L'action se déroule en temps réel, le [1],[Note 1] à Paris. Cléo, une jeune et belle chanteuse plutôt frivole, craint d'être atteinte d'un cancer. Il est 17 heures et elle doit récupérer les résultats de ses examens médicaux dans 2 heures. Pour tromper sa peur, elle cherche un soutien dans son entourage. Elle va se heurter à l'incrédulité, voire à l'indifférence, et mesurer la vacuité de son existence. Elle va finalement trouver le réconfort auprès d'un inconnu à l'issue de son errance angoissée dans Paris.
Agnès Varda[3] : « Ne perdant pas de vue le programme économique de la production, j'ai pensé à un film minimal inscrit dans un temps continu. J'y ai ajouté un trajet réel qui peut s'inscrire dans une vraie carte du centre de Paris (ça c'était le jeu...le pari sur Paris). J'ai imaginé un personnage marchant dans la ville. J'ai pensé au maître de Jacques le Fataliste. Il est devenu une chanteuse déambulant dans Paris, affolée par la peur du cancer, souvent accompagnée par sa gouvernante fataliste. La peur d'être mortellement malade. La beauté ne protège-t-elle donc pas, ni les miroirs ni les regards des autres ? Les peintures de Baldung Grien, belles et effrayantes, sont très vite devenues le sens du film et son ressort : la beauté et la mort. On y voit des femmes, belles dans leur chair blonde, enlacées par un squelette qui les malmène ou les effraie. Dans une des toiles, le squelette tire la femme par les cheveux[Note 6]. C'est la peur, la vraie grande peur, celle de mourir parce que le cancer menace. »
Histoire de saison : Agnès Varda voulait filmer le 21 mars pour « capter dans Paris le passage merveilleux de l'hiver au printemps avec les jardins passant du dessin à la plume à la peinture impressionniste ». Pour des raisons financières, le tournage ne put commencer que le 1er juin, pour s'achever huit semaines plus tard. Le film bénéficie quand même d'images d'un blanc cotonneux, lors des scènes tournées à 6 heures du matin au parc Montsouris, pour une action censée se passer à 18 heures.
Les Fiancés du pont Macdonald : pour ce mini-film dans le film, burlesque, mais néanmoins clé de voûte de l'histoire de Cléo, Agnès Varda a fait appel à des copains. Les Fiancés, c'est le couple Godard-Karina, vedette de la Nouvelle Vague et entouré de ses comparses. On aperçoit Frey et Brialy, le cinéma vétéran étant représenté par le couple Delorme-Robert. Pour Varda, cela reste « un souvenir qui symbolise la Nouvelle Vague telle que nous l'avons vécue, l'imagination au pouvoir et l'amitié en action. »
Scénario
Découpage en chapitres numérotés qui s’affichent avec leur minutage et le prénom du personnage moteur de la séquence. En même temps, ce décompte marque l’inexorable progression vers des résultats redoutés. Dans la Revue belge du cinéma[4], Bernard Pingaud écrit : « Je ferai une remarque sur la division, au premier abord irritante, du film en treize petits chapitres. […] L'ironie mathématique de ces annonces est une manière de nous avertir, par l'absurde, que le temps ne compte plus. C'est comme si nous voyions tomber un à un les grains du sablier, tandis que sur l'écran, dans l'attente de l’heure fatidique, se déroulait un spectacle destiné à distraire notre attention. Le minutage du drame accuse son inconsistance et l'apparente inutilité des gestes qui remplissent ce long entracte. […] Mais les noms que l'auteur place en tête des chapitres (Cléo, Angèle, Bob, Dorothée, Raoul, Antoine) veulent dire plus. Ils signifient que, pour un moment, nous allons adopter le point de vue de tel ou tel personnage. »
« J'ai tourné Cléo, dit Agnès Varda, pour prouver à Beauregard (le producteur) que je pouvais faire un film de moins de 50 millions d'anciens francs »[6] (500 000 nouveaux francs).
En 1962, le coût moyen d'un film français était de 2,37 millions de francs, alors qu'en 1969 il était de 2,58 millions de francs[7].
Restauration
En 2012, 50 ans après sa sortie, le film est restauré : numérisation 2K (formats DCP et 35 mm) par les Archives françaises du film/CNC, les laboratoires Digimage et Elude pour le son[8]. Agnès Varda en a supervisé l'étalonnage en précisant « conformément aux désirs et aux choix de Jean Rabier, chef opérateur, et de moi-même »[9].
Jean-Yves Bloch[10] : « Intégrant les apports du « cinéma-vérité », mais ayant d’ores et déjà conscience de ses limites, Agnès Varda a bâti une œuvre qui, par ses méthodes de tournage et sa construction, résout avec le plus grand art l’une des interrogations brûlantes du cinéma de son époque. […] Par cet état de synthèse entre objectivisme et subjectivisme déjà précédemment recherché par l’auteur dans La Pointe courte et dans L'Opéra-Mouffe, la cinéaste nous livre, en 1962, un film qui conserve aujourd’hui toute sa force. »
Télérama[Note 11] : — Marine Landrot : « Avec intelligence, Agnès Varda canalise les battements d'ailes de son papillon angoissé par la mort. Pariant sur l'infini des miroirs et des arrêts sur image, elle lui offre des secondes d'éternité, tout en orchestrant violemment la vie autour d'elle et sans elle. La cinéaste regarde Paris tendrement et sauvagement : elle ausculte la capitale, lui fait ouvrir grand la bouche pour montrer ses mangeurs de grenouilles, ses parcs, ses autobus à plate-forme, ses potaches des Beaux-Arts, ses passants curieux. « Tant que je suis vivante, je suis belle », semble crier la ville, inversant avec insolence l'hymne de survie de Cléo. Un film fragile et léger, qui cherche à aider les hommes à supporter leur aveuglante condition de mortels. » — Louis Guichard : « Cléo attend confirmation d'un diagnostic médical des plus angoissants. La mort plane sur les deux heures à tuer avant le rendez-vous à l'hôpital parisien de la Salpêtrière. [...] Elle [Agnès Varda] filme d'abord un compte à rebours. Elle explore la dictature banale et fantastique des minutes, marquée en surimpression, ou bien sur les horloges et les montres, partout. Et, miracle, la rigueur du style, la contrainte du chronomètre et la possibilité du pire libèrent le personnage : on croirait assister à l'invention de l'héroïne moderne. La jolie chanteuse yéyé (métier de Cléo) égocentrée et narcissique des premières scènes cède peu à peu la place à une autre femme, non plus objet mais sujet, qui regarde, qui écoute, qui se laisse enfin atteindre par les autres. C'est l'histoire inoubliable d'une transfiguration. »
AllMovie[11] : « Le film propose le méticuleux dossier de la capacité d’une femme à observer, rêver, et sentir. En temps quasi réel, nous suivons la chanteuse pop Cléo (Corinne Marchand) qui attend le verdict de son médecin après la recherche d'un possible cas de cancer ; bien que le sujet soit déchirant, l'efficace direction de Varda empêche le film de devenir pathétique. Au cinéma de la Nouvelle Vague, elle intègre toutes les techniques qui lui conviennent : une bande sonore ondoyante qui capte les conversations de personnages secondaires ; des prises de vue subjectives ; des titres qui découpent le film en chapitres ; et des bribes de scènes de rue de style documentaire. Au lieu d’encombrer le film, les parements de Varda sont d'une brièveté qualité existentielle qui souligne l'attente des résultats imminents par Cléo sans banaliser sa situation. Marchand aide considérablement la réalisatrice : son interprétation intuitive évoque l'intelligence d'une Marilyn Monroe affligée d'un malaise spirituel. »
↑Exactement ce que l'on voit dans le film durant 90 minutes, comme l'écrit Agnès Varda dans l'ouvrage Varda par Agnès, section Peinture pour Paris (page 48, Éditions Cahiers du Cinéma, 2005) : « Un film minimal dans un temps continu. J'y ai ajouté un trajet réel qui peut s'inscrire sur une vraie carte du centre de Paris. […] Chanteuse déambulant dans Paris, affolée par sa peur du cancer, souvent accompagnée par sa gouvernante « fataliste ». […] Tout ce que je sentais de la tension intérieure de cette femme douce pendant les quatre-vingt-dix minutes du film (de 17 h à 18 h 30). »
↑Raymond Cauchetier, photographe de plateau et cadreur, interprète exceptionnellement, dans ce film, le rôle de « Raoul, le projectionniste. »
↑Dans le bonus "Souvenirs et Anectodes" de l'édition DVD Cléo de 5 à 7 + Daguerréotypes (Ciné-Tamaris, 2005) puis dans sa réédition dans le DVD Cléo de 5 à 7 d'Arte Éditions (2012), on voit durant le tournage des scènes dans le loft de Cléo une copie de cette peinture punaisaie sur un pilier. Agnès Varda explique que « Pour moi, ça a été une inspiration, une autre façon de représenter ce que je voulais raconter. Alors j'avais des reproductions, des cartes postales, évidemment… […] De temps en temps, j'en punaisais une par-ci, par-là. Une toute petite image à regarder, mais pour moi une très grande image mentale au centre de mon projet ». Cette peinture a également inspiré Corinne Marchand qui lui répond : « J'ai très bien compris, à travers cette image, ce que tu voulais faire. En plus de ça, comme nous avons tourné dans l'ordre chronologique de l'histoire, à la fin du film, moi j'étais épuisée par cette idée [en fin du tournage, elle avait maigri de sept kilos]. »
↑Marin Karmitz : « Je me souviens d’avoir trouvé cet atelier (et j’étais fou de joie parce que j’avais beaucoup, beaucoup cherché) dans ce quartier magnifique, c’était dans le 10e. »
↑Agnès Varda : « L'immeuble a été très longtemps le domaine des squatters jusqu'à ce qu'on les oblige à partir. »
↑La tour Montparnasse n'avait pas encore été construite à l'époque du tournage.
↑Comme on peut le constater sur la photo de 1897, Agnès Varda note que « D'autres cartes postales anciennes indiquent que la cascade avait plus d'eau autrefois. »
↑Extrait des critiques de Marine Landrot (1993) et de Louis Guichard (2016).
Références
↑ abcd et e« Souvenirs et anecdotes » du tournage par Agnès Varda, un bonus de l'édition collector 2 DVD Cléo de 5 à 7/Daguerréotypes, voir section « Vidéographie ».
↑Numéro de « L'été indien 1987 » (no 20) : Agnès Varda, section Agnès Varda et la réalité (page 16), Éditions Apec (Association des professeurs pour la promotion de l'éducation cinématographique), Bruxelles.
↑Extrait du chapitre Le Violon et le Métronome de l'essai : Études cinématographiques no 179–186 : Agnès Varda, Paris, Lettres Modernes Minard, , 212 p. (ISBN2-256-90894-1)