Le pogrom de Jedwabne est le massacre des habitants juifs de cette localité polonaise et de ses environs en , au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Ce massacre a été longtemps exclusivement attribué aux Einsatzgruppen (les escadrons de la mort du Troisième Reich), mais des historiens mettent en avant la responsabilité de civils polonais, peut-être à l'instigation des troupes allemandes. Le déroulement de ce massacre fait toujours l’objet de controverses entre historiens.
Lors de l'invasion allemande en Union soviétique en juin 1941, les troupes allemandes envahissent l'est de la Pologne. Dans ces territoires, les nazis diffusent leur propagande antijuive accusant les Juifs polonais d'avoir participé aux crimes commis par les soviétiques en Pologne. Il est vrai qu'une minorité active et visible, issue essentiellement du prolétariat juif, a dans un premier temps accueilli l'Armée rouge, en , avec des manifestations d'enthousiasme. Des Juifs polonais (mais aussi des membres des minorités biélorusse et ukrainienne) ont remplacé en nombre, dans les premiers mois de l'occupation soviétique (1939-1941), les responsables polonais dans l'administration et les organes de force. Des milices se sont spontanément mises en place, composées de jeunes Juifs, aidant à l'occasion le NKVD dans les arrestations de Polonais (fonctionnaires, intelligentsia, propriétaires terriens). Des cas de collaboration et de délation à l'encontre de Polonais ont été recensés. Dans un registre plus modéré mais de manière plus courante, la moquerie ou la dégradation des symboles nationaux polonais ont été particulièrement mal vécus par une population polonaise terrorisée ou, tout du moins, profondément désorientée par la révolution politique, économique et sociale imposée par l'occupant soviétique[1].
Un certain nombre de personnes ayant soutenu l'Union des républiques socialistes soviétiques avant le début de l'opération Barbarossa sont assassinées par des habitants de la région de Jedwabne dans les premiers jours de l’invasion allemande. Trois jours avant les évènements de Jedwabne, un pogrom se déroule à Radziłów, village voisin de 18 kilomètres : le , les habitants du village, encouragés par les escadrons SS, rassemblent les Juifs du shtetl dans une grange, y mettent le feu (environ 500 Juifs périssent dans le brasier de Radziłów) et massacrent les fuyards par dizaines.
Dans la matinée du , des habitants de Jedwabne et des alentours raflent les Juifs de la ville ainsi que ceux qui y ont trouvé refuge en provenance de localités voisines comme Wizna et Kolno, soit entre 800 et 900 personnes[2].
Les Juifs sont rassemblés sur une place au centre de la ville où ils sont agressés et battus. Un groupe de quarante à cinquante victimes sont forcés de détruire une statue de Lénine avant d’en porter les morceaux à travers la ville en chantant des chants soviétiques. Le rabbin est obligé de conduire ce défilé jusqu’à une grange dans laquelle le groupe est brûlé vif. Les victimes sont ensuite enterrées dans une fosse commune, avec les fragments de la statue[3]. Les habitants accaparent les biens juifs[2].
Cette terrifiante bouffée de haine semble avoir été partiellement motivée, sans compter l'opportunité de récupérer leurs maisons, par la collaboration, avec les autorités soviétiques, et parfois le NKVD, de certains juifs qui avaient accueilli plus tôt () avec enthousiasme l'invasion de la Pologne par l'Armée rouge.
Un groupe de sept juifs est caché durant toute la guerre, au péril de leur vie, par Aleksander Wyrzykowski et sa femme Antonina.
Procès après-guerre
En 1949 et 1950, un certain nombre de citoyens de Jedwabne sont accusés de collaboration avec les nazis et traduits en justice. L’un des accusés est condamné à mort puis voit sa peine commuée en peine de prison ; neuf autres accusés sont condamnés à des peines de prison et douze acquittés.
Ces procès et condamnations ne sont pas remis en cause après la chute du régime communiste polonais en 1989.
Enquête et controverses
Jusque dans les années 1997-2000, le massacre de Jedwabne est attribué aux Einsatzgruppen. Les documentaires d'Agnieszka Arnold, Où est mon frère aîné, Caïn ? et Les voisins, essai historique du sociologue Jan T. Gross[4], établissent qu'il s'agit d'un pogrom.
Contrairement à nombre d'experts, Gross estime que les Juifs de Jedwabne ont été encerclés, malmenés ou brûlés par leurs voisins polonais, sans intervention directe des Einsatzgruppen ou d'autres troupes allemandes. Il estime à 1 600 le nombre des victimes, nombre ramené depuis à quelque 340 victimes - même si le monument commémoratif de Jedwabne continue de reproduire l'ancien nombre de victimes[5]. Le livre de Gross suscite une énorme controverse en Pologne, de nombreuses personnes, dont des historiens, mettant en cause ses conclusions. Tomasz Strzembosz(en), professeur d'histoire à l'université catholique de Lublin et à l'Institut de sciences politiques de l'académie polonaise des sciences, soutient que si des Polonais ont pu participer au massacre, celui-ci a été dirigé par des troupes allemandes[6].
L'Institut polonais de la mémoire nationale, dans un rapport paru en 2001, soutient une partie des éléments repris par Gross mais estime que le nombre des victimes est nettement inférieur à 1 600[7]. La confirmation du nombre exact de victimes est rendue impossible par l'opposition des autorités religieuses juives à l'exhumation des corps. L'Institut a également découvert que huit membres de l’Ordnungspolizei étaient présents lors du massacre, ce qui laisse la question de l'implication allemande ouverte. De nombreux témoins affirment qu'ils ont vu des soldats de la Wehrmacht à Jedwabne le jour du massacre, alors que d'autres affirment le contraire. L'implication active de Polonais dans ce massacre reste incertaine, de même que celle d'unités allemandes. L'Institut estime que le crime doit être imputé aux Allemands, avec la participation d'au moins 15 Polonais.
En 2001, le président de la République de Pologne, Aleksander Kwaśniewski, présente les excuses de la Pologne aux juifs pour ce crime[8]. Ces excuses suscitent des critiques, certains considérant qu'il s'agissait d'un massacre uniquement perpétré par les troupes allemandes, d'autres que la Pologne n'avait pas à présenter des excuses pour l'acte d'une minorité. Au moment de la prise de position du président, l'enquête de l'Institut de la mémoire nationale est toujours en cours.
Bibliographie
Anna Bikont, Le Crime et le Silence, Jedwabne 1941, la mémoire d'un pogrom dans la Pologne d'aujourd'hui, Denoël, , 512 p. (ISBN978-2-207-26062-3 et 2-207-26062-3)
Jan Tomasz Gross (trad. du polonais), Les voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de Juifs en Pologne, Paris, Fayard, , 285 p. (ISBN2-213-61148-3)
(pl) Jan Tomasz Gross, Wokół Sąsiadów. Polemiki i wyjaśnienia, Sejny, Pogranicze, , 121 p. (ISBN83-86872-48-9)
(en) Antony Polonski et Joanna B. Michlic, The Neighbors Respond : The Controversy over the Jedwabne Massacre in Poland, Princeton (N.J.), Princeton University Press, , 504 p. (ISBN0-691-11306-8)
Stola, Dariusz. (2003). Jedwabne: Revisiting the Evidence and Nature of the Crime. Holocaust and Genocide Studies. 17 (1):139–152.
Grünberg, S. (2005). The Legacy of Jedwabne. Spencer, NY: LogTV, LTD.
Zimmerman, J. D. (2003). Contested memories: Poles and Jews during the Holocaust and its aftermath. New Brunswick, NJ: Rutgers University Press. (ISBN0-8135-3158-6)
↑Sur l'attitude des populations juives dans les confins orientaux de la Pologne sous occupation soviétique de 1939 à 1941, cf Ben-Cion Pinchuk, "Shtetl Jews under Soviet rule, Eastern Poland on the eve of the Holocaust", Basil Blackwell, 1991
↑ a et bGeorges Bensoussan (dir.), Jean-Marc Dreyfus (dir.), Édouard Husson (dir.) et al., Dictionnaire de la Shoah, Paris, Larousse, coll. « À présent », , 638 p. (ISBN978-2-03-583781-3), p. 409
↑Le texte de la pierre commémorative élevée sur le lieu où se situait la grange de Jedwabne est le suivant : « L'endroit du génocide de la population juive. La Gestapo et la gendarmerie y ont brûlé vivants 1 600 personnes le » (Miejsce kaźni ludności żydowskiej. Gestapo i żandarmeria hitlerowska spaliła żywcem 1600 osób 10.VII.1941.). La pierre a été déplacée au musée de l'armée polonaise à Bialystok en 2001.