Un argument de la pièce est proposé par Vinaver dans l'édition de 1973 :
«Au chômage depuis trois mois, un directeur des ventes cherche un nouvel emploi. Dans le même temps où il se plie à des questionnaires réglés comme des machines infernales, il affronte sa fille «gauchisante» et sa femme, qui supporte mal la perte d’un cadre de vie sécurisant[1].»
Liste des personnages
Wallace, directeur du recrutement des cadres CIVA.
Fage.
Louise, sa femme.
Nathalie, leur fille. «Ils sont en scène sans discontinuer»[2]
Le texte fait aussi mention de plusieurs personnages qui n'interviennent pas dans la pièce directement, comme Monsieur Bergognan (l'ancien patron de Fage), le Docteur Wolff et Mulawa (l'amant de Nathalie). Il est aussi fait mention d'un fils de Fage et Louise qui serait décédé dans un accident de voiture[2].
Le début de la pièce se faisant in medias res, les diverses informations qu'il est possible de rassembler sur les personnages se trouvent disséminées dans le corps du texte.
Fage
Principal protagoniste de la pièce, Fage est né le 14 juin 1927 à Madagascar d'un père médecin militaire à Tananarive. Il mesure 171 cm pour 67 kg. Son grand-père était instituteur ; il n'a pas de diplôme universitaire, mais pratique le yoga et collectionne les pipes.
Wallace
Il n'est donné presque aucune information sur Wallace dans le texte, ce qui est en partie dû au fait qu'il mène l'entretien de Fage. Il est donc celui qui pose les questions. Il apparaît néanmoins qu'il est «directeur du recrutement des cadres CIVA[2]» («Communauté Internationale de Vacances Animation»[3]).
Louise
Peu de choses dans le texte sur Louise. Elle est la mère de Nathalie et l'épouse de Fage. Elle est très inquiète quant à la situation sociale de son ménage après la perte d'emploi de son mari et trouve un emploi au milieu de la pièce.
Nathalie
Nathalie, âgée de 16 ans, est la fille de Fage et Louise. Elle est qualifiée de «militante» et «gauchiste» par ses parents. Elle attendrait apparemment un enfant de Mulawa.
Structure
La pièce est formée de «trente morceaux» distincts qui ne sont pas forcément interconnectés. Le protagoniste, Fage, existe dans plusieurs situations d'énonciation : il participe à son entretien d'embauche et en parallèle s'inquiète avec sa femme pour l'avenir de sa fille, tout en discutant avec cette dernière. Dans son analyse du troisième morceau, Vinaver déclare à propos de ces «situations de départ»:
«Ces [...] situations de départ – habituellement dans une pièce de théâtre il n'y en a qu'une – ne se relient pas sur un plan narratif. Dans le texte elles se succèdent , dans les faits on ne sait pas. Le lecteur-spectateur, comme dans une forêt, se trouve entouré d'une multiplicité de troncs; néanmoins ceux-ci pourraient être tous plantés dans le même sol, celui de la conscience d'un personnage (Fage)[4].»
Bien que cette structure complexe puisse rendre la pièce difficile à lire, Yoland Simon remarque que les morceaux peuvent créer une «certaine unité» autour de la reprise de «thématiques semblables[5].»
Fils narratifs
Fils principaux
La pièce est axée autour de deux fils narratifs principaux qui vont parcourir l'intégralité du texte.
Le premier fil, qui donne son nom à la pièce, est celui de l'entretien d'embauche de Fage. Parcourant l'intégralité du texte, il est fortement intriqué dans les autres fils.
Le second fil est la grossesse de Nathalie. C'est autour de cet événement que s'articuleront les divers voyages de Fage et de sa fille ainsi que le conflit entre Louise et celle-ci.
Fils secondaires
Les fils narratifs secondaires se multiplient tout au long du texte. Il est impossible de les cantonner à des morceaux précis mais ils restent identifiable grâce à leur récurrence. Les fils sont les suivants:
«Dans La Demande d'emploi, qui est ma pièce la plus "musicalisante", je fais la tentative de substituer à toute histoire le tissage de motifs tressés en contrepoint, le mouvement général étant celui d'une spirale au travers d'une structure "thème et variations"[7].»
Anne Ubersfeld remarque à ce sujet que cette construction «thème et variations» se retrouve dans l'interrogatoire «répétitif» de Fage et Wallace[8]. Ces répétitions seraient aussi «porteuses de sens» en laissant entendre que les autres entretiens de Fage se sont sûrement déroulés de manière similaire[9].
Thématique de l'opposition
Dans le dossier de presse établit pour mise en scène de 1994 au Théâtre de la Tempête, Vinaver met en avant les oppositions qui règnent dans son texte au travers de «la quête d'appartenance (d'admission, d'acceptation, d'adhésion) et du malheur d'être rejeté, nié, exclu[10].» Cette opposition est reprise par Yoland Simon dans son ouvrage sur La Demande d'emploi ,en élargissant sa portée à d'autres éléments de la diégèse:
«[Une notion très générale] est, le plus souvent, placée en opposition avec un autre terme. On y envisage en effet de perdre/retrouver un emploi, de perdre/reprendre l'habitude de fumer, de perdre/ranger le courrier, de perdre/retrouver un livre de maths, enfin, pour Nathalie, de perdre/garder l'enfant qu'elle attend[11].»
Didascalies
Le texte ne contient aucune didascalie de mise en scène (à l'exception des didascalies d'attribution de parole). L'auteur donne toutefois dans son Analyse de fragment d'une pièce de théâtre[12] les indications suivantes:
«[Faire] que cela soit courant; chercher le rythme avant tout; le caractère éruptif du texte (au niveau moléculaire) doit faire l'objet d'une macération, afin qu'au bout du compte l'ordinaire prenne le pas sur l'expressivité[13].»
On note aussi une didascalie temporelle qui clôture la pièce[14].
Contexte de d'écriture et situation dans l’œuvre
Michel Vinaver écrit La Demande d'emploi après Par-dessus bord (7 heures de représentation) alors qu'il est encore PDG de Gillette. Il affirme qu'au départ il ne voulait pas se servir de son expérience dans le monde du travail comme inspiration pour ses écrits[15], ce qu'il a pourtant fait dans Par-dessus bord et ensuite dans La Demande d'emploi.
Dans ses Écrits sur le théâtre, Michel Vinaver confie qu'il a écrit La Demande d'emploi comme une «série d'exercices pour les comédiens[16].»
Notes de l'auteur
Michel Vinaver a beaucoup commenté son travail, par exemple dans ses Écrits sur le théâtre[17]. Il livre cette réflexion dans l'édition de 1973:
«Cette trame simple sert de support à une écriture dramatique expérimentale: absence de lieu, rupture de chronologie, enchevêtrement des motifs et des rythmes. Dans les espaces mélangés, les personnages entrecroisent leurs temps et se parlent. Non sans réalisme: comme toujours, chacun est seul ici avec tous et partout[1].»
Il mentionne aussi dans les Notes préparatoires de La Demande d'emploi[17] que cette pièce serait «le complément ou l'autre Face de Par-dessus bord[18].» Le lien qu'établit Vinaver entre ces deux pièces ne s'arrête pas là: dans un entretien accordé à Émile Copfermann en 1973 sur son œuvre et son rapport au texte et à l'écriture, Vinaver estime qu'elles relèvent les deux d'un «acte poétique» et qu'elles sont «vraiment de l'écriture[19].»
Théâtre complet / 1, Les Coréens; Les huissiers; La fête du cordonnier; Iphigénie Hôtel; Par-dessus bord; La demande d'emploi, Arles, Actes Sud, 1986, 579 p.
La demande d'emploi; Dissident, il va sans dire; Nina, c'est autre chose; Par-dessus bord (version brève), Paris, L'Arche, 2006, 257 p.
La pièce est présentée le 29 mars 1973 au Théâtre 347 (elle devait être jouée en décembre 1972 au Théâtre Mécanique mais fut annulée en raison de l'état de santé du metteur en scène). Distribution: Jean-Marc Bory (Fage), Raymond Jourdan (Wallace), Christiane Tissot (Louise) et Raphaële Devins (Nathalie). Décors: Catherine Grinberg, Dominique Antony[21].
La pièce est jouée le 11 avril 1975 au Théâtre des Cordes à Caen. Distribution: François Chodat, Huguette Clery, Pierre Dios, Yolande Hascoët. Décors: Alain Roy. Costumes: Claude Yersin[22].
La pièce est présentée le 24 novembre 1980 au Boutique-Théâtre à Besançon[24].
1994 - mise en scène de Alain Knapp :
La pièce est jouée du 13 au 27 novembre 1994 au Théâtre de la Tempête. Distribution: Claire Caigneaux (Nathalie), Xavier Clément (Fage), Emmanuelle Gracy (Louise) et Jean-Michel Meunier (Wallace). Scénographie: Pierre Litzler assisté de Gilles Fabbro. Lumière: André Diot. Musique: Gérard Torikian. Costumes et accessoires: Magalie Lochon et Anita Renaud. Assistants à la mise en scène: Martin Amic et Fabienne Cerrachio[10].
La pièce est jouée du 10 au 28 mars 1998 au Théâtre Périscope à Québec. Distribution: Matieu Gaumond (Wallace), Linda Laplante (Louise), Édith Paquet (Nathalie) et Richard Thériault (Fage). Production: Théâtre Nouveau Parking. Décors et costumes: Véronique Dumont. Éclairages: Nicolas St-Pierre. Climat musical: Robert Caux[25].
La pièce est jouée du 20 au 30 octobre 2005 au Théâtre populaire romand à La Chaux-de-Fonds. Distribution: Jacques Gardel (Fage), Anne-Laure Luisoni (Louise), Jean-Philippe Meyer (Wallace) et Ania Temler (Nathalie). Scénographie: Neda Loncarevic. Son et musiques: Christoph Bollmann. Lumières: Matthieu Bueche. Costumes: Julie Boegli[27].
La pièce est jouée de 24 septembre au 18 octobre 2015 au Théâtre de l'Épée de Bois. Distribution: Valentine Galey, Pierre-François Garel, Olivia Kryger et Julien Muller. Dramaturgie: Laurence Campet. Décor: Nicolas Sire. Lumières: Laurent Castaingt. Costumes: Nathalie Martella[28].
La pièce est jouée du 1 au 17 mars 2018 au Théâtre national populaire. Distribution: Valentine Galey (Nathalie), Côme Lesage (Wallace), Olivia Kryger (Louise) et Julien Muller (Fage). Dramaturgie: Laurence Campet. Décor: Nicolas Sire. Lumières: Laurent Castaingt. Costumes: Nathalie Martella[30].
2022 - mise en scène Eve Weiss :
La pièce est présentée du 20 avril au 14 mai 2022 au Théâtre du Gouvernail. Distribution: Olivier Balmat, Eric Cheype, Rose-Marie Di Domenico et Virginie Malvaso. Musique: Nikola Kapetanovic[31].
Réception
Comme le mentionne Anne Ubersfeld dans son ouvrage Vinaver dramaturge, La Demande d'emploi a «un sort théâtrale facile, elle est montée partout parce qu'elle peut être montée partout[32]». Le dispositif scénique est minime et requiert peu d'acteurs et de nombreuses mises en scènes en seront faites.
Bibliographie
Guy Bruit, L’«effet Ionesco» et le chroniqueur..., Michel Vinaver, La Demande d’emploi ; Eugène Labiche et Alfred Delacour, La Cagnotte , Raison présente, vol. 113, no 1, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, 1995, p. 131‑138.
Hélène Jacques, «Compte rendu de [Tragédie commerciale: La Demande d’emploi]», Jeu, no 108, 2003, pp. 56–59.
Yoland Simon, Relire La Demande d'emploi, Paris, L'Harmattan, 2021.
Anne Ubersfeld, Vinaver dramaturge, Paris, Librairie théâtrale, 1989.
Louise Vigeant, La banalité dans le désordre: entretien avec Michel Vinaver, Jeu, no 87, 1998, pp. 165–172.
Michel Vinaver, La Demande d'emploi, Paris, L'Arche, 1973.
Michel Vinaver, Analyse d'un fragment de pièce de théâtre, Littérature «THÉÂTRE: LE RETOUR DU TEXTE?», no 138, juin 2005.
Michel Vinaver, Écrits sur le théâtre, Lausanne, Éditions de L'Aire, 1982.
Anne Ubersfeld, Vinaver dramaturge, Paris, Librairie théâtrale, 1989.