Edgard Varèse ou Edgar Varèse (les deux orthographes ont été utilisées par le compositeur lui-même à différentes époques de sa vie) est un compositeurfrançais naturalisé américain, né le à Paris et mort le 6 novembre 1965 à New York.
Formé, dans un premier temps, à la Schola Cantorum et au Conservatoire de Paris, Varèse trouve auprès d'artistes plus indépendants, comme Debussy et Busoni, les encouragements nécessaires pour son expression personnelle.
Edgard Varèse est né à Paris le [1]. Son père, ingénieur, est italien, et sa mère française d'origine bourguignonne. Quelques semaines après sa naissance il est envoyé chez son grand-oncle dans le village du Villars près de Tournus en Bourgogne. Là, il s'attache à son grand-père maternel, Claude Cortot (également grand-père du pianiste Alfred Cortot, un cousin germain de Varèse). Son affection pour son grand-père surpassait tout ce qu'il ressentait pour ses propres parents.
À la fin de l'année 1892, il est récupéré par ses parents et en 1893, le jeune Edgard est contraint de s'installer avec eux à Turin. C'est là qu'il prend ses premières vraies leçons de musique, avec le directeur du conservatoire de Turin, Giovanni Bolzoni. En 1895, il compose son premier opéra, Martin Pas, qui a depuis été perdu. Adolescent, Edgard est soumis à l'influence de son père, et doit s'inscrire à l'École polytechnique de Turin car son père désapprouve son intérêt pour la musique, et exige qu'il fasse des études d'ingénierie. Ce conflit latent se développe, surtout après la mort de sa mère en 1900, si bien qu'en 1903, Varèse quitte la maison et part pour Paris.
Il passa ses premières années aux États-Unis à rencontrer les principaux acteurs de la musique américaine, promouvant sa vision de nouveaux instruments de musique électronique, dirigeant des orchestres, et créant le New Symphony Orchestra, qui eut une existence éphémère. C'est à peu près à cette période que Varèse commença à travailler sur Amériques, qui fut achevée en 1921. Dans cette œuvre Varèse est particulièrement attentif à donner corps à la matière sonore protéiforme : il transforme des masses sonores en couleurs timbrales, jeux d’interactions réciproques déliés de l’emprise d’un système. Il lui fallait pour cela intégrer de nouveaux concepts de sonorité qui transforment les paramètres classiques de la musique en catégories plus larges, donc en « champs ».
C’est après l'achèvement de cette œuvre que Varèse fonda l’International Composers' Guild[2] (Association Internationale des Compositeurs), dédiée à l’interprétation de nouvelles œuvres de compositeurs américains et européens, et pour laquelle il composa plusieurs de ses pièces pour instruments et voix : Offrandes en 1922, Hyperprism en 1923 (scandale à la création), Octandre en 1924, et Intégrales en 1925.
Retour à Paris
En 1928, Varèse retourne à Paris pour modifier certaines parties d’Amériques en y incluant les ondes Martenot qui venaient d’y être inventées. Il compose en 1931Ionisation, qui est sans doute son œuvre non électronique la plus connue et l'une des premières œuvres de musique occidentale utilisant des instruments à percussion. Bien qu’écrite pour des instruments existants, Ionisation fut conçue comme une recherche de nouveaux sons et de nouvelles méthodes pour les créer.
En 1933, alors que Varèse était toujours à Paris, il écrivit à la Fondation Guggenheim et aux Laboratoires Bell dans l’espoir d’obtenir des fonds pour développer un studio de musique électronique. Sa composition suivante, Ecuatorial, terminée en 1934, contenait des parties pour thérémines, et Varèse, anticipant une réponse favorable à sa demande de fonds, retourna aux États-Unis pour y créer sa musique électronique.
Retour en Amérique, silence et reconnaissance tardive
Varèse écrivit Ecuatorial pour deux thérémines, voix de basse, vents et percussions au début des années 1930. Il fut créé le , sous la direction de Nicolas Slonimsky. Puis Varèse quitta New York, où il vivait depuis 1915, et se rendit à Santa Fe, San Francisco et Los Angeles. Lorsque Varèse revint en 1938, Léon Theremin était rentré en Russie. Ceci désespéra Varèse, qui avait espéré travailler avec Theremin à une amélioration de l’instrument. Varèse avait aussi présenté le thérémine lors de ses voyages dans l’Est, et en avait fait une démonstration le lors d’une conférence à l’université du nouveau Mexique à Albuquerque.
Dans Le Cauchemar climatisé (1945), Henry Miller revient sur sa rencontre avec Varèse, le chapitre donne lieu à un remarquable exercice d'analyse des thèmes chers au musicien et de ses travaux en cours — dont un qu'il appelle le Désert de Gobi : en 1940, Varèse rédige un court essai intitulé Son organisé pour piste sonore, préfigurant ses travaux enregistrés sur bande magnétique[3].
Lorsque, vers la fin des années 1950, Varèse fut contacté par un éditeur pour publier Ecuatorial, il ne restait que très peu de thérémines, et il décida donc de réécrire ces parties pour ondes Martenot. Cette nouvelle version fut créée en 1961.
Néanmoins, après cette œuvre, il entra dans une longue période de silence créatif (voir, par exemple, les esquisses pour Étude pour Espace). Il fallut attendre 1954 et la création de Déserts, qui provoqua un immense scandale, comparable à celui qui avait eu lieu à la première du Sacre du printemps de Stravinsky, pour que le compositeur soit connu et reconnu à la fois par les spécialistes et par un large public.
Dernières années
En 1958, le Concret PH (Parabole - Hyperbole) de Iannis Xenakis, courte pièce de deux minutes, servit d’interlude pendant le concert au pavillon Philips de l’exposition universelle de Bruxelles : il préparait les auditeurs au Poème électronique d’Edgard Varèse. L’espace sonore redistribué jouait alors un rôle bien plus important qu’un simple médium, qu’un support de l’œuvre : il y accède au rang de paramètre de la composition. Varèse avait appelé de ses vœux une telle intégration ; dès Hyperprism (1923), il parvenait à créer une musique qui intègre la composante spatiale pour une nouvelle dimension de la représentation, pour une musique spatialisée. Il meurt à New York le [2]. Son épouse Louise est décédée en 1989 à 98 ans.
Nocturnal (1959-61), pour soprano, chœur et orchestre (inachevé et reconstitué par Chou Wen-chung).
Œuvres inachevées, inédites et détruites
Le Fils des étoiles, opéra d'après l'œuvre de Sâr Péladan (1905), partition perdue
Souvenir (1905), partition perdue
Chanson des jeunes hommes, pour orchestre (1905), partition perdue
Colloque au bord d'une fontaine, pour orchestre (1905), partition perdue
Poème des brumes, pour orchestre (1905), partition perdue
Prélude à la fin d'un jour, poème symphonique pour orchestre (1905), partition perdue
Rhapsodie romane, poème pour grand orchestre (1905), partition perdue
Trois pièces pour orchestre (1905), partition perdue
Apothéose de l'océan, poème symphonique pour orchestre (1906), partition perdue
Le délire de Clytemnestre, tragédie symphonique (1907), partition perdue
Bourgogne, pour grand orchestre (1907-1908), partition perdue
Œdipus und die Sphinx, opéra inachevé (1908-1914), partition perdue
Gargantua, pour orchestre (1909), inachevé et partition perdue
Les cycles du Nord, pour orchestre (1911), inachevé et partition perdue
Mehr Licht, pour orchestre (1911), inachevé et partition perdue
The One-All-Alone, œuvre scénique inachevée, avec voix solistes, chœur, mimes et grand orchestre (1927-1935), inédit
Espace (1929-1936), 15 minutes, inachevé et inédit
The Great Noon, musique de scène inachevée (1932)
Metal poème, pour soprano et orchestre (1932), inachevé et inédit
Fernand Léger in America. His New Realism, musique pour le film de Thomas Bouchard (1945), 30 minutes, partition inédite
Étude pour « espace », pour chœur mixte, 2 pianos et percussions (1947), entre 35 minutes et 40 minutes environ, inédit
La naissance d'un tableau, montage d'œuvres de Buxtehude et de Krieger pour le film de Thomas Bouchard sur Kurt Seligmann (1950), 30 minutes, inédit
Trinum, pour orchestre (1950-1954), inédit
Dans la nuit ou Nuit sur un poème d'Henri Michaux, pour chœur, 15 cuivres, percussion, orgue, 2 ondes Martenot (1954-1961), inachevé et inédit
La Procession de Vergès, "son organisé" pour le film de Thomas Bouchard sur Joan Miró (Around and about Joan Miró, 1955), 2 minutes 47, inédit
Nocturnal II, pour soprano, chœur de basses et orchestre sans cordes sauf contrebasse (1961-1965), inachevé et inédit
Esthétique
Varèse avait posé assez tôt les jalons d'une nouvelle éthique de la recherche musicale. Il voulait que la rigueur de la recherche maintienne une fermeté artistique déliée de tout a priori théorique. On cite souvent son propos, devenu fameux parce que visionnaire, qui à lui seul récapitule l’état de quête dans lequel sont plongés depuis lors les compositeurs :
« La musique, qui doit vivre et vibrer, a besoin de nouveaux moyens d'expression, et la science seule peut lui infuser une sève adolescente... Je rêve d'instruments obéissant à la pensée et qui, avec l’apport d’une floraison de timbres insoupçonnés, se prêtent aux combinaisons qu’il me plaira de leur imposer et se plient à l’exigence de mon rythme intérieur. » Ces propos n'étonnent pas de la part de quelqu'un qui avait lui-même la plus grande admiration pour Berlioz.
Postérité
Étudiants
Le plus connu des élèves de Varèse est sûrement le compositeur d'origine chinoise Chou Wen-chung (1923-2019) qui, en émigrant aux États-Unis, a rencontré Varèse en 1949 et l'a assisté dans ses dernières années. Il a été l'exécuteur testamentaire de Varèse et a également édité et complété plusieurs œuvres.
Edgard Varèse a eu une influence certaine sur plusieurs groupes pop-rock américains ou britanniques des années 1960 (The Beatles, Grateful Dead, Jefferson Airplane, Soft Machine) et plus particulièrement sur la musique de Frank Zappa[5]. Celui-ci découvre Ionisation alors qu'il est encore adolescent. Il apprécie tellement l'œuvre de Varèse — qu'il considère comme le « plus grand compositeur vivant » — que l'année de ses seize ans, il tente de joindre par téléphone le compositeur vivant alors à New York, pour lui exprimer son admiration[6].
Hommages
Le label Varèse Sarabande Records a été nommé d'après le nom du compositeur.
Le groupe de rock Chicago a enregistré la piste A Hit By Varèse sur leur album Chicago V (1972).
Le compositeur John Zorn a produit six CD dédiés à Varèse et Antonin Artaud: Astronome, Moonchild, Six Litanies for Heliogabalus, The Crucible, Ipsissimus et Templars: In Sacred Blood.
À Gennevilliers, le conservatoire municipal porte le nom d'Edgar Varèse[7].
À Mâcon, le conservatoire de musique et de danse porte le nom d'Edgar Varèse[8],[9].
Divers
Entretiens avec Edgar Varèse
En 1955, Varèse enregistra à Paris une série de huit entretiens avec Georges Charbonnier, qui les présenta aux auditeurs de la RTF du au [10]. Selon Odile Vivier, « ces émissions présentèrent un Varèse si vivant que ses amis insistèrent pour qu'on les publie, mais il refusa, souhaitant les reprendre, les approfondir ». Une transcription écrite fut publiée, en effet, cinq ans après la mort du compositeur, mais il lui manque le mordant de l'enregistrement original avec « sa voix chaleureuse, véhémente, à l'image de l'homme[10] ».
Ces entretiens eurent une grande importance pour la diffusion des idées de Varèse auprès d'un large public d'auditeurs. Les sujets abordés par Varèse et Charbonnier étaient les suivants :
Le scandale de la création de Déserts, ce qui permit au compositeur de revenir sur son parcours professionnel en Allemagne, en Amérique et en France ;
Auditeurs et critiques, où Varèse met encore en perspective les prétentions des milieux musicaux parisiens, dans un contexte d'ouverture internationale, et le manque de compétence de certains critiques professionnels ;
L'auditeur et la musique ;
La musique percutante, où est abordée la question de l'abandon des instruments à cordes et de l'orchestre dans la musique moderne, et l'intérêt présenté par les percussions et la technique de l'enregistrement ;
L'aide au créateur, où le compositeur souligne l'importance du mécénat musical, en particulier pour les pouvoirs politiques ;
Opéra, image et musique, où Varèse évoque ses projets d'œuvres scéniques et la possibilité de réaliser un film sur Déserts.
Dans un grand compte-rendu historique de l'opéra, Varèse ne manque pas de rendre hommage au « colosse » Monteverdi et de ramener le « Michel-Angelesque » Wagner à des considérations purement musicales.
Les deux derniers sujets sont l'objet d'une lecture plutôt que d'un entretien — plus techniques, plus difficiles, mais auxquels Varèse tenait particulièrement :
Physique et musique, où sont évoquées les possibilités offertes aux compositeurs en termes d'acoustique :
Son organisé - Art-science, idée fondamentale de Varèse qui n'oubliait pas l'importance de la musique dans le Quadrivium des philosophes du Moyen Âge. Il conclut, non sans élégance, avec un autre de ses « mots d'ordre » : « Le dernier mot est : Imagination. »
↑Archives numérisées de l'état civil de Paris, acte de naissance no 10/5639/1883, état civil complet tel qu’il figure sur l’acte : Edgard Victor Achille Charles Varese (consulté le 2 janvier 2013)
Contient 5 correspondances inédites de Maurice Ravel à Edgard Varèse (1919-1924) n°1083, 1760, 1761, 1773 et 1074
Articles
Julien Mathieu, « Un mythe fondateur de la musique contemporaine : le « scandale » provoqué en 1954 par la création de Déserts d'Edgar Varèse », dans Revue d'histoire moderne & contemporaine, 2004/1, no 51-1, p. 129-152(lire en ligne)