Le style de ce maître a été identifié pour la première fois dans le courant des années 1970 par l'historienne de l'art américaine Eleanor Spencer d'après le manuscrit de la Légende dorée de Jacques de Voragine traduite en français et conservée à Munich. Elle a hésité à le baptiser d'après les Heures Sobieski, où 19 miniatures sur 60 peuvent lui être attribuées[1]. D'autres auteurs contribuent à attribuer à cet artiste plusieurs manuscrits parmi lesquels : Otto Pächt et Dagmar Thoss[2], puis John Plummer[3]. Laurent Ungeheuer, après une étude systématique de son style dans sa thèse consacrée à ce maître anonyme, propose une mise à jour du corpus en 2015[4]. Une nouvelle liste d'attribution est proposée par l'historien de l'art Gregory Clark dans un ouvrage paru en 2016[5].
Lieux d'activité et commanditaires
Il est difficile de déterminer son origine, mais ce style possèderait des liens avec l'Allemagne selon Spencer. Il est actif dans un premier temps à Paris comme le montre l'origine de ses premiers manuscrits et collabore très régulièrement avec le Maître de Bedford. Il est peut-être actif au sein de son atelier avec le Maître de Fastolf et le Maître de Talbot, contribuant à des manuscrits prestigieux comme les Heures de Bedford et les Heures Sobieski. Après 1427, il semble se déplacer dans une autre ville sous domination anglaise, peut-être Rouen comme semble l'indiquer l'origine de quelques livres d'heures à l'usage de la ville (coll. Collegeville et Naples). Pourtant, son influence perdure à Paris comme semble l'indiquer le portrait de la Famille Jouvenel des Ursins de la Cathédrale Notre-Dame de Paris (actuellement musée de Cluny). Au cours des années 1440 et 1450, sa carrière pourrait avoir été itinérante : il produit des livres pour des notables de Reims, d'Angers et peut-être de Poitiers à la fin de sa carrière, collaborant avec un artiste présent dans cette ville à cette époque, le Maître d'Adélaïde de Savoie[6]. Il pourrait être resté en réalité à Paris tout en ayant des clients venus de toute la France[7].
Tentatives d'identification
À la miniature du folio 75v de la Légende dorée de Munich figure une inscription placée sur le livre déposé devant saint Marc y serait écrit « domi(nu)s con(radu)s tolien(sis) ». Selon l'historien de l'art allemand Eberhard König, il s'agirait du nom de l'artiste, proposant de l'identifier à un certain Conrad de Toul[8]. Cependant, en latin, Toul se dit Tullum Luscorum et Tolensis renvoie plus vraisemblablement à la ville de Dôle. Cette identification est donc remise en cause. Le nom inscrit pourrait être aussi une anagramme, ce qui complexifie grandement les possibilités d'identification. Il peut également s'agir d'une fantaisie du scribe chargé de la copie des textes inclus dans les miniatures, comme en témoigne la graphie « arboise », au milieu de nombreux simulacres d'écriture, sur la feuille de parchemin placée devant le saint Ambroise du folio 71 du même manuscrit[9].
Caractéristiques de son style
Plusieurs éléments permettent d'isoler les miniatures de sa main. Son style se caractérise tout d'abord par l'utilisation en général du trait noir pour mettre en valeur de grands aplats de couleurs et des visages ou des carnations caractéristiques. Ses personnages possèdent le plus souvent des bouches aux commissures des lèvres tombantes, des paupières marquées voire gonflées et des orbites creusées[10].
Plusieurs motifs sont aussi caractéristiques de son style. Il prend soin par exemple de représenter avec beaucoup de détails des objets de décors dans ses miniatures, tels que des portes, des serrures, mais aussi des paysages de villes en arrière-plan. Les voûtes des décors architecturaux sont à de nombreuses reprises décorées de nervures colorées et festonnées. Chez les personnages, les auréoles des saints sont constituées le plus souvent de traits partant de la tête reliés entre eux par une ligne ourlée entourée elle-même d'un cercle entourant parfois des points ou de petits cercles. La Vierge possède le plus souvent une chaîne lâche autour de la taille ponctuée de deux anneaux au milieu desquels pend une chaînette verticale. Enfin, autre élément caractéristique et original, les scènes de la Nativité sont fréquemment décorées d'épis de blé disposés sur le sol de la crèche. Il pourrait s'agir dans ce dernier cas d'un élément symbolique qui préfigure l'Eucharistie, faisant écho aux nouveautés iconographiques provenant du nord de l'Europe, inspirées de la Devotio moderna[11].
L'usage des couleurs fait aussi partie des éléments de son style. De manière générale, comme pour les autres artistes de l'atelier du Maître de Bedford, sa tendance est à l'usage de coloris de plus en plus sombres au cours du temps, entre les années 1420 et 1460[12].
Principaux manuscrits attribués
Un total de 48 manuscrits lui sont attribués selon Laurent Ungeheuer, auteur d'une thèse sur le maître, dont 41 livres d'heures[13]. Le corpus peut fluctuer au gré des attributions de manuscrits qui apparaissent continuellement sur le marché de l'art.
26,3 × 18,4 cm, 289 folios, 43 grandes miniatures dont 4 à pleine page ajoutées a posteriori de la main du maître ((f. 15v, 16v, 17v, f. 288v), les autres étant attribuées au Maître de Bedford. Il a aussi pu exécuter les médaillons marginaux qui illustrent le Credo typologique (ff. 160-165v).
Heures à l'usage de Paris
1440-1450
Londres, British Library, Add.31834
24,5 × 17 cm, 171 folios, 4 grandes miniatures et 13 petites
25,8 × 18,2 cm, 214 folios, 40 grandes miniatures en collaboration avec le Maître de Bedford (1 miniature) et un suiveur de ce dernier (le Maître de Talbot ?)
Livre d'heures
1440-1450
Naples, Biblioteca nazionale Vittorio Emanuele III, I.B.30
20 × 14 cm, 181 folios, 8 grandes miniatures en collaboration avec le Maître de Jean Rolin
9,3 × 6,9 cm, 188 folios, 22 grandes miniatures. Livre à l'usage d'Angers ou du Mans (Calendrier), d'Orléans (HV), et d'Angers (litanies et OM), destiné à Arthur ou à Jeanne II d'Albret, qui épousa Arthur III le .
31 × 23 cm, 518+413 folios, 5 miniatures et 17 lettrines historiées dans le premier tome, 7 miniatures et 17 lettrines dans le second. Les miniatures sont de la main du maître.
Paris, Bibliothèque nationale de France, Lat.1158[28]
18,5 × 13 cm, 187 folios, 13 grandes miniatures dont 2 ajoutées a posteriori par le Maître pour Ralph Neville représentant le commanditaire, sa femme et ses enfants.
Heures à l'usage de Paris
1440-1450
Paris, Bibliothèque nationale de France, Lat.13288
19,2 × 13 cm, 168 folios, 4 grandes miniatures dont 3 du maître
Heures à l'usage de Paris
1430-1440
Paris, Bibliothèque nationale de France, NAL3111[29]
25 × 17,5 cm, 163 folios, 16 grandes miniatures dont 6 de la main du maître, les autres étant d'un suiveur du Maître de Bedford et du Maître de Dunois.
Heures à l'usage de Paris
1450-1460
Paris, Bibliothèque nationale de France, Rothschild 2534[30]
22,7 × 16,3 cm, 225 folios, 22 grandes miniatures dont 3 du maître, les autres étant attribuées notamment au Maître d'Adélaïde de Savoie
Heures à l'usage de Paris
1420-1430
Paris, Bibliothèque nationale de France, Rothschild 2535[31]
21,2 × 14,8 cm, 171 folios, 16 grandes miniatures du maître
Heures Hachette
1430-1440
Collection particulière, ancienne propriété d'André Hachette. Passé en vente à Drouot, vente Millon, le (lot 147)[32]
20,5 × 14,5 cm, 266 folios, 22 grandes miniatures de la main du maître, en collaboration avec le Maître de Dunois
Heures Gaptière
1430-1440
Collection particulière, passé en vente chez le libraire Heribert Tenschert, Ramsen, cat.Leuchtendes Mittelalters V, no 15, 1993
21,6 × 16 cm, 168 folios, 20 grandes miniatures attribuée au maître sauf une du Maître de Dunois. Ancienne propriété de Jean Troussier, seigneur de la Gabetière
Collection particulière, ancienne coll. Florence Foerderer Tonner, passé en vente chez Sotheby's à Londres le (lot 54)[37].
18 × 12,5 cm, 164 folios, 16 grandes miniatures attribuées par le catalogue de vente.
Voir aussi
Bibliographie
(en) Colum Hourihane (dir.), The Grove Encyclopedia of Medieval Art and Architecture, t. 3, Oxford (GB)/New York, Oxford university press, , 590 p. (ISBN978-0-19-539536-5, lire en ligne), p. 385 (notice par Catherine Reynolds)
(en) Eleanor Patterson Spencer, The Sobieski Hours : a manuscript in the Royal Library at Windsor Castle, Academic Press, , 69 p. (ISBN978-0-12-656650-5)
Catherine Reynolds, "English Patrons and French Artists in fifteenth-Century Normandy", dans England and Normandy in the Middle Ages, Londres - Rio Grande, The Hambledon Press, 1994.
Catherine Reynolds, "The Workshop of the Master of the Duke of Bedford : Definitions and Identities", dans Patrons, Authors and Workshops : Books and Book Production in Paris around 1400, Croenen, G., Ainsworth, P. (Dir.), Louvain, Peeters, 2006.
Laurent Ungeheuer, Le Maître de la Légende dorée de Munich : un enlumineur parisien du milieu du XVe siècle, formation, production, influences et collaborations, Paris, École Pratique des hautes Études (thèse de doctorat d'histoire de l'art sous la direction de Michel Pastoureau), , 760 p. (lire en ligne)
(en) Gregory Clark, Art in a Time of War : The Master of Morgan 453 and Manuscript Illumination in Paris during the English Occupation (1419-1435), Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, , 388 p. (ISBN978-0-88844-197-3), p. 298-304.
↑(de) Otto Pacht, Dagmar Thoss, Französische Schule, coll. « Die illuminierten Handschriften und Inkunabeln der Österreichischen Nationalbibliothek », 1, Vienne, Österreichische Akademie der Wissenschaften, 1974, p. 139-141
↑(en) John Plummer et Gregory Clark, The last flowering : French Painting in Manuscripts 1420-1530 from American collections, New York, Pierpont Morgan Library / Oxford University Press, , 123 p. (ISBN0-19-503262-4), p. 6-8 (notice 9-10).