La Chronique de Morigny, comme on appelle généralement cette source depuis le XVIe siècle où elle a commencé d'être signalée et utilisée par divers historiens, est une série de trois récits composés successivement par trois moines distincts de l'abbaye de la Sainte-Trinité de Morigny dans la première moitié du XIIe siècle.
Présentation
Cette source ne nous a été conservée que par une seule copie du tout début du XIIIe siècle aujourd'hui conservée à la Bibliothèque Vaticane sous la cote Reg. Lat. 622.
Son texte latin a connu trois éditions successives. La première, par le grand André Duchesne, très ancienne, remonte à 1641. La seconde, par Léon Mirot, parue en 1909, a été alors déclarée "complètement ratée" par Oswald Holder-Egger[1], ainsi que que par Louis Halphen[2]. Elle n'a été que partiellement améliorée par une réédition en catastrophe publiée en 1912. Enfin, une troisième édition de cette source, d'après le manuscrit du Vatican et d'autres sources permettant de compléter ses lacunes, a été publiée par Bernard Gineste en 2024, présentant, en regard du texte latin, sa toute première traduction complète en français.
À l'origine, le récit continu de ces trois chroniqueurs couvrait toute la période allant des environs de 1060 à 1148. Malheureusement la plus grande partie du premier livre, qui couvrait tout le long règne de Philippe Ier, a été perdu, et nous n'avons plus que sa conclusion. Dans son état actuel, la Chronique ne couvre plus que le règne entier de Louis VI et le début de celui de Louis VII jusqu'à son retour piteux de la deuxième croisade.
Composition
Livre Ier ou Chronique de Thiou
Le premier livre est dû à un moine qui fut élevé dès son enfance dans le monastère, Thiou de Morigny. Il a été composé vers 1107.
Il couvrait dans son état d'origine toute la préhistoire et l'histoire du monastère depuis l'installation de moines de Fly à Étréchy un peu avant 1060 jusqu'en l'an 1107 environ, une génération après l'installation de ces moines à Morigny.
Il est malheureusement presque entièrement perdu parce qu'un ou deux cahiers de parchemins ont été arrachés ou se sont détachés du codex du Vatican à une date indéterminée antérieure au XVIe siècle.
On n'en a conservé que la conclusion moralisante, suivie de deux annexes.
La première récapitule les donations de domaines dont a bénéficié le monastère depuis les origines jusqu'en 1107 environ.
La deuxième raconte l'activité méritoire du moine Baudouin, qui semble-t-il vient de mourir après avoir mis en valeur le domaine de Maisons-en-Beauce. L'auteur demande les prières du lecteur pour ce défunt, ainsi que pour tous les bienfaiteurs passés et présent du monastère, y compris pour Thiou lui-même, qui se déclare l'auteur, et qui a également corrigé une bonne partie des manuscrits de la bibliothèque.
Résumé du livre I
Sauf indication contraire ou complémentaire, les informations contenues dans cette section proviennent de la source suivante : D'après le découpage du texte en chapitres dans l'édition bilingue de Bernard Gineste de 2024..
25. Leçon à tirer des troubles survenus sous l'abbé Renaud. - 26. Synthèse des donations reçues jusqu'ici. - 27. Acquisition et mise en valeur de Maisons-en-Beauce. - 28. Autoportrait de Thiou.
Livre II ou Chronique de Thomas
Le deuxième livre de la Chronique de Morigny est dû au troisième abbé de Morigny, Thomas de Morigny, comme l'a démontré l'érudit allemand Karl Hampe dès 1898[3], d'une manière irréfutable, ainsi que l'a reconnu aussitôt Auguste Molinier au tome II de ses Sources de l'Histoire de France[4].
Il a été composé d'une traite par Thomas à son retour du concile de Reims de 1131.
Il poursuit le récit de Thiou depuis l'an 1108 jusqu'en 1131. Ce récit a donc un caractère autobiographique très prononcé, bien que l'auteur s'exprime à la troisième personne du singulier, comme Jules César.
Résumé du livre II
Sauf indication contraire ou complémentaire, les informations contenues dans cette section proviennent de la source suivante : D'après le découpage du texte en chapitres dans l'édition bilingue de Bernard Gineste de 2024..
29. Bref résumé de l'histoire de l’Église (33-1060)
30. Bref résumé de l'histoire de l'Église de France (511-1060)
31. L'abbaye jusqu'à la mort du roi Philippe (1060-1108)
32. L'abbaye au début du règne de Louis VI (1108-1110)
33. Élection de Thomas, dans une période de disette (début janvier 1111)
34. Premiers succès de l'abbé Thomas (1111)
35. Mise en valeur du domaine de Bléville (de 1111 à 1130 environ)
36. Renouvellement de la donation royale des Gués d'Étampes (1112)
37. Motivations et décision du roi (1112)
38. Sort réservé aux chanoines (1112)
39. Certification (1112)
40. Liste des derniers chanoines (1112)
41. Réticences du nouvel archevêque Daimbert (1112)
104. Grandeur et rôle de la papauté (octobre 1131).
Livre III ou Chronique de Garin
Le troisième livre de cette chronique est dû au prieur de Morigny Garin le Blanc, ami d'enfance et prieur de l'abbé Thomas de Morigny, comme l'a démontré Bernard Gineste en 2014.
Il a été composé en l'an 1149.
Il poursuit d'une traite le récit de Thomas depuis l'an 1131 jusqu'en l'an 1148. Sa première partie traite de la suite de l'abbatiat de Thomas de 1131 à 1140 et des difficultés qui furent occasionnées par sa soudaine défection. La deuxième partie raconte plus sommairement les abbatiats de ses deux premiers successeurs, Macaire (1140-1144) et Thouin (1144-1148).
Résumé du livre III
Sauf indication contraire ou complémentaire, les informations contenues dans cette section proviennent de la source suivante : D'après le découpage du texte en chapitres dans l'édition bilingue de Bernard Gineste de 2024..
131. Eugène III vient en France et appuie la croisade (1147-1148)
132. Échec de la croisade (1148-avril 1149)
133. Mort de l'abbé Thouin (1148).
Importance historique de cette source
La Chronique de Morigny est signalée par de nombreux historiens comme une source très importante pour notre connaissance de la première moitié du XIIe siècle.
Voici par exemple Achille Luchaire, dans sa synthèse sur le règne de Louis VI[5] publiée en 1890 la compare ainsi à la très célèbre Vie de Louis le Gros composée par Suger abbé de Saint-Denis:
« L'abbé de Saint-Denis nous fait presque exclusivement connaître, dans un récit dénué d'indications chronologiques, les principaux incidents de la vie militaire et extérieure de Louis le Gros. C'est ce qui rend d'autant plus précieuse la Chronique écrite au monastère de Morigni (Morigny), près d'Étampes. Bien que nous ne la possédions que mutilée, (...), elle est pour nous d'une très haute importance, parce qu'elle nous renseigne sur l'histoire intime du palais et des intrigues de cour pendant une grande partie du règne. Autant qu'on peut en juger par le rapprochement avec les autres sources et notamment avec les sources diplomatiques, le récit de Téoul (Thiou) et de ses continuateurs, au point de vue de l'exactitude chronologique et historique, ne laisse rien à désirer. La partialité des auteurs pour leur abbaye et contre le chapitre de Notre-Dame d'Étampes est évidente: ils sont hostiles à Étienne de Garlande et à Algrin d'Étampes, protecteurs des chanoines, mais leur récit, et notamment les détails relatifs à Louis le Gros, à la reine Adélaïde et à leurs fils, ainsi qu'aux principaux évènements de l'histoire ecclésiastique du temps, portent avec eux le cachet de la vérité. »
« Le Chronicon Mauriniacense est précieux non seulement pour l'histoire française, mais aussi pour l'histoire générale de la première moitié du XIIe siècle. »
De même Auguste Molinier dans ses Sources de l'Histoire de France[7] parues en 1901:
« Chronicon Mauriniacense (Morigny, au dioc. de Sens, près d'Étampes). En trois livres, dont le premier et le troisième sont en partie perdus. (...) Le tout est de haute valeur pour les règnes de Louis VI et de Louis VII. »
Léon Mirot, dans l'édition qu'il en donne en 1909[8]:
« L'ouvrage (...) comprend trois parties, dues à trois auteurs; inégales par l'étendue du récit, par l'art de la composition, elles ont toutes une valeur historique considérable, qui en fait une source de premier ordre pour le règne de Louis VI et pour celui de Louis VII jusqu'en 1148. (...) De l'exposé qui vient d'être fait des diverses parties dont se compose le Chronicon Mauriniacense, il se dégage nettement que cet ouvrage est l'une des sources les plus véridiques et par suite des plus importantes pour l'histoire de la première moitié du XIIe siècle. »
La Britannique Constance Brittain Bouchard en 2006[9]:
« Plusieurs chroniques monastiques de la première moitié du XIIe siècle dans le nord de la France nous renseignent en grande partie sur les événements politiques et la vie monastique de l'époque: les chroniques de Suger, d'Orderic Vital, de Guibert de Nogent, d'Hériman de Tournai et de Galbert de Bruges. La Chronique de Morigny est à mettre dans le même panier, mais elle est beaucoup moins bien connue. »
Notes et références
↑Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde 35 (1910) 278-280: völlig verfehlt.
↑(de) « Abt Thomas von Morigny als Verfasser des zweiten Buches des Chronicon mauriniacense », Neues Archiv, vol. 23, , p. 389-396.
↑Les sources de l'histoire de France des origines aux guerres d'Italie (1494), t. II, Paris, Picard, , p. 187 :
« K. Hampe (Neues Archiv, XXIII, 389-396) vient d'étudier à nouveau le livre II de l'ouvrage; il nous paraît avoir prouvé qu'il était de l'abbé Thomas (1109-1140), dont l'auteur anonyme parle sans cesse et paraît connaître jusqu'aux pensées les plus secrètes. »
↑Annales de sa vie et de son règne (1081-1137), Paris, .
↑(de) « Abt Thomas von Morigny als Verfasser des zweiten Buches des Chronicon mauriniacense », Neues Archiv, vol. 23, , p. 390 :
« Das Chronicon Mauriniacense ist nicht nur für die französische, sondern auch für die allgemeine Geschichte in der ersten Hälfte des 12. Jh. werthvoll. »
↑Les sources de l'histoire de France des origines aux guerres d'Italie (1494), t. II, Paris, Picard, , p. 187.
↑La Chronique de Morigny, Paris, Picard, 1909 (puis 1912), pp. I et XVI.
↑The Catholic Historical Review 92/4 (2006) 648-649: "Several monastic chronicles from northern France in the first half of the twelfth century give us much of our information both on political events and on monastic life during the period:the chronicles of Suger, of Orderic Vitalis, of Guibert of Nogent, of Herman of Tournai, and of Galbert of Bruges. The Chronicle of Morigny deserves to be considered with this group but is much less well known."
Sources
(la) André Duchesne, « Chronicon Morigniacensis monasterii, ab anno Christi MCVIII usque ad annum MCLVII, quo rex Ludovicus VII in Terram Sanctam profectus est, auctoribus Teulfo et aliis ejusdem loci monachis, ex bibliotheca viri clar. Alexandri Petavii, senatoris Parisiensis », dans Historiae Francorum scriptores coaetanei, t. 4, Paris, Cramoisy, , p. 359-389 (texte latin seul).
Léon Mirot, La chronique de Morigny (1095-1152), Paris, Librairie Alphonse Picard et fils, (lire en ligne [PDF]) (texte latin seul et assez fautif, un peu amélioré dans une réédition de 1912).
(en) Richard Cusimano, A Translation of the Chronicle of the Abbey of Morigny, France, C. 1100-1150, New York, Edwin Mellen Press, (reprise sans aucune amélioration du texte de l'édition Mirot, avec une traduction anglaise en regard).
Bernard Gineste, Chroniques de Morigny (1060-1150) : éditées, complétées, traduites du latin et annotées, Chamarande, SHAEH, coll. « Mémoires et documents » (no 26), , 525 p., 24 cm sur 15 (ISBN978-2-9593957-0-3) (texte revu sur le manuscrit, complété par celui des chartes dont le copiste l'avait amputé, avec, en annexe, une cinquantaine de documents contemporains).