C'est clairement l'Affaire Dreyfus, que Magnard qualifie d'« abominable déni de justice »[2], qui est à l'origine de la composition de cette pièce pour orchestre[3].
Le jour même de la publication de J'accuse...! (L'Aurore, )[4], Magnard écrit à Zola: « Bravo, Monsieur, vous êtes un crâne. En vous l'homme vaut l'artiste. Votre courage est une consolation pour les esprits indépendants qui préfèrent la justice à leur tranquillité, qui ne tremblent pas à l'idée d'une guerre étrangère et qui ne se sont pas aplatis devant ce sinistre hibou de Drumont et ce vieux polichinelle de Rochefort. Marchez ! Vous n'êtes pas seul. On se fera tuer au besoin »[2]. Il signe ensuite de nombreuses pétitions pour la révision du procès[5]. En 1899, lorsque Dreyfus est gracié par le président Émile Loubet, Magnard, qui est alors sous-lieutenant, démissionne de l'armée[5].
Émile Gallé, maître verrier à Nancy et ami de Magnard, à qui l'œuvre est dédiée, comptait parmi les premiers signataires de la pétition de soutien à Dreyfus en 1898[6]. Gallé devait d'ailleurs devenir trésorier de la Ligue des droits de l'homme peu après (en 1899). À l'occasion de l'Exposition universelle de 1900, l'artiste présente ainsi des œuvres témoignant de son soutien dreyfusard, organisées autour d'un four de verrier que Magnard qualifie de « four vengeur »[7].
Réception critique
La création à Nancy fut bien accueillie du public, mais aussi de la presse, qui écrivait le lendemain : « L'Hymne à la justice est puissant et d'une originalité incontestable »[8].
La première audition parisienne, le [9] aux Concerts Alfred Cortot, est également une réussite, Edmond Stoullig écrivant par exemple dans Le Monde artiste du : « Hymne à la Justice, de M. Albéric Magnard, une belle composition d'un style ferme et puissant, dont la sûreté de l'instrumentation dénote un artiste remarquablement doué »[10].
Analyse
L'œuvre, en si mineur, a une durée moyenne d'exécution d'environ 15 minutes[11].
Selon Gaston Carraud, le premier biographe de Magnard, « nous entendons, dans la première idée, se succéder l'oppression de l'injustice et l'appel douloureux à la justice. Brutalement terrassée, la victime lève les yeux vers I'idéal inaccessible. Avec une plainte qui réveille la persécution, elle voit s'évanouir la douce lueur ; mais au même moment que la violence impose son retour le plus insolent, soudain, le triomphe de la justice éclate, foudroyant, en apothéose[12]. »
Harry Halbreich acquiesce, et précise la forme, conçue en « triade en légère expansion (114, 139 et 151 mesures), faisant se succéder chaque fois les deux thèmes principaux (il y a donc six sections au total), et comme le dernier volet présente le caractère d'une réexposition suivie d'une coda, on peut aussi y reconnaître le principe fondamental de la sonate[13]. »
(fr) Harry Halbreich, « Albéric Magnard : Hymne à Vénus – Hymne à la justice – Chant funèbre – Ouverture op. 10 – Suite dans le style ancien », p. 4-6, Paris, Timpani (1C1067), 2002 .