Le cabaret ferme définitivement ses portes en 1975, remplacé de 1978 à 2017 par un bar à vin à l'enseigne de L'Écluse Grands-Augustins, puis par un pub irlandais.
Histoire
L'histoire des lieux
Autour de 1900, au 15, quai des Grands-Augustins, on trouve un marchand de musique qui vend notamment des partitions et les premiers disques à 78 ou 90 tours par minute[1]. Entre les deux guerres, un M. Dussart y ouvre un bistrot, fréquenté par les mariniers et les scaphandriers de la région parisienne. Ce qui explique une partie de la décoration de la salle[2] : un scaphandre derrière la vitrine près de l'entrée, une bouée et un filet de pêche pour couvrir le mur du fond de la scène et un casque de scaphandre sur le piano[1]. Après la Seconde Guerre mondiale, vient s'installer dans cet endroit un spécialiste de livres anciens, Jean-Marie Brunier[1].
En 1949, René Legueltel, futur propriétaire du cabaret Galerie 55, prend possession des lieux pour y ouvrir de nouveau un café, le Café de l'écluse[1]. C'est donc vraisemblablement à lui que l'on peut attribuer la paternité du nom de l'établissement. Le café devient alors un lieu de représentation où l'on peut découvrir des artistes débutants tels que Léo Ferré, Francis Lemarque, le mime Marceau, le duo Marc & André et bien d'autres.
En 1951, France Olivia, pianiste et autrice-compositrice, est la première accompagnatrice des artistes.
Léo Noël, chanteur déclamant s'accompagnant de son orgue de Barbarie portatif[4], est le présentateur de spectacle et l'animateur en chef du cabaret.
En 1958, Léo Noël présente la chanteuse Barbara, alors égérie du cabaret, sous le nom de « la Chanteuse de minuit »[5],[6].
En 1966, à la suite du décès de Léo Noël, le duo Marc Chevalier et André Schlesser lui succède jusqu’à la fermeture du cabaret en 1975. Brigitte Sabouraud, devenue chansonnière accordéoniste[4] et directrice du cabaret, après de nombreuses représentations, décide de quitter l'aventure en 1970.
Les auditions des candidats se succèdent le premier mercredi de chaque mois de 17 à 20 heures et, rapidement, on se bouscule pour être auditionné par ces quatre artistes, L'Écluse étant devenu, autour de 1955, le cabaret en vogue du quartier latin. Le choix des interprètes et des artistes qui peuvent y présenter leur numéro ou leur tour de chant se fait principalement sur la base d'intuition, de goût, de rigueur et de métier[4].
Les quatre fondateurs continuent à se produire sur cette scène[4], qui est aussi la leur. Ainsi Brigitte Sabouraud y crée son répertoire de chansons de marins, de textes de Francis Carco et de créations personnelles[7], dont certaines sont reprises par Barbara, tout en s'accompagnant à l'accordéon[8]. C’est probablement à elle, passionnée d’histoire marine, que l’on peut attribuer le choix de la décoration de la salle[4].
Le cabaret L'Écluse
Le cabaret L'Écluse devient un des hauts lieux du Quartier latin de l'après-guerre. Deux décennies durant, il façonne les légendes de la rive gauche. On y découvre Jacques Brel en 1953. Barbara fait ici ses premières apparitions dès 1954, quatre ans avant d’en devenir la principale « sociétaire ».
Les spectacles alternent de 1951 jusqu’aux années 1970. Quand arrivent les problèmes financiers, autour de 1973, tous les anciens pensionnaires de L'Écluse se mobilisent pour aider à son sauvetage en donnant une participation financière, ou artistique. Cependant, les efforts sont vains : pour tenter de faire vivre ce lieu mythique qui sombre dans l’oubli, un spectacle au théâtre du Châtelet est prévu pour le , date concomitante avec celle d’une grève des machinistes. Le spectacle n'est pas reporté mais simplement annulé, ce qui contribue à couler le navire. Fermé provisoirement à la fin de 1974, le cabaret L’Écluse ne peut rouvrir au début de 1975 et ferme alors définitivement ses portes, après quelque 24 années d'existence. « Puis la petite flamme s’est éteinte, soufflée par la télévision, le yéyé, , l’industrie du disque… et la vogue du café-théâtre[4] ». Tout s'est combiné alors pour faire baisser plus que dangereusement la fréquentation des cabarets[9].
Les routes de Marc et André se séparent à la fin de 1974, avec la fermeture de l'Écluse. Ils poursuivent alors leur carrière chacun de son côté, Marc Chevalier créant un centre de formation aux métiers d’art et de la communication (CREAR), et André Schlesser continuant son chemin d’interprète[10] encore quelque temps avant de se retirer.
Brigitte Sabouraud confie en au micro de Marie-Hélène Parinaud sur Radio Bleue[8] : « J'ai toujours beaucoup aimé Barbara. C’est moi qui l’ai fait commencer à l’Écluse. Je chantais, j’écrivais des chansons, mais je m’occupais aussi de l’organisation des programmes. J’étais la présidente-directrice générale de l’Écluse. »
Pierre Tchernia, en témoin de cette époque, écrit dans sa préface du livre de Marc Chevalier Mémoires d'un cabaret - L'Écluse : « La chanson à écouter et le visuel à regarder étaient justement répartis. Les textes comme les gestes valaient la peine de l'attention. À qualité de spectacle, qualité de public. L'un des éléments les plus importants du capital de L’Écluse fut de faire travailler de jeunes artistes, ou plutôt des jeunes qui voulaient devenir artistes. »
1958 : Un soir à L'Écluse (33 tours30 cm Véga V 30 S 800).
Dix artistes, enregistrés en direct à L'Écluse durant l'été 1958, interprètent seize titres[12]. Léo Noël y fait la présentation et Yvonne Schmitt y accompagne les artistes au piano droit (celui que Barbara appelait sa « casserole »).
1959 : Barbara à L'Écluse (Disques Pathé-Marconi).
Au dos de la pochette de l'enregistrement de ce récital[13], un texte signé par l'équipe de L'Écluse[14] présente Barbara : « Chaque soir en présentant Barbara au public de L'Écluse, nous voudrions dire toute la ferveur que nous lui gardons depuis le premier jour où elle vint en ce lieu. Sombre, les yeux baissés, pareille à une rose courroucée dans sa blouse de velours noir, sans un regard pour l'auditoire, elle alla au piano et chanta. Nous n'oublierons jamais la cantilène des amours perdues, le miracle des mots lancés comme des cailloux, phrases hachées comme pétales arrachés, sa voix dure, tendre ou généreuse redisant l'éternelle complainte des joies et des peines, puis ironiques et féroces, les refrains s'emballèrent comme pantins en foire tandis que le piano gémissait et riait sous ses doigts. Mais à quoi bon rimer et dire ! Voici le moment où elle va paraître, le moment où le voisin parle plus bas, où chacun repose son verre sans bruit sur la table tandis que tout se fige, que les lumières s'allument… La voici ! ».
1964 : Un soir à L'Écluse (33 tours25 cm Production disques Lucien Adès TS 25 LA 565).
Reproduction en dans un format réduit de dix titres du 33 tours30 cm de 1958.
Le texte figurant sur la pochette de ce disque devenu très rare présente ainsi ce célèbre cabaret[8] :
« Au 15, quai des Grands-Augustins, à l'ombre de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle, vous trouverez ce bistrot de mariniers ; à ses pieds coule la Seine. […] Ici Brigitte Sabouraud, Léo Noël, Marc Chevalier et André Schlesser ont toujours eu à cœur de faire connaître à leur public des artistes véritables. […] »
1998 : Un soir à L'Écluse (CD EPM/ADES SP18).
Reprise de 15 titres de l'édition d'origine complétée d'une chanson de Barbara (Souvenance)[15].
L'amnésique (B3) - 4:40 ∫ Interprétée par Jacques Fabbri
La chose aurait pu (B4) - 2:46 ∫ Interprétée par Cora Vaucaire
La complainte de Mackie[16] - 2:10 ∫ Interprétée par Léo Noël
Les péchés capitaux - 3:10 ∫ Interprétée par Jacques Grello
La complainte de la jeune nonne contre son cœur - 2:47 ∫ Interprétée par Brigitte Sabouraud
La chanson du pharmacien - 1:38 ∫ Interprétée par Marc & André
Un vieux boxeur - 2:10 ∫ Interprétée par Giani Esposito
Activités
Les premiers spectacles débutent le .
Fidèle à la tradition et à l'esprit Rive gauche qui anime le quartier à l'époque, le cabaret L'Écluse accueille plusieurs types d'activités artistiques. Une soirée de spectacle est composée de six numéros d'une durée de 10 à 20 minutes chacun, le « clou du spectacle » étant constitué par le numéro 6 en la personne de l'artiste confirmé de la soirée. Il n'est pas rare dans l'histoire courte du cabaret de voir se produire des inconnus débutants qui reviennent deux ou trois ans plus tard en sixième place, telle la chanteuse Barbara. Ceci contribue d'ailleurs à entretenir la popularité de l'endroit qui permet à de nombreux artistes de se lancer et qui devient une véritable école du spectacle, particulièrement pour la chanson[17] :
Des dessins et des illustrations (spectacles de projection de diapositives)
La Tête des uns, le corps des autres, photomontages de Jean Harold, en 1956. Les tableaux présentés faits de photographies découpées dont il assemblait et collait avec soin que les morceaux qu'il avait choisi de conserver, se voulaient volontairement irrévérencieux pour l'époque. Son travail permettait de mettre des personnages médiatiquement connus dans des situations caustiques et quelque peu empreintes d'improbabilité.
Les Mains et Les Parapluies, du marionnettiste Yves Joly en 1957[20]. Il y crée également ses spectacles La Noce, Les Afficheurs, Insomnie, Le Photographe et Tragédie de papier, qui sont programmés par la suite.
L'Incroyable Aventure du pauvre Mimouni, Pauvre clown, Innocent mon ami, La Dernière Cavale de Mémé Berthe… Spectacle de marionnettes de Mathilde et Paul Dougnac en 1958[21] et ultérieurement d'autres représentations.
Du mime
Naissance, adolescence, vieillesse et mort, « Bip : Le Dompteur, Soirée mondaine et Le Peintre du dimanche », de Marcel Marceau en 1951.
La salle est de petite taille, tout en longueur et contenant au mieux 80 spectateurs[23]. La scène, qui mesure 3,50 mètres sur 2 mètres, fait face aux tables. Le long des murs, des banquettes de moleskine rouge ornées de clous de cuivre s'alignent pour accueillir le public, augmentées de tabourets en guise de sièges d'appoint.
Sur cette scène « grande comme une table[24] », du côté gauche, on trouve un piano droit, et tout droit venu de chez Jeannette Gares[Qui ?], il est surnommé affectueusement par Barbara « ma casserole ». Il sert aussi, notamment à Yvonne Schmitt, à accompagner les chanteurs sur la scène et les numéros d'artistes.
Le spectacle débutant autour de 23 heures, il est de tradition que la salle affiche complet la plupart du temps dès 22 heures, les spectateurs présents étant conviés à attendre le début de ces numéros.
À l'entrée, le spectateur est accueilli symboliquement par une tenue de scaphandrier[25] qui l'invite à plonger dans ce nouvel univers fait d'« inconnu » au sens strict du terme, et d'« inconnus ».
Les représentations se terminent vers 1 heure du matin.
Bibliographie
Gilles Schlesser[26], Le Cabaret rive gauche (Cahier photo 16 pages[27]), Éditions l'Archipel, , 682 p.
Ce livre contient la liste des artistes qui sont passés sur les planches du cabaret l'Écluse[4].
Marc Chevalier (préf. Pierre Tchernia), Mémoires d'un cabaret - L'Écluse, Éditions La Découverte, 1987'"`uniq--ref-00000095-qinu`"'.
Barbara, Il était un piano noir… mémoires interrompus, Fayard,
Elle y évoque ses débuts à L'Écluse pendant six ans, de 1958 à 1964.
Christian Stalla (préf. Marc Chevalier), Autour de l'Ecluse, Editions l'Harmattan, coll. « Cabaret », .
Christian Stalla et Marc Vincent, Cabarets, du Chat noir à l'Écluse, , p. 65.
Dans les dernières années de sa vie, Brigitte Sabouraud travaille à la rédaction d'un livre de souvenirs qui reste à paraître[8].
Bibliothèque nationale de France : Cabaret L'Écluse : Ensemble de documents concernant le cabaret L'Écluse et son fondateur[28]. Donation de Monsieur Marc Chevalier, fond entré en 2008 au département des Arts du spectacle. Le fonds se compose des archives du cabaret (administration, programmation, presse, photographies) et de documents concernant la carrière du duo Marc & André, dont des partitions et des disques.
La lettre des amis de Barbara : Brigitte Sabouraud : lorsque s'est tue la sirène[8] - Article en page 2 du no 10 (été 2002).
Panorama (émission de télévision) : Réouverture de l'Écluse - Avec Georges Jouin (1951)
France Musique : Concert du soir - Chansons d'enfances (3)[29] Une émission conçue et présentée par Serge Hureau le .
Présent, Émission du : Diane Dufresne chante « T’en souviens-tu la Seine » (en répétition à l’Écluse).
Chansons d'Été : L'Écluse, un cabaret rive-gauche en compagnie de Marc Chevalier, l'un des fondateurs du cabaret. Diffusée le sur France Musique | Durée : 34 min.
↑Ce titre fait référence au premier disque 45 tours qu'elle vient d'enregistrer, qui est une chanson dédiée à son horaire de passage après minuit, le fameux numéro 6 (voir dans cette page la rubrique Activités.
↑NB : Contrairement à ce que l'on peut lire ici et là, notamment sur internet, ce disque a bien été enregistré au cabaret L'Écluse, le faible niveau d'applaudissements étant lié à la capacité limitée de la salle (environ 80 places). Il existe la même polémique d'ajouts d'applaudissement sur des albums de jazzmen enregistrés dans des clubs de jazz. Il faut cependant se replacer dans le contexte de l'époque : les mixages de bandes son ajoutés sont plutôt arrivés dans les années 1960, avec par exemple Creed Taylor, qui arrive comme directeur de la maison Verve Records. Concernant ce disque, on ne trouve pas d'information tangible corroborant le sujet, juste des affirmations. Par contre, ce qui semble évident, c'est que sur la version CD de réédition, on a profité de la remasterisation des bandes pour effacer les applaudissements, car il semble qu'il n'y ai pas d'enregistrement studio de ces titres à cette époque. Enfin, la sortie de la compilation « Un soir à l'Écluse » confirme qu'il y a bien eu des enregistrements dans ce lieu, dont Barbara, qui s'y est produite à de nombreuses reprises, devant à ce cabaret son succès naissant. On y retrouve le titre no 2 Souvenance de son album.
↑Soit : respectivement, Brigitte Sabouraud, Léo Noël, Marc Chevalier et André Schlesser.
↑Ce CD disponible à la vente est également diffusé dès 1998 par le bar à vin L'Écluse Grands-Augustins qui a succédé au cabaret, à l'occasion des 20 ans de ces bars à vin.
↑Titre tiré de : Mack the knife = Mackie Messer = La complainte de Mackie.
↑Il publie son premier dessin dans le journal Le Monde le 7 septembre 1972 et projette ses dessins à L'Écluse la même année.
↑Cf. ( Le cabaret l'Écluse : site rétrospectif animé - Consultation du 25 mai 2010 : Yves Joly est programmé au cabaret L'Écluse en 1957, dans le même spectacle que Barbara, qui débute ici en 1954.
↑Mathilde et Paul Dougnac sont présentés au cabaret L'Écluse par Yves Joly. Voir également trois diapositives de leurs marionnettes : Cf. ( Le cabaret L'Écluse : site rétrospectif animé - Consultation du 25 mai 2010
↑Cf. ( Le cabaret l'Écluse : site rétrospectif animé - Consultation du 25 mai 2010 : Ce mime interprété par trois élèves de l'École hôtelière de Paris, Michel, Jean-Claude et François, est mis en scène par Alejandro Jodorowsky.
↑Comme en témoigne encore aujourd'hui le restaurant L'Écluse Grands-Augustins qui y a pris place, le comptoir de bistrot qu'on peut y voir occupant l'espace alloué, jadis, à la scène.
↑Cf. Préface de Pierre Tchernia au livre de Marc Chevalier, Mémoires d'un cabaret - L'Écluse.
↑Cf. ( Le cabaret l'Écluse : photographie de la tenue de scaphandrier dans l'introduction visuelle du site