Comme le précise le dictionnaire de l'Académie française, ce terme « a été parfois utilisé avec une intention péjorative, par allusion à l'habileté en affaires prêtée aux Orientaux »[1].
De nos jours en Turquie, le terme « Levantin » (Levanten) désigne uniquement les ressortissants turcs d'origine occidentale. Leurs noms de famille ont été adaptés lors des réformes de l'écriture (1928). À Istanbul, il existe encore de grandes familles levantines, généralement francophones : Alyont (Alléon), Baltacı (Baltazzi), Bastiyon (Bastion), Boduyi (Baudouy), Dandriya (D'Andria), Döhoşpiye (De Hochepied), Glavani (Glavany), Jiro (Giraud), Kaporal (Caporal), Kasanova (Casanova), Kastelli (Castelli), Korpi (Corpi), Krepen (Crespin), Kuto (Coûteaux), Lombardi, Marmara, Tomaselli... etc.
Les Levantins d'Égypte
Dans l'Égypte du XIXe siècle, le terme « Levantins » désignait les résidents ni autochtones, ni turcs (12 000), ni européens (7 000), ni esclaves, mais uniquement chrétiens sujets du sultan ottoman : il y en avait environ 150 000 au milieu du siècle sur 2 891 000 habitants[3].
Les « Francs » et la Lingua franca
Il existait dans les échelles du Levant, une langue de communication commune aux Levantins et aux marins et marchands de toutes nationalités, la lingua franca. Cette « langue franque » à base d'espagnol et d'italien, avec des éléments d'arabe, de persan et de turc, portait ce nom (« franque ») parce que depuis les Croisades, le nom donné en Orient aux occidentaux était « franc » (grec Φράγγοι - franghi ; turc franglar). Cela désignait les Croisés, mais aussi les marins qui les transportaient, pour la plupart français, génois et vénitiens et par la suite, tous les marchands et marins catholiques.[réf. nécessaire]
Smyrne et la communauté des Levantins francophiles
Édouard Balladur[4], ancien Premier ministre français, est issu de cette communauté smyrniote. Dans sa famille, d'origine lointainement arménienne, on parle français depuis de nombreuses générations et on ne se marie qu'entre catholiques (même si le conjoint est étranger). Le vicaire général de l'archevêché de Smyrne (aujourd'hui Izmir) fut dom Emmanuel Balladur, disparu en 1847. Pierre Balladur, père d'Édouard, sera ainsi l'un des directeurs, à Istanbul, de la Banque ottomane, devenue aujourd'hui un trust international, mais qui gère alors les capitaux des puissances occidentales, et de leurs entrepreneurs en Orient. L'établissement, disparu une première fois, puis remonté sur ses bases a été fondé par quelques familles levantines (dont les Glavany, dont est issu Jean Glavany, ancien ministre).
Dans les années 1900 à 1905, Izmir était une ville multiethnique, à dominante grecque et turque, mais où il y avait aussi, outre les Levantins de souche, des levantins d'adoption comme Augustin Gindorff, ingénieur des mines, belge et catholique. Il a été durant ces années le directeur de la Compagnie ottomane des eaux de la ville.
À l'issue de la Guerre gréco-turque de 1919-22, les Grecs et les Arméniens de la ville sont en partie massacrés et les survivants expulsés, mais, sauf confusion ou accident, les Levantins catholiques, pour la plupart de langue française ou italienne, ne sont pas inquiétés. Toutefois, la plupart préfèrent émigrer dans les années qui suivent. À Izmir, il ne subsiste que quelques rares et vieilles pittoresques demeures levantines, l'église du quartier arménien, Sainte-Hélène, le temple anglican et la cathédrale St-Polycarpe.
En 1996, le nombre de Smyrniotes francophones était évalué à environ 200 personnes, le plus souvent bénéficiant de la double nationalité. Deux lycées turcs assurent des cours entièrement francophones. Il reste aussi quelques mots tirés du français, comme pour désigner la corniche qui surplombe la mer : le « kordon ».
Citations
« Ils étaient connus pour être diplomates, habiles en affaires. Ils avaient le sens de la parole donnée. Ils pouvaient se prêter jusqu'à des millions entre eux sans jamais signer le moindre papier. Tout reposait sur la confiance. »
— Onnik Jamgocyan, auteur d'une thèse sur les banquiers levantins
« Ils étaient membres d'un microcosme fermé sur lui-même, ne faisant jamais l'effort de s'intégrer à la société où ils vivaient (…). Grâce au passeport de leur patrie où ils ne mettaient jamais les pieds, ils se comportaient avec la plus grande arrogance, en maîtres de nos ports. »
— Un journaliste turc
« Environ 3 000 citoyens britanniques et français résidaient à Constantinople. La majorité appartenait à la classe connue sous le nom de Levantins ; presque tous étaient nés en Turquie, et dans de nombreux cas, leurs familles se trouvaient établies dans ce pays depuis deux ou plusieurs générations. La conservation de leurs droits de citoyens européens constitue, pour ainsi dire, leur unique lien avec la nation dont ils sont issus. Il n'est pas rare de rencontrer dans les principales villes turques des hommes et des femmes, qui sont de race et de nationalité britanniques, mais ne parlent pas anglais, le français étant le langage habituel des Levantins. La plupart n'ont jamais mis le pied en Angleterre ou dans une autre contrée européenne ; ils n'ont qu'une demeure : la Turquie[5]. »
Dans Péplum, roman d'Amélie Nothomb, les Levantins sont tous les habitants de la moitié orientale de la planète, par opposition aux habitants du Ponant, désignant la moitié occidentale.
↑Oliver Jens Schmitt, Les Levantins : cadres de vie et identités d'un groupe ethno-confessionnel de l'empire ottoman au "long" 19e siècle, Isis, , 571 p. (ISBN978-975-428-348-8, lire en ligne)
↑Hergé, cité par Pierre Assouline dans Hergé : biographie, Plon, 1998, pages 125-126, disait de son personnage Rastapopoulos : « pour moi, c'est plus ou moins un grec levantin, sans plus de précision, de toute façon apatride, c’est-à-dire, de mon point de vue à l’époque, sans foi ni loi ! Un détail encore : il n’est pas juif ! »
Abdallah Naaman, Histoire des Orientaux de France du Ier au XXe siècle, Paris, éditions Ellipses, , 528 p. (ISBN2-7298-1405-1). Nouvelle édition actualisée et augmentée, Ellipses, 2019, 640 pages.
Marie de Testa & Antoine Gautier, Drogmans et diplomates européens auprès de la Porte ottomane, éditions ISIS, Istanbul, 2003, 479 p. (sur l'enseignement des langues orientales en Europe et des biographies individuelles et familiales sur les Adanson, Chabert, Crutta, Deval, Fleurat, Fonton, Fornetti, Jaba, Murat, Roboly, Ruffin, Stoeckl, Testa, Timoni, Wiet) ;
Antoine Gautier, Un consul de Venise à Smyrne, Luc Cortazzi (ca 1714-1799), Le Bulletin, Association des anciens élèves, Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), , p. 35-54 ;
Antoine Gautier, Un diplomate russe à Constantinople, Paul Pisani (1786-1873), Le Bulletin, Association des anciens élèves, Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), , p. 11-30 ;
Antoine Gautier, Anne Duvivier, comtesse de Vergennes (1730-1798), ambassadrice de France à Constantinople, Le Bulletin, Association des anciens élèves, Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), , p. 43-60.
Hervé Georgelin, La fin de Smyrne: du cosmopolitisme aux nationalismes, CNRS histoire, 2005, 254 pages (ISBN978-2-271-06300-7)