En tant que chef d'orchestre, Sanderling affectionne les tempos lents et un certain sentimentalisme dans l'expression, racheté par une technique impeccable et une grande probité vis-à-vis du texte. Sa vision des symphonies de Chostakovitch, qu’il avait bien connu[3], est peut-être la plus émouvante de toutes, car la plus lyrique. Sanderling a eu, en outre, le privilège de rencontrer personnellement le compositeur finlandais Jean Sibelius[4]. En Russie, il a contribué, avec des chefs comme Ievgueni Mravinski et Guennadi Rojdestvenski, à faire connaître et apprécier son œuvre.
En Allemagne de l'Est, il réalise plus tard une intégrale des symphonies de Sibelius d'une grandeur abrupte et sans concessions.
Kurt Sanderling et Chostakovitch : la Quinzième symphonie
Bien qu'il ne dirigeât, ni n'enregistrât la totalité de ses œuvres symphoniques, contrairement à d'autres chefs d'orchestre russes, comme Kirill Kondrachine ou Rudolf Barchaï, Kurt Sanderling fut, néanmoins, considéré comme l'un des dépositaires les plus authentiques de la pensée musicale de Dmitri Chostakovitch. Il fut surtout, en particulier, un fervent défenseur et un interprète assidu de son ultime symphonie, la Quinzième en la majeur opus 141. Il l'enregistra, d'ailleurs, à deux reprises : à Berlin, en Allemagne de l'Est, en 1978 ; puis avec l'Orchestre de Cleveland, en 1991, pour le label Erato. Voici ce qu'il déclarait au Monde de la musique, lors d'un de ses concerts parisiens, au milieu des années 1990 : « Évoquer un magasin de jouets à propos du premier mouvement de cette symphonie est juste, à condition de bien comprendre que ces jouets sont des marionnettes sans vie. C'est ce que rappelle le thème de Guillaume Tell de Rossini : l'absence d'âme. Cela n'a rien d'une musique légère. J'ai dirigé cette œuvre plus de soixante-dix fois et le public est toujours bouleversé. » Il confiait également : « D'après mon expérience de chef d'orchestre, je peux dire que c'est justement la Quinzième Symphonie qui fait la plus grande impression sur le public, celui-ci sent la monstruosité du contenu. Tout particulièrement dans le dernier mouvement, qui est un adieu à la vie riche en larmes et profondément émouvant. À la fin, lorsque la batterie commence à trembler et à striduler, cela me fait toujours penser par association d'idées à une station intensive dans un hôpital : l'homme est relié aux appareils les plus divers et les indicateurs indiquent que les courants du cœur et du cerveau s'éteignent progressivement, puis après un dernier soubresaut, tout est terminé. » (entretien avec Hans Bitterlich pour Berlin Classics, ).
« Mon départ de Leningrad a été difficile à négocier. Il a fallu m'armer de patience ; mon parcours avait été tellement atypique que j'ai souhaité éviter toute controverse : [...] je n'oubliais pas que l'Union soviétique m'avait sauvé de la Shoah ; si j'y ai vécu des événements que j'aurais préféré ne pas connaître, l'attitude des Soviétiques m'a permis d'effectuer une carrière exceptionnelle. Il n'empêche que, ne me sentant pas pleinement intégré à la nation russe, j'avais envie [...] de retrouver mon sol natal [...] et de me lancer dans une nouvelle aventure musicale. »
↑La Philharmonie de Leningrad, alors dirigée par Mravinski et Sanderling, donna, en mars 1946, neuf concerts à Helsinki. Le 20 mars, les deux chefs d'orchestre furent conduits par Jussi Jalas chez Sibelius à Ainola. (In : Marc Vignal : Jean Sibelius, Fayard, 2004.)