Selon les uns, son père était probablement un certain Gershom ben Salomon de Béziers, un notable juif connu par d'autres textes médiévaux[2]. D'autres, à la suite d'Abraham Zacuto, pensent que son père était Gershom ben Salomon d'Arles, ce qui est possible, mais très incertain[3].
Gersonide parlait provençal, mais écrivait exclusivement en hébreu, langue scientifique des Juifs à l'époque. Ses œuvres semblent indiquer aussi qu'il connaissait les débats scolastiques de l'époque. Il savait donc peut-être lire le latin, ou alors il avait peut-être discuté oralement avec des philosophes de culture chrétienne[2]. Notamment, Tamar Rudavsky pense qu'il rencontra Guillaume d'Ockham à la cour du pape à Avignon[4].
Il vécut probablement à Orange (Vaucluse) et fit plusieurs voyages à Avignon[2].
Gersonide mourut le [2], apparemment à Avignon[5].
Son commentaire sur Job est l'un des premiers livres imprimés en hébreu (Ferrare, 1477). Son commentaire sur l'Ecclésiaste fut écrit en 1328.
Il écrivit en 1340 son commentaire philosophique et ésotérique sur le Chir Hachirim. Ses commentaires de la Bible sont l'œuvre d'un profond philosophe. Il était aussi extrêmement habile à analyser un texte et à en sortir les enseignements éthiques et religieux.
Comme philosophe, ses commentaires sur les épitomés et les commentaires moyens d'Averroès, rédigés entre 1319 et 1324, couvrent la majeure partie du corpus d'Aristote.
Il est aussi l'auteur du Milhamot Hachem (Les guerres du Seigneur), construit sur le modèle du Guide des Egarés. Il s'agit d'une synthèse de l'aristotélisme de Maïmonide et d'Averroès. Cette synthèse a plusieurs conséquences :
Le dogme de la création biblique est compatible avec l'éternité de la matière. Sur ce point, Gersonide opère une dissociation entre d'une part le concept de la création temporelle (qu'il cherche à fonder théoriquement : le monde possède un commencement dans le temps) et d'autre part le concept de création à partir du néant, dont il cherche à limiter la portée. Sa synthèse entre aristotélisme et religion révélée est sur ce point originale, et très différente de celle de Maïmonide ou Averroès : Gersonide estime que le processus de la création doit lui aussi respecter la loi physique aristotélicienne selon laquelle tous les phénomènes de génération et de corruption impliquent la nécessité d'un substrat matériel. Par conséquent, il doit admettre une matière coéternelle à la divinité créatrice. En revanche, afin de sauvegarder l'enseignement révélé, il précise que la création constitue un processus de génération volontaire et non naturel, de telle sorte qu'elle n'est pas soumise aux règles qui régissent les mouvements du monde sublunaire. Le substrat primordial, coéternel à Dieu, auquel fait référence Gersonide est exprimé de différentes manières : il parle de « geshem ne'edar kol tsurah » (un corps privé de toute forme), ou de « geshem bilti shomer temunato » (un corps qui ne conserve pas sa propre figure). L'homme n'est toutefois capable de comprendre cette notion, qui évoque la notion platonicienne de réceptacle (Timée, 49a-b) que de manière négative.
Les attributs divins étant compatibles avec l'unité divine, la théologie négative de Maïmonide est inutile.
Les attributs divins et créaturels cessent d'être équivoques. Ils sont de même nature. Mais, ce qui appartient à Dieu en propre, les créatures l'acquièrent par participation à l'existence divine.
L'éthique de la liberté, fondamentale chez Maïmonide, subit la pression du déterminisme cosmique, astrologique.
La Révélation elle-même n'est pas issue de Dieu, mais d'une Intelligence séparée qui gouverne, par délégation, les destinées du monde.
Cet infléchissement averroïste de la spéculation juive vers une forme de positivisme médiéval, tend à atténuer le sens du mystère divin et à minimiser la part d'intervention divine directe dans l'histoire des hommes. Il contribue à creuser le fossé qui éloignera de plus en plus la philosophie juive et la Kabbale.
Les guerres du Seigneur comprend un Traité d'astronomie en 136 chapitres. Il y attaque les principes fondamentaux du système de Ptolémée. Se basant sur ses propres observations (une centaine environ), il mentionne dix éclipseslunaires et solaires qu'il a lui-même observées.
Il fournit également le mode de construction et d'utilisation d'un instrument appelé Baculus Jacob (le bâton de Jacob), également radius astronomicus (rayon astronomique), crux geometrica (croix géométrique), arbalestrille ou arbalète.
Cet instrument permet de mesurer la distance angulaire entre deux étoiles, deux planètes ou l'angle entre l'horizon et un astre, utilisé en astronomie puis pour la navigation. Son traité comprend en outre des tables astronomiques commandées par des nobles chrétiens et des chapitres de trigonométrie.
Inventé au XIVe siècle, le bâton de Jacob ou arbalète est adopté par les navigateurs à partir du début du XVIe siècle. En astronomie, son usage perdure jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Instrument simple à fabriquer et d'une précision acceptable pour la mesure des latitudes, il n'est délaissé par les navigateurs qu'à la fin du XVIIIe siècle.
Notes et références
↑Traductrice d'extraits des Guerres du Seigneur in Philosophes médiévaux des XIIIe et XIVe siècles, 10/18, 1986.
↑ abcd et e(en) Tamar Rudavsky, « Gersonides », sur Stanford Encyclopedia of Philosophy (consulté le ).
↑(en) James T. Robinson, « Gershom ben Solomon of Arles' Sha'ar ha-Shamayim: Its Sources and Use of Sources », dans Steven Harvey, The medieval Hebrew encyclopedias of science and philosophy, Kluwer Academic Publishers, (ISBN0-7923-6242-X), p. 248-274.
Levi Ben Gershom (Gersonides), The Wars of the Lord, An annotated Critical Edition of Treatises 1-4. Treatises 1-2 edited by Ofer Elior. Treatises 3-4 edited by the late Charles Touati and Ofer Elior, Tel Aviv 2018 (en hébreu).
Lévi ben Gershom (Gersonide), Les Guerres du Seigneur, livres III et IV, introduction, traduction [française] et notes par Charles Touati. Paris-La Haye, Mouton & Co,1968.
Levi Ben Gershom (Gersonides), The Wars of the Lord, 3 vol., trad. anglaise par S. Feldman, Philadelphia - New York - Jérusalem, Jewish Publication Society of America, 1984-1999.
Études
Charles Touati, La pensée philosophique et théologique de Gersonide, Paris, 1973.
G. Dahan (éd.), Gersonide et son temps. Science et philosophie médiévales, Louvain - Paris, 1991.
S. Feldman, Gersonides' Proofs for Creation of the Universe, Proceedings of the American Academy for Jewish Research no 35 (1967), pp. 113-137.
S. Feldman, Platonic Themes in Gersonides' Cosmology, in Salo W. Baron Jubilee Volume, éd. S. Liebermann & A. Hyman, Jérusalem, 1975, vol. I, pp. 383-406.
G. Freudenthal, Cosmogonie et physique chez Gersonide, Revue des études juives no 145/3-4 (1986), pp. 295-314.
G. Freudenthal (éd.), Studies on Gersonides. A Fourteenth Century Jewish Philosopher, Leiden - New York, 1992.
R. Gatti, Sensory Experience and Metaphysics in Medieval Jewish Philosophy: Once Again on the Limitations of Human Knowledge According to Maimonides and Gersonides, Quaestio no 4 (2004), pp. 91-112.
R. Gatti, be-re'sit. Interpretazioni filosofiche della creazione nel Medioevo ebraico e latino, Gênes, Il Melangolo, 2005, pp. 106-154.
Colette Sirat, S. Klein-Braslavy, O. Weijers, Ph. Bobichon, G. Dahan, M. Darmon, G. Freudenthal R. Glasner, M. Kellner, J.-L. Mancha (éds), Les méthodes de travail de Gersonide et le maniement du savoir chez les scolastiques, Paris, Vrin, 2003.
J. Staub, The Creation of the World According to Gersonides, Los Angeles, 1982.
Gérard E. Weil, La bibliothèque de Gersonide d’après son catalogue autographe, texte de Gérard E. Weil, édité après sa mort par Frédéric Chartrain, avec la collab. d'Anne-Marie Weil-Guény et Joseph Shatzmiller, Louvain et Paris, E. Peeters, 1991, 149 p. (collection : Revue des études juives ; 10) (ISBN90-6831-352-5).