L'Enquête sur l'évolution littéraire est un recueil d'entretiens de Jules Huret avec 64 écrivains, paru en volume en 1891.
Enquête
Initialement publié dans L'Écho de Paris du 3 mars au 5 juillet 1891[1], ce « reportage expérimental[2] » a pour but d'appréhender comme un ensemble la littérature du moment et de discerner les forces qui la sous-tendent[3].
« Il ne faut donc pas voir, dans l’Enquête que je soumets au public, une étude générale de notre littérature pendant une période caractérisée par des concomitances, des affinités intellectuelles et morales comme l’ont été le romantisme et le naturalisme, comme le seront peut-être le symbolisme et le psychologisme. Elle offre, plus simplement, sous l’inquiète lorgnette de l’actualité et dans le champ clos d’un journal, le spectacle, pour la première fois, Mesdames et Messieurs, d’artistes présentés en liberté et mal embou...lés, qu’on se le dise afin que n’en ignore la foule dont la férocité se complait dans toutes les arènes. »
Huret se comporte en ethnologue qui découvre une tribu aux fratries innombrables[4], mais renouvelle la définition de la République des Lettres, en effectuant un recensement systématique[5].
L'enquête a un grand succès, grâce à un subtil dosage entre la nouveauté de l’interview, qui privilégie le « fait brut », et la tradition française d’un journalisme « de conviction » affichant des prétentions stylistiques et littéraires[6]. Mais elle soulève de nombreuses controverses[7], car « chacun montrait plus d’attention à se payer la tête du voisin qu’à s’inquiéter de la sienne propre[8] ». Leconte de Lisle en vient à menacer de provoquer Anatole France en duel[9].
La mise en scène est soignée : Huret présente « une sorte de zoo, visant à susciter chez ses visiteurs l’admiration ou la curiosité[10]. » Il capte le détail qui établit la connivence avec le lecteur, pose la bonne question au bon moment, tend les perches qu’on ne demande qu’à saisir, dramatise les temps forts de la discussion. Tour à tour Rouletabille et Dupin, il pourchasse l’information, hante les coulisses, cherche à résoudre les mystères. Il transforme les chroniques de l’Enquête en œuvre d’auteur[11]. « Il arrive à combiner les trois genres de l’enquête, du portrait et de la polémique. Surtout, il est l’un des premiers à créer l’évènement, à montrer la puissance du journal qui pouvait à lui tout seul engendrer une nouvelle Bataille d'Hernani[12]. »
Si certains critiques ont qualifié l'Enquête d'échec[13], Huret préfère employer le mot défaite : « De mon programme, en effet, c’est à peine si j’ai pu suivre, oh ! pas toujours ! l’ordre des interviews. Quel, mon étonnement, quand j’ai vu, au lieu de la lutte courtoise où je conviais ces écoles, ces pugilats et ces estafilades d’assommeurs et de spadassins ! car j’avais rêvé de causeries malicieuses dans le laisser-aller d’un fauteuil, au pis-aller des dissertations graves[14] »
Classifications
La principale difficulté que rencontre Jules Huret est d’ordre taxinomique : comment classer un nombre considérable d’écrivains hétéroclites, quand chacun revendique sa différence ? Plutôt qu'une distinction entre romancier et poète, ou entre écrivain connu et écrivain inconnu, il préfère adopter un point de vue chronologique, et établir un tableau synoptique des "écoles"[15].
Il y ajoute, pour « s'éjouir d'une besogne qui ne fut pas toujours gaie[16] », un tableau des tempéraments, des attitudes d'esprit manifestées sous ses yeux, ainsi qu'un classement des écrivains les plus cités par les autres[17].
Jules Huret, Enquête sur l'évolution littéraire, conversations avec MM. Renan, de Goncourt, Émile Zola, Guy de Maupassant, Huysmans, Anatole France, Maurice Barrès... etc., Paris, Charpentier, (lire en ligne sur wikisource)
Jules Huret, Enquête sur l'évolution littéraire : conversations avec MM. Zola, Renan, de Goncourt, Maupassant, Huysmans, France, Barrès, Mallarmé, Verlaine, Saint-Pol-Roux, Maeterlinck, Mirbeau, de Heredia, Leconte de Lisle, Paris, Éditions Grasset, , 369 p. (ISBN978-2-246-83355-0)
Bibliographie
Jean-Albert Bédé, « Une Heure avec Jules Huret », L'Esprit créateur, vol. 4 n° 2, (lire en ligne)
Jean-Pierre Bertrand et François Provenzano, « Un laboratoire historiographique : l'Enquête sur l'évolution littéraire en Belgique (1891-1892) », Romantisme, , p. 77-89 (lire en ligne)
Jérôme Garcin, « Jules Huret, l’homme qui a inventé l’interview littéraire », L'Obs, (lire en ligne)
Yoan Vérilhac, « Un moment républicain de l’histoire littéraire, L’Enquête sur l’évolution littéraire de Jules Huret », dans L'Entretien du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Garnier, (lire en ligne)