapter malgré des rumeurs persistantes dans la région[21].
Habitat
La Matamata est une tortue d'eau douce, vivant en partie dans les eaux tièdes et en partie sur les berges des différents milieux où on a pu l'observer à l'état sauvage :
Elle tolère les remontées d'eau salée dans le fleuve à cause des marées, même si elle préfère éviter de s'aventurer dans les estuaires.
Taxinomie
Étymologie
Le nom binomial de la Matamata est Chelus fimbriata. Ce nom scientifique peut se traduire par « tortue dentelée ».
Au Suriname et dans une partie de la Guyane française, dans la langue sranan, elle est appelée Raparapa, ce fut le premier nom utilisé, par Barrère en 1741 dans sa description. Il fut repris dans le nom binomial par Gray.
Son nom courant en français, Matamata, vient vraisemblablement des langues amérindiennes tupi guarani (Matamatá), bien que l'on puisse penser aussi que ce soit une déformation du verbe espagnol matar (« tuer ») et qui donne la traduction du nom suivante : « Tue, tue »[22].
Au Venezuela, on la connaît aussi sous le nom de « La fea »[10], soit, « la moche » en français.
En anglais, seul l'orthographe varie, on peut le trouver écrit Mata-mata ou encore Mata mata.
En allemand, elle s'appelle « Fransenschildkröte », littéralement « tortue à franges ».
Classification classique
La Chelus fimbriata est l'une des deux tortue du genreChelus (pas de fossile ne correspondant pas à cette espèce dans ce genre)[23].
Au fil du temps, la Matamata a été décrite sous de très diverses dénominations scientifiques, parmi lesquelles on trouve notamment les suivantes[24] :
La classification phylogénétique présentée ici est la simplification de celle présentée par A. Georges, J. Birrell, K. M. Saint, W. McCord und S. C. Donnellan[26] fondée sur l'analyse génétique.
La Matamata n'est pas très en proie à la prédation animale. En effet, comme toute tortue, en cas de menace d'un quelconque prédateur, elle se replie dans sa carapace[7]. De plus, son aspect ne lui donne pas l'air comestible, bien qu'elle le soit. Elle n'a, de ce fait, pas vraiment de prédateur naturel.
L'Homme, quant à lui, n'est pas traditionnellement un prédateur de cet animal. En effet, les Amérindiens ne la consomment pas[6], à cause, une fois encore, de son aspect rébarbatif, mais aussi de l'odeur nauséabonde qu'elle dégage. Mais, du fait de sa popularité, cette tortue est ramassée en masse pour des collectionneurs peu scrupuleux. Cela a pour effet la raréfaction de la Matamata dans certaines zones. Sa capture est donc devenue illégale en Guyane française[27]. En revanche, au niveau international, aucun règlement particulier ne régit sa capture. Néanmoins, peu de particuliers possèdent des matamatas étant donné la relative difficulté des soins à leur apporter.
La découverte, en 2020, de l'existence de, non pas une, mais en fait deux espèces de Matamata (Chelus fimbriata et Chelus orinocensis) amène à réévaluer le statut de conservation de ces tortues : en raison de cette scission en deux espèces, la taille de la population de chaque espèce est en réalité plus petite que prévu[28].
Durant le XIXe et la première moitié du XXe siècle, les récits et les représentations ont montré une image pittoresque de cette espèce. Un premier exemplaire vivant a été présenté aux visiteurs de la Ménagerie du jardin des plantes de Paris en 1867[29].
La Matamata a probablement servi d'inspiration au kaijû Kamēba[30] (カメーバ) apparu pour la première fois dans le film de monstres japonais de 1970, Space Amoeba[31] (Gezora, Ganime, Kameba: Kessen! Nankai no daikaijû) d'Ishirô Honda. On a pu également voir le monstre dans le film japonais de 2003, Godzilla, Mothra, Mechagodzilla: Tokyo S.O.S.[32] (Gojira tai Mosura tai Mekagojira: Tôkyô S.O.S.) de Masaaki Tezuka et dans le jeu vidéoGodzilla 3.
Après l'émission de décrets, en vertu de la convention de Carthagène de 1983, l'exploitation pétrolière au large des côtes de la Guyane française est interdite pour raisons écologiques (protection des cétacés et des tortues). Seule la compagnie Hardman Resources a eu un permis pour exploiter un gisement potentiel. Le nom de ce projet d'exploitation est projet Matamata[33] en clin d’œil à l'espèce protégée.
Schneider, 1783 : Allgemeine Naturgeschichte der Schildkröten, nebst einem Systematischen Verseichnisse der einzelnen Arten. Müller, Leipzig, p. 1-364 (texte intégral).
Duméril, 1806 : Zoologie analytique, ou méthode naturelle de classification des animaux, rendue plus facile à l'aide de tableaux synoptiques. Paris, Allais, p. 1-344 (texte intégral).
Notes et références
Notes
↑La littérature scientifique hésite quelque peu sur le genre grammatical du mot Chelus. On peut lire Chelus fimbriatus et Chelus fimbriata, ou † Chelus columbianus et † Chelus columbiana, mais la forme correcte est le féminin[1],[2].
↑ ab et cLa dossière est la partie supérieure de la carapace tandis que le plastron est la partie inférieure. Deux ponts latéraux les relient de chaque côté de l'animal.
↑Le poisson rouge contient de la thiaminase, une enzyme qui digère la vitamine B1. Ainsi, les matamatas nourries de ce seul type de nourriture ont eu des carences de ce type de vitamine
↑ ab et c(en) « Matamata, Chelus fimbriatus » de William H. Espenshade III, Tortuga Gazette, mai 1990 (no 26).
↑ abcdef et g(fr) Toutes les tortues du monde de Franck Bonin, Bernard Devaux et Alain Dupré, deuxième édition (1998), éditions Delachaux et Niestlé/WWF.
↑(fr) « Les tortues de Guyane française » de Jacques Fretey, 1987, éditions Nature Guyanaise.
↑(en) « A phylogeny for side-necked turtles (Chelonia: Pleurodira) based on mitochondrial and nuclear gene sequence variation » de A. Georges, J. Birrell, K. M. Saint, W. McCord et S. C. Donnellan, 1999, Biological Journal of the Linnean Society no 67, pages 213-246.
↑Sébastien Métrailler, « La tortue Matamata Chelus fimbriata (Schneider, 1783): imagerie populaire et histoire des premières observations en captivité », Chéloniens, , p. 20-31 (lire en ligne)
De nombreux médias traitent exclusivement ou en partie de la matamata, en voici une liste non exhaustive (ceux cités ci-dessus y sont reportés) :
Livres :
(fr) Métrailler S. et Le Gratiet G., Tortues continentales de Guyane française, PMS éd., (ISBN2-9700124-0-5)
(en) P. C. H. Pritchard et P. Trebbau, The turtles of Venezuela, Ssar Publications, (ISBN0916984117)
(fr) Jacques Fretey, Les tortues de Guyane française, Nature Guyanaise, , 141 p. (ISBN2-906152-04-8)
(en) Fritz Jurgen Obst, Turtles, Tortoises and Terrapins, St. Martins Press, deuxième édition (1988) (ISBN0312823622)
(en) John C. Murphy, Amphibians and Reptiles of Trinité-et-Tobago, Krieger Publishing Company, (ISBN089464971X)
(fr) Franck Bonin, Bernard Devaux et Alain Dupré, Toutes les tortues du monde, Delachaux et Niestlé/WWF, deuxième édition (1998), 254 p. (ISBN978-2-603-01024-2 et 2-603-01024-7)
(en) David Alderton, Turtles & Tortoises of the World, Blandford Press, (ISBN0816017336)
(de) Aquarium und Terrarium, , article Ein komisches Tier: die Matamata de H. Wermuth
(en) Quarterly Journal of the Florida Academy of Sciences, 1996, article The exotic herpetofauna of southeast Florida de W. King et T. Krakauer
(en) International Turtle and Tortoise Society Journal, 1967 (no 6), article Mata Mata de P. Hausmann
(en) International Turtle and Tortoise Society Journal, 1968, article The unbelievable fringed turtle de P. Hartline
(en) International Turtle and Tortoise Society Journal, 1971, article The indefatigable vacuum cleaners (littéralement Les infatigables aspirateurs) de M. Reeves
(en) Tortuga Gazette, (no 26), article Matamata, Chelus fimbriatus de William H. Espenshade III
La version du 8 avril 2007 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.