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Il naît en Égypte, dans une famille juive francophone.
Marqué dans sa jeunesse par la disparition prématurée de sa sœur, il publie dès 1929 diverses plaquettes de poésie et fonde avec Georges Henein les éditions à orientation surréaliste La Part du sable. Il se lie d'amitié avec Albert Cossery et Andrée Chédid, deux compatriotes au destin similaire.
En 1935, il se marie avec Arlette Cohen, qui lui sera un soutien moral essentiel dans les épreuves que leur réservera la vie. Ils auront deux filles et cinq petites-filles[2].
Edmond Jabès a noué des complicités avec plusieurs artistes comme le musicien Luigi Nono, le peintre Zoran Mušič ou le sculpteur Goudji. Il a publié des livres en étroite collaboration avec des peintres tels qu'Antoni Tapiès ou Olivier Debré.
Marqué au plus vif par l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, il collabore, à partir de 1945, à plusieurs revues dont La Nouvelle Revue française. Il est amené à quitter son Égypte natale en 1956 lors de la crise du canal de Suez, en raison de ses origines juives. Cette expérience douloureuse du déracinement devient fondamentale pour son œuvre, marquée par une méditation personnelle sur l'exil, le silence de Dieu et l’identité juive, qu’il dit n’avoir découvert qu’à l’occasion de son départ forcé. Il s’installe alors à Paris, où il demeure jusqu’à sa mort.
Naturalisé français en 1967, il a été lauréat de nombreux prix parmi lesquels le Prix des Critiques en 1970. En 1982, il a obtenu le Prix Francine et Antoine Bernheim des Arts, des Lettres et des Sciences de la Fondation du judaïsme français. Sollicité par diverses universités de par le monde, il a souvent été invité à prononcer des conférences ou à prendre part à des colloques à l'étranger, notamment aux États-Unis, en Israël, en Italie et en Espagne.
Il meurt le . Il est incinéré le [3]. Ses cendres puis celles de son épouse décédée un après lui, ont été déposées dans une case du columbarium du cimetière du Père-Lachaise.
Edmond Jabès a publié, entre autres, Je bâtis ma demeure (1959), préfacé par Gabriel Bounoure, un recueil qui couvre les années 1943-1957, salué à sa sortie par des voix aussi dissemblables et fraternelles que celles de Jules Supervielle, Gaston Bachelard ou Albert Camus.
L'œuvre d'Edmond Jabès a marqué de façon durable l'œuvre et la pensée d'écrivains comme Maurice Blanchot ou Jacques Derrida.
Analyse de l'œuvre
Le cycle du Livre des Questions
Il a écrit le cycle du Livre des questions (1963-1973), comportant sept tomes étalés sur dix ans, et, à sa suite, Le Livre des ressemblances (1976-1980) et le cycle du Livre des marges, achevé par la publication, à titre posthume, du Livre de l'Hospitalité, en 1991.
Cette œuvre, interroge les liens qui unissent son destin d’exilé à la « révélation » d’un judaïsme qu’il soupçonnait à peine. Elle mêle réflexions profondes sur l’écriture et méditation inquiète sur l’avenir de l’homme. Comme l'écrit Paul Auster dans son essai L'art de la faim[4] : « Ni roman, ni poème, ni essai, ni pièce de théâtre, Le Livre des Questions en combine toutes les formes en une mosaïque de fragments, d'aphorismes, de dialogues, de chansons et de commentaires qui gravitent indéfiniment autour de la question centrale du livre : comment parler de ce qui ne peut être dit ? La question, c'est l'holocauste juif, mais c'est aussi la littérature elle-même. Par un saut stupéfiant de l'imagination, Jabès traite les deux comme s'ils n'étaient qu'un. ».
Edmond Jabès fait partie de ces écrivains venus après la Shoah, dont ils ont été les contemporains impuissants, pour qui « le silence de Dieu » est à la source de tous les questionnements. « Auschwitz est, dans mes livres, non point uniquement en tant que summum de l'horreur, mais comme faillite de notre culture. »[5], un événement au cœur de son œuvre : « un cri qui résonne dans le fond de la mémoire juive comme un spasme »[6].
Perspectives
De manière générale, l'œuvre d'Edmond Jabès se situe dans la tradition du discours apophatique qui remonte, d'un côté, au néoplatonisme et l'ineffabilité de l'Un et, de l'autre, à la tradition de réflexion sur le Nom de Dieu comme l'Ineffable par excellence, telle qu'on la retrouve assumée dans la Kabbale. Les façons apophatiques de parler et de penser sont d'une importance prioritaire dans toute l'écriture de Jabès : elles permettent de mesurer les formes nouvelles que ce type de discours assume dans la littérature aujourd'hui. Pour essayer de cerner cette perspective, on peut solliciter l'œuvre de son ami Paul Celan, également écrivain hautement apophatique, c'est-à-dire centré sur ce qu'on ne peut pas dire. Au travers de cette comparaison, il est possible d'établir deux motifs d'indicibilité apophatique en fonction des deux traditions originelles. Tandis que Celan découvre ce qui reste inaccessible hors de la langue, la catastrophe historique, l'indicible de la Shoah, l'indicible de Jabès se situe pour la plupart à l'intérieur de la langue. Jabès pense l'ineffabilité dans la langue et de la langue, en première instance du Livre et du Nom de Dieu, plutôt que celle qui est complètement autre et absolument transcendante par rapport à la langue. Cependant, ces deux voies, une fois distinguées, accusent toutes deux une tendance à se confondre pour des raisons inévitables, en rapport avec ce qui échappe à toute articulation linguistique.
Daniel Lançon, Jabès l'Egyptien, Jean-Michel Place, 1998
Steven Jaron, ed., Portrait(s) d'Edmond Jabès, Bibliothèque nationale de France, 1999
Eric Benoit, Écrire le cri : Le Livre des Questions d'Edmond Jabès, Presses Universitaires de Bordeaux, 2000
Eric Benoit, De la crise du sens à la quête du sens, Mallarmé, Bernanos, Jabès, coll. Littérature, Cerf, 2001
Geoffrey Obin L'autre Jabès, Une lecture de l'altérité dans le cycle Le Livre des questions, Presses universitaires de Franche-Comté, 2002
Llewellyn Brown, "Edmond Jabès : Les semblants et la lettre dans Le Livre des questions" in Figures du mensonge littéraire, L'Harmattan, 2005
Aurèle Crasson, Irène Fenoglio, Récit : les cinq états du manuscrit. I et II / présentation, transcriptions et lectures de Marcel Cohen, Aurèle Crasson, Irène Fenoglio, Paris, Textuel, 2005