Fils d'un artisan-joaillier, il est très tôt attiré par le café-concert. En , il se lance sur les planches d'une société d'amateurs de son quartier, « La Verrerie ». Après son service militaire, il devient commis chez un marchand de bretelles, puis vendeur d'instruments orthopédiques. Le soir, il va écouter les vedettes du caf'conc' : Mayol, Kam-Hill, Ouvrard, Libert, Polin, tout en continuant de se produire à La Verrerie. Il décide de se trouver un nom de scène et inverse le sien : Ménard devient ainsi Dranem.
Henri Moreau, un auteur dramatique client du kiosque à journaux que tient la mère de Ménard, le recommande à Georges Corrard alias Dorfeuil, directeur de La Gaîté Montparnasse. L'audition est un échec.
Après s'être heurté pendant trois ans à des refus de la part des cafés-concerts, Dranem est finalement engagé pour quinze jours à l'Electric-Concert du Champ de Mars comme comique troupier « genre Polin ». Il y débute le mais ne convainc guère et voit son cachet réduit après deux jours[réf. souhaitée][3],[4].
En juillet de la même année, il devient permanent au Concert de L'Époque au 10 du boulevard Beaumarchais et y participe à plusieurs concerts, revues et pièces de théâtre[5],[6],[7]. À l'occasion, il y retrouve Dorfeuil qui le met en scène dans Nos Pioupious et finit par l'engager dans un autre des établissements qu'il dirige : Le Concert-parisien au 10 rue de l'Échiquier dans le Paris 10e. Dranem y débute le 28 octobre 1895[8],[9]. Il se produira pour la fin de saison et la pause estivale au Divan Japonais avant de reprendre la saison suivante au Concert-parisien avec notamment Mayol comme partenaire[8],[10].
Depuis 1895, outre ses permanences, Dranem se produit régulièrement dans plusieurs concerts et spectacles ponctuels et acquiert une certaine reconnaissance de la critique parisienne.
Le succès
Un jour de 1896, au Carreau du Temple, il s'achète une petite veste étriquée, un pantalon trop large et trop court, jaune rayé de vert, d'énormes godasses sans lacets et un petit chapeau bizarre. Le soir même, il abandonne son costume de comique troupier et revêt cet étrange accoutrement. Les joues et le nez maquillés de rouge, il entre en scène en courant, comme poursuivi. Il s'arrête devant le trou du souffleur et chante les yeux fermés, qu'il n'ouvre que pour simuler la frayeur de débiter pareilles incongruités. C'est un triomphe. Le genre Dranem est né.
En 1900, il se produit à l'Eldorado, le temple du café-concert. Il y restera plus de vingt ans.
Au lendemain de leur création, tout Paris reprend ses « scies » : Le Fils d'un gniaf, J'ai deux quetschiers dans mon jardin, Les P'tits Pois, Pétronille, tu sens la menthe, Le Trou de mon quai, Les Fruits cuits… Il excelle aussi dans le monologue comique.
Dranem enchaîne tournée sur tournée, en province et à l'étranger. Partout c'est le délire.
Les intellectuels ne boudent pas ce favori du public populaire : en 1910, l'exigeant metteur en scène Antoine lui fait jouer Le Médecin malgré lui, de Molière, à l'Odéon. La critique est dithyrambique.
Pendant la Première Guerre mondiale, il chante dans les hôpitaux et fait ses adieux au tour de chant à l'Eldorado le .
Il partage l'affiche avec Maurice Chevalier dans Là-Haut et brille dans de nombreuses comédies musicales écrites par Albert Willemetz.
Dranem fait aussi beaucoup de radio. Dans une de ses émissions, en chef de cuisine, il aura pour marmitons les duettistes Charles et Johnny.
Début 1920, la popularité de Dranem est telle que les journaux s'emparent du moindre fait divers le concernant. Pour preuve, celui que constitue la demande faite par son ex-épouse le 1er janvier et rejetée le 14 par le juge aux affaires familiales d'une revalorisation de 500 à 1500Frs de la pension alimentaire que Dranem lui verse, au fondement qu'il vient d'acquérir une nouvelle voiture pour un montant de 75 000 Frs! Il est titré dans la presse et de manière comique Dranem, sa femme et sa voiture à 75000 Frs!, Mme Dranem et la vie chère ou encore Du danger d'acheter une Auto.
C'est également à cette époque que Dranem symbolise tant l'archétype du pitre qu'il sert d'argument à des chroniques journalistiques diverses dont une d'André Laphin qui le fait l'alter-ego de Bergson alors en poste à la Sorbonne. Elle conduira Georges de la Fouchardière à une réponse envolée à son collègue le 20 janvier dans L'œuvre où le père du Bouif moque la comparaison en la poussant à l'extrême[11].
Il meurt le , à l'âge de 66 ans, en pleine gloire alors qu'il vient d'être fait officier de la Légion d'honneur. Ultimes volontés : « J'ai toujours fait rigoler mes amis pendant ma vie, je ne veux pas les attrister pendant mes funérailles. » Défense donc de lui rendre visite sur son lit de mort et de suivre ses funérailles.
À sa demande, il est enterré dans le parc de Ris-Orangis, avec son épouse.
Quelques chansons
Les Petits Pois (son plus grand succès - 25 000 exemplaires vendus en 1904)
Mon cœur est un compartiment dans l'opérette PLM (1925)
Sa discographie est abondante, il enregistre chez APGA, Pathé Frères et aussi chez Gramophone. On compte ainsi 94 chansons (soit 47 disques78 tours) dans le catalogue Pathé 1926. Certains de ses disques Pathé sont des enregistrements effectués chez AGPA entre 1906 et 1909.
Le critique Francisque Sarcey le considérait comme un « idiot de génie ».
Au plus fort de son succès, Dranem sera beaucoup copié : ses imitateurs s'appellent Bertin, Tinmar, Darier, Bastian ou même Dalila Rives, surnommée « le Dranem féminin ».
Maurice Chevalier débuta au music-hall en imitant Ouvrard père et Dranem[18].
Dranem eut tant de succès qu'on a même fait des bonbonnières et des statuettes-souvenirs en régule à son effigie.
« Comment Dranem peut-il avoir le toupet de débiter devant un public hilare les inepties de son répertoire ? La bêtise volontaire poussée à ce point confine au génie. » Boris Vian
Dranem est le premier à chanter à la radio une chanson publicitaire pour les Galeries Barbès : La chanson du bonhomme Ambois. Et dans les années 1950, les Galeries Barbès ont continué à en faire leur refrain publicitaire dans leur émission sur Radio Luxembourg, mais sans les paroles de Dranem.
↑Voir le texte de Raymond Queneau sur le revers de la pochette du disque 45 tours "Jacques Fabbri chante Raymond Queneau" (Vogue EPL 7340, 1957) : "C'est chez André Breton que j'ai appris à aimer Dranem... aussi est-ce un bien grand compliment que je fais à Jacques Fabbri de retrouver et de rénover un style, celui même que j'ai essayé d'imiter dans "La pendule" et "Maigrir"" - texte cité en note dans Boris Vian, Œuvres complètes, tome XII, Paris, Fayard, 2001, 578 p. (ISBN2-213-60240-9), p. 45.