Godescalc d'Orbais (Godescalcus en latin et Gottschalk en allemand, ce qui signifie serviteur de Dieu), né en Thuringe à Mayence vers 806 et mort en 869, est un théologien et poète franc. Sa doctrine de la double prédestination a été condamnée comme hérétique en 849.
Biographie
Godescalc est fils d'un comte saxon. Enfant, il est donné par son père comme oblat à l’abbaye de Fulda[1]. Selon Nicolas Du Bout, prieur de l'abbaye d'Orbais, il est élevé et instruit dans le monastère de Reichenau, et a pour maître Talon ou Tatton, moine célèbre par son savoir qui occupa à Reichenau les fonctions de modérateur de l'école[2].
Il rencontre à Fulda ou Reichenau, Walafrid Strabon et Loup de Ferrières avec qui il noue des liens d'amitié.
Devenu adulte, il ne veut pas devenir moine, mais le supérieur du monastère, Raban Maur, l’y contraint.
Il prêche sa doctrine et bénéficie de l'hospitalité d'Évrard ou Eberard marquis de Frioul qui, ayant reconnu l'érudition de Godescalc, le retient et l'oblige de demeurer quelque temps chez lui.
Pendant ce séjour, Nothingue (en latin : Nothingus)[4] a un entretien avec lui sur la prédestination, qu'il explique par plusieurs autorités de saint Augustin.
Nothingue ne comprend pas le sens de la proposition de Godescalc : Omnes reprobos qui in die judicii damnabuntur propter ipsorum mala merita, idem ipse incommutabilis Deus per justum judicium suum incommutabiliter praedestinavit ad mortem merito sempiternam.[5].
Quelque temps après, Nothingue rencontre son ancien supérieur Raban Maur devenu archevêque de Mayence et lui dit que Godescalc soutient qu'il y a deux prédestinations, l'une au repos, qui est celle des élus, et l'autre à la mort, qui est celle des réprouvés.
Raban lui promet qu'il composerait quelque petit écrit, où il réfuterait cette erreur prétendue par des témoignages de l'Écriture et des saints Pères.
Il adresse une lettre à l'évêque Nothingue Migne[6], et une à Évrard pour dénoncer Gottschalk comme hérétique.
Il doit fuir l'Italie, et voyage en Dalmatie, en Pannonie et en Norique.
Gottschalk consulte sur ces questions, prédestination au mal, volonté et mort de Jésus-Christ, libre arbitre, les théologiens et leur propose ses sentiments et sa doctrine, particulièrement à Loup de Ferrières, prêtre de Mayence, à Jonas [7] et à Markward ou Marcuard, abbé de Prüm[8].
En octobre 848, il présente au synode à l’abbaye Saint-Alban devant Mayence une profession de foi et une réfutation des idées exprimées par Raban Maur dans sa lettre à Nothingue.
Raban Maur l'accuse de soutenir que la prédestination de Dieu contraint des hommes de se perdre, en sorte qu'ils ne sauraient se retirer de leurs égarements et de leurs péchés.
Il est néanmoins condamné pour hérésie et renvoyé dans son monastère d'Orbais.
Raban écrit en même temps à Hincmar une lettre synodale, dans laquelle il lui impose les mêmes erreurs qu'il lui avait déjà été faussement attribuées : « Que me servira-t-il de travailler à mon salut? Si je suis prédestiné à la damnation, je ne puis l'éviter ; et au contraire, quelque mal que je fasse, si je suis prédestiné à la vie éternelle, je serai infailliblement sauvé. »[9].
Il est de nouveau condamné en 849 au concile provincial de Quierzy.
Hincmar l'oblige à comparaître devant douze prélats archevêques et évêques, entre autres de Rhotadus, évêque de Soissons[10], de Rigbold, chorévêque de Reims, Radbert, abbé de Corbie, Bavon, abbé d'Orbais, etc. Godescalc entendu, explique sa doctrine.
Ces prélats le condamnent comme hérétique, lui interdisent l'usage des sacrements : condamné à être battu de verges et renfermé toute sa vie dans une obscure et étroite prison.
Il est emprisonné au monastère de Hautvillers, après avoir été déchu de son ministère de prêtre[9].
Après 18 années de réclusion, Godescalc envoie ses écrits au pape Nicolas Ier par un religieux d'Hautvillers, nommé Guntbert qui semble avoir été arrêté clandestinement par les émissaires d'Hincmar, et adresse à Egilon, archevêque de Sens en partance pour Rome.
Son archevêque, Hincmar essaye de le convaincre de se rétracter.
Godescalc refuse et écrit à ses amis et aux théologiens les plus éminents.
Il s'ensuit une controverse où il obtient le soutien de Prudence, archevêque de Troyes, de Wenilon, archevêque de Sens, de Florus de Lyon et de ses amis Ratramne de Corbie et Loup de Ferrières.
Contre lui, Hincmar écrit De praedestinatione Dei et libero arbitrio et De una non trina deitate.
Jean Scot Érigène dont Hincmar invoque l'autorité s'implique peu dans cette controverse.
La question est discutée aux conciles de Quierzy en 853, de Valence en 855 et de Savonnières en 859.
Il meurt entre 866 et 870.
Hincmar lui refuse les sacrements et l'inhumation dans un sol consacré.
Théologie
Godescalc prêche une doctrine controversée concernant la prédestination, croyance selon laquelle Dieu a déterminé par avance les hommes qui seront sauvés, et ceux qui sont condamnés[1]. Cette double prédestination va au-delà de la pensée de saint Augustin[11]. Elle « restreint à la fois la volonté salvatrice de Dieu, et l'universalité de la Rédemption »[12]
Il est aussi opposé à Hincmar de Reims dans une autre controverse théologique moins connue. À partir de la formule latine «Deitas trina », Godescalc déduit l'existence de trois dieux. Il utilise comme argument la seule science qu'il connait le moieux : la grammaire[13].
Poésie
Il a laissé des poèmes qui montrent de la dextérité dans la versification latine et une « intériorité religieuse empreinte d'augustinisme »[13].
Postérité
Au XVIIe siècle, les jansénistes l'ont porté en haute estime.
↑ a et bJoël Chandelier, L'Occident médiéval : D'Alaric à Léonard (400 - 1450), Paris/impr. en République tchèque, Éditions Belin, coll. « Mondes anciens », , 700 p. (ISBN978-2-7011-8329-9), chap. 3 (« L'imparfaite unification de l'Europe (700-888) »), p. 166.
↑Philippe Bernard « L'épanouissement d'un culture chrétienne occidentale », in Histoire générale du christianisme t.1, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Robert Armogathe (avec Pascal Montaubin et Michel-Yves Perrin pour le t.1), éd. PUF, Collection Quadrige, septembre 2010, 2896 pages.
Nicolas Du Bout, Histoire de l'abbaye d'Orbais, Paris, A. Picard, , 706 p. (lire en ligne)..
Boller Bernard, Gottschalk d'Orbais de Fulda à Hautvillers : une dissidence (avec une préface de Michel Wieviorka et une postface de Patrick Lopez et Pierre-Yves Jardel). Paris, SDE (Société des écrivains), 2004. 277 p., 24 cm. (ISBN2-7480-2161-4).
Genke Victor & Gumerlock Francis X. Gottschalk & A Medieval Predestination Controversy (Texts Translated From The Latin) (Medieval Philosophical Texts in Translation). Milwaukee (Wisconsin), Marquette University Press, 2010. (ISBN978-0874622539)
Suhamy Ariel, Godescalc, le moine du destin (IXe siècle). Paris, Alma, 2016.