La désignation officielle dans la nomenclature américaine est M24 Light Tank, généralement abrégée en M24. Il est ultérieurement aussi baptisé Chaffee, du nom d’Adna Chaffee, premier commandant de l’Armored Force. Néanmoins cette dernière appellation n’est pratiquement pas utilisée dans l’armée américaine[1]. L’état-major américain ayant insisté auprès de ses troupes sur le risque de confusion avec le char allemand Panther, celles-ci le surnomment en outre Panther Pup (« bébé panthère ») par les soldats américains[2].
Les Français du 1er régiment de chasseurs à cheval le surnomment « Bison » pendant la guerre d’Indochine[3]. Dans l’armée de la République du Viêt nam, ils sont surnommés « les machines à voter » en raison de leur usage récurrent dans les coups d’état[4].
Développement
Contexte
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’arsenal blindé des États-Unis compte essentiellement des chars légersM3 Stuart[5]. Néanmoins, avec l’évolution rapide des technologies, ceux-ci sont déjà au moment de leur entrée en production limités par la faiblesse de leur armement et de leur blindage. Les recherches pour les remplacer débutent ainsi dès avec le T7. Le développement de ce dernier est toutefois compliqué par les nombreuses évolutions dans les spécifications et la doctrine d’utilisation des chars légers entre 1941 et 1942[6].
Avant 1941, la doctrine d’emploi des chars légers dans l’armée américaine prévoit leur utilisation comme des chars d’infanterie. Au cours de l’année 1941, celle-ci évolue et désormais les chars légers, assimilant le rôle de la cavalerie, doivent se trouver à l’avant-garde pour déborder l’adversaire grâce à leur vitesse et leur maniabilité avant le choc du corps d’armée principal. Prévu donc à l’origine comme un char d’infanterie léger de 14 t assez lent, le T7 doit par conséquent être transformé en char de cavalerie rapide. Dans le même temps, le canon de 37 mm devient un canon de 57 mm puis de 75 mm[6]. La cinquième révision, le T7E5, est finalisée en et devient le M7. Pesant presque trente tonnes, celui-ci n’a cependant plus grand-chose à voir avec un char léger et est par ailleurs inférieur au M4 de tonnage équivalent. Par conséquent, seuls sept exemplaires sont produits avant l’abandon du projet en . Dans l’intervalle, la campagne de Tunisie a en outre montré que la doctrine d’emploi des chars légers est irréaliste, ceux-ci faisant des cibles faciles pour les canons antichars modernes[7].
Le M3 et sa version améliorée, le M5, étant à ce stade complétement dépassés, la volonté de développer un char léger subsiste dans l’armée américaine. Néanmoins, avant de débuter un nouveau projet, de longues discussions ont lieu au cours de l’été 1943 pour déterminer à la lumière de l’expérience acquise en Tunisie comme les unités blindés doivent être structurées. À l’issue de celles-ci, le rôle du char léger est revu pour ne lui laisser que les missions de reconnaissance[8].
Conception
Le nouveau projet de char léger est approuvé le et confié à Chrysler Motor Car, une division de General Motors, et dirigé par Ed Cole[9]. Le besoin étant pressant et l’importance des chars légers désormais bien moindre, le nouveau projet, baptisé T24, repart du châssis du M5 et d’une coque conçue par Cadillac pour un obusier automoteur dérivé de celui-ci[10]. L’objectif est de produire un char de moins de vingt tonnes, avec une tourelle assez grande pour loger un canon de 75 mm et trois hommes d’équipage[11]. Ces exigences imposent de faire des concessions sur le blindage, qui est par endroit moins épais que sur le M5, mais compense par son inclinaison plus importante. En outre, bien que le châssis provienne du M5, le résultat final s’en éloigne grandement, le train de roulement étant entièrement nouveau[9].
Une maquette en bois est produite en et le canon est conçu et testé pendant l’été. Les résultats étant jugés prometteurs, mille exemplaires sont commandés en septembre, avant même la livraison du premier prototype. Celui-ci est achevé le et les essais commencent immédiatement. Le second prototype, corrigeant certains défauts est achevé en décembre[12]. Dans le même temps, la commande initiale passe à 1 800 exemplaires[1].
Production et modifications ultérieures
Après quelques modifications mineures supplémentaires, la production débute en dans les usines de Cadillac. Celle-ci est assez lente au début, les chaînes de montage étant encore occupées par la production du M5 jusqu’en mai. En juillet, le T24 est accepté pour le service sous la dénomination M24 Light Tank et Massey-Harris commence également à la produire à la place du M5. En 1944, 1 939 exemplaires sont produits, dont 1740 par Cadillac. La production de l’année 1945 se chiffre à 2 801 exemplaires dont 1852 par Cadillac et 949 par Massey-Harris. Ainsi, 4 731 M24 sont produits au total[1].
Les retours d’expérience servent de base à un programme d’amélioration à la fin des années 1940. Celui-ci voit notamment le déplacement de la mitrailleuse M2 à l’avant du tourelleau du chef de char, le remplacement d’un lance-fumigène par une deuxième antenne pour permettre l’utilisation de deux radios et l’agrandissement des paniers de stockage[13]. Une version améliorée est étudiée à partir de 1945. Le T24E1 dispose d’un meileur ensemble propulsif et d’améliorations de son armement ainsi que du stockage intérieur. La nouvelle transmission Spicer pose toutefois des problèmes et les essais ne s’achèvent qu’en . À cette date la production du M24 s’est déjà achevée et il est décidé de ne pas la relancer pour produire cette nouvelle version[14].
Plusieurs des acquéreurs ultérieurs du M24 mettent en place leurs propres programmes d’amélioration. Les Français font plusieurs essais d’hybridation avec l’AMX-13 : le premier en 1956 avec la tourelle de l’AMX-13 montée sur la caisse du M24 est un échec, mais la combinaison inverse est produite à cent cinquante exemplaires en . Un autre programme d’amélioration de l’armement vise à remplacer en 1967 le canon d’origine par le canon de 90 mm CN-90 développé pour l’AML-90. Ce programme n’aboutit pas en France, mais la Norvège achète les canons pour améliorer ses propres M24. Ceux, rebaptisés NM-116, sont également dotés d’une nouvelle motorisation et d’électronique moderne. Enfin l’Uruguay a également remplacé le canon d’origine, cette fois par un canon de 90 mm Cockerill[15].
Histoire opérationnelle
Seconde Guerre mondiale
L’objectif initial est de débuter le déploiement du M24 en Europe en . Néanmoins, les difficultés dans l’acheminement retardent l’arrivée des premiers chars jusqu’au mois de décembre. Ce retard est problématique, dans le sens sens où le M5 est alors tellement dépassé que la plupart des unités ne veulent plus l’utiliser pour des missions de combat[16]. Arrivé à Cherbourg le , le premier lot de M24 est attribué au 759th Tank Bataillon (Light), mais la bataille des Ardennes débute avant leur arrivée[17]. Deux exemplaires sont alors récupérés par le 740th Tank Bataillon et sont les premiers à être utilisés au combat le près de La Gleize contre le Kampfgruppe Peiper[2].
Le nouveau char est généralement apprécié par ses équipages, bien que la faiblesse du blindage, le manque d’efficacité du canon contre les blindés et le peu de munitions embarquées reviennent régulièrement dans les critiques[18]. Les cavaliers des escadrons de reconnaissance, pour qui la mobilité est le point essentiel, sont les plus satisfait de la bascule depuis le M5[19]. Dans l’ensemble, l’arrivée tardive du M24 fait qu’il ne joue qu’un faible rôle avant la fin de la guerre, la plupart des unités n’ayant pas été rééquipées. Ainsi, en , le M24 ne représente que 34 % des chars légers de l’US Army. Il n’est en outre pas utilisé sur le front du Pacifique, les Marines ayant rejeté son adoption[20].
Pour les mêmes raisons, il est peu utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale chez les autres belligérants. Les États-Unis privilégiant leurs propres forces, ils réservent peu d’exemplaires pour le prêt-bail. Le Royaume-Uni en reçoit néanmoins 302, qui sont utilisées par les escadrons de reconnaissance du 5th Royal Inniskilling Dragoon Guards et du 8th Hussars[21].
Guerre de Corée
Le M24 est le principal char utilisé par l’armée américaine pour l’occupation du Japon, les infrastructures locales étant inadaptées aux chars plus lourds. Il s’agit ainsi de l’unique modèle disponible à proximité au début de la guerre de Corée. Le premier engagement des M24 a lieu le et se solde par une défaite américaine et à la perte de deux chars. Ceux-ci sont en effet largement surclassés par le T-34/85 qui constitue le gros des forces blindées nord-coréennes et dont ils ne peuvent percer le blindage frontal, alors que leur propre blindage est vulnérable à la plupart des armes lourdes, y compris les fusils anticharsPTRS-41 présents en grande quantité dans l’armée nord-coréenne[22]. Par conséquent, au début du mois d’août, la majeure partie des M24 transférés du Japon ont été détruits. Par la suite, l’arrivée des unités lourdes permet de rendre au M24 son rôle de reconnaissance dans lequel il est plus performant et les pertes se réduisent[23]. Les mauvaises performances du M24 en Corée et l’arrivée du M41 Walker Bulldog entraîne le retrait du service du M24 en 1951[24].
Programme MDAP
L’armée américain ayant encore plus de 3 500 exemplaires en réserve à cette date, ils sont intégrés au Military Defense Aid Program (MDAP) permettant aux alliés des États-Unis d’acquérir leur matériel obsolète à faible prix[24]. À l’origine, les États-Unis refusent de vendre le M24 à la France afin d’éviter qu’il soit utilisé dans la guerre d'Indochine, mais la guerre de Corée change leur attitude, cette guerre étant désormais perçue comme une résistance contre le communisme[3]. La France devient ainsi le premier destinataire du M24 et en reçoit plus d’un millier avant 1955[24].
Remplaçant le M5, il est très apprécié des Français pour sa capacité à traverser les terrains marécageux où les chars plus lourds s’embourbent[3]. Afin de manœuvrer plus efficacement les M24 sont organisés en unité plus petites qu’il n’est d’usage jusqu’alors dans l’armée française : les sous-groupements blindés (GB) servant d’appui à l’infanterie et les groupes d’escadrons de reconnaissance (GER)[4]. Lors de la bataille de Diên Biên Phu, dix M24 sont aérotransportés sur place, ce qui nécessite de les démonter en 180 morceaux puis de les remonter une fois sur place. Au cours de la bataille, ces dix chars tirent près de 15 000 obus avant d’être détruits par leurs équipage à la fin du siège. Le Việt Minh étant assez pauvrement équipé en armes antichar, la principale menace vient toutefois des mines, cause d’environ 85 % des pertes[25].
Un autre bénéficiaire du programme MDAP est le Pakistan, qui l’utilise pendant la deuxième et la troisième guerres indo-pakistanaises. Son rôle semble avoir été assez mineur en 1965, bien que cela soit difficile à évaluer en raison des grandes différences entre le récit pakistanais, qui admet avoir perdu seulement un M24, et celui des Indiens, qui prétendent en avoir détruit soixante. En 1971, le M24 est le seul char déployé du côté pakistanais, mais ceux-ci, mal entretenus, sont en mauvais état et sont largement surclassés par les T-55 et le PT-76 qui se trouvent face à eux. Par conséquent l’intégralité des M24 déployés, soit soixante-six véhicules, sont détruits ou capturés[26].
Caractéristiques
Motricité
Le M24 est propulsé par un moteur Twin Cadillac 44T24. Celui-ci est composé de deux moteurs à huit cylindres en V assemblés, lui permettant de disposer d’une puissance totale nette de 220 hp[27]
Le M24 dispose dans son équipement standard d’un kit lui permettant de franchir des étendues d’eau à gué. Celui comprend des schnorchels et du matériel permettant de le rendre étanche. Un projet pour le rendre totalement amphibie en le dotant de flotteurs est sur le point d’entrer en production lorsque la guerre s’achève, entraînant son abandon[28].
Accessoires
Une lame de bulldozer dérivée de celle utilisée sur le M4 est conçue pour le M24. La lame M4 peut être adaptée sur n’importe quel M24, mais peu ont été produites et elle n’est que rarement utilisée[14].
Variantes
Le M19 est un canon antiaérien automoteur armé de deux canons Bofors de 40 mm. Son développement débute sur le châssis du M5 avant que celui-ci ne soit remplacé par celui du M24 en . Le véhicule est approuvé le mais la production ne débute qu’en et seulement trois cents exemplaires sont produits. Quelques M19 ont été utilisés pendant la guerre de Corée, essentiellement contre des cibles au sol[29].
Le M37 105 mm howitzer motor carriage(en) est un obusier automoteur basé sur le châssis du M24, sur lequel est monté à la place de la tourelle une superstructure et une version compacte de l’obusier M4 de 105 mm. Le prototype est achevé en et le véhicule accepté pour le service en . Quelques-uns des 316 exemplaires produits ont été utilisés en Corée et d’autres ont été exportés en Espagne[30].
Le M41 Gorilla est un autre obusier automoteur dérivé du M24, cette fois avec un obusier de 155 mm. La production débute en , mais seulement 85 exemplaires sont produits avant l’annulation des commandes et le véhicule n’est utilisé au combat que pendant la guerre de Corée[31]. Retiré de l'US Army en 1953, l'armée de terre française de 1956 à 1972[32].
Plusieurs projets de variantes ont été étudiés sans aboutir. Un prototype char de dépannage est testé à partir de 1945. Nommé T6, celui ne dispose pas de tourelle mais d’une grue. Le projet est annulé à la fin de la guerre avant son entrée en production[14]. Une tentative d’utiliser la tourelle du M24 sur le LVT(A)1 est abandonnée du fait de l’instabilité du véhicule dans l’eau[14]. Le T77 est un projet de canon antiaérien automoteur armé de quatre mitrailleuses M2. Débuté en , le développement est retardé par des difficultés de conception de l’affût et le prototype n’est achevé qu’en . À cette date il devient évident qu’une telle arme ne peut combattre efficacement les avions à réaction et le projet est abandonné[33].
Anciens exemplaires pakistanais donnés par l’Inde qui les a capturé pendant la troisième guerre indo-pakistanaise. En très mauvais état au moment de leur réception, ils ne semblent pas avoir été beaucoup utilisés.
↑La puissance brute est celle mesurée sur le moteur seul sans accessoires (filtres à air, générateurs, etc.). La puissance nette est à l’inverse celle du moteur en opération normale, installé dans le véhicule avec tous les accessoires prévus.
↑Les sources utilisent comme unité le gallon, sans plus de précision. La conversion est faite sur l’hypothèse qu’il s’agit du gallon américain pour les liquides.