Les chiens du guet (du mot « guet », anciennement utilisé pour désigner une surveillance nocturne) étaient une meute de chiensde garde que l'on lâchait à la nuit tombée sur la grève entourant les remparts de Saint-Malo, afin d'en assurer la protection : dissuader les intrus (puissances étrangères ennemies, pirates et corsaires) d'attaquer la ville d'une part, d'autre part de piller la cargaison des navires accostés dans le port, dans les grèves du Sillon, des Talards, de Rocabay, des Sablons et de Solidor servant de chantiers navals, ou mouillant dans l'anse de Mer-Bonne, aux pieds du château[1].
Ils étaient lâchés durant la période du couvre-feu, lorsque les portes de la ville étaient fermées à 22 h. Les habitants étaient avertis le soir qu'ils devaient rentrer par Noguette (cloche annonçant la nuit, suspendue entre les deux tours de la Grand’Porte des remparts), et le matin qu'ils pouvaient sortir au son d'une trompette.
Description et historique
Les chiens du guet étaient entretenus aux frais de la commune qui, pour couvrir ces dépenses, avait institué un impôt appelé « droit de chiennage ». Des officiers municipaux appelés « chiennetiers » étaient chargés de les dresser, les nourrir, les lâcher au coucher du soleil, et les ramener quand le jour se levait[2].
Quant à leur race, il s'agissait vraisemblablement de dogues d'Angleterre[3] si l'on en croit le blasonnement qui les décrit (voir infra).
Ils ont été instaurés en 1155, et ont assuré leur fonction jusqu'au , date à laquelle, si l'on en croit la tradition, locale ils auraient dévoré deux jours plus tôt un officier de marine du nom de Jean-Baptiste Ansquer de Kerouartz, qui s'était attardé auprès de sa fiancée habitant le manoir de Beauregard, en Saint-Servan, et avait de regagner la cité malouine[4]. À la suite de cet accident, la municipalité a donné l'ordre de les empoisonner mais a gardé la tradition de faire sonner symboliquement, à dix heurs précises, la cloche Noguette qui a été placée en 1804 dans le clocher de la cathédrale[2].
Références aux chiens du guet
Ils ont donné leur nom à la rue et à la place du Guet, parce qu'elles se trouvent à proximité du Bastion de la Hollande. Une loge avait en effet été creusée sous ce dernier lors de sa construction en 1674, afin d'accueillir le chenil où ils étaient tenus enfermés la journée (ils étaient auparavant logés près de la porte Saint-Thomas)[5].
De nos jours, l'hôtel-restaurant qui s'est installé au numéro 4 de cette place a choisi de se nommer Les Chiens du Guet[6]. Son enseigne reprend la tête des dogues qui figure sur les armoiries les plus récentes (voir infra).
Les chiens malouins ont gardé une réputation de chiens dangereux même longtemps après la disparition des chiens du guet. Ainsi, à quelqu'un se rendant dans cette ville, il était d'usage de souhaiter « Bon voyage, Monsieur du Mollet », par allusion aux mollets, la partie de l'anatomie la plus exposée aux morsures de chiens[2].
Littérature
La Marquise de Créquy relate dans ses Souvenirs, tome III, chapitre VI :
« Je me rappelle aussi que cette Mme de Broglie était fort ennuyée des rabâcheries d'un vieux Diesbach, envoyé des treize cantons, qui cherchait à se moquer d'elle en lui demandant (pour la centième fois) s'il était vrai que le port de Saint-Malo fût gardé par des chiens. — Mais, répliqua-t-elle en bâillant, avec son accent traînard de Saint-Malo, pourquais donc pâs ? le Rouais lé bien par dés Suisses ! »
« Enfin, pour ne rien omettre, je rappellerai les dogues qui formaient la garnison de Saint-Malo : ils descendaient de ces chiens fameux, enfants de régiment dans les Gaules, et qui, selon Strabon, livraient avec leurs maîtres des batailles rangées aux Romains. Albert le Grand, religieux de l'ordre de saint Dominique, auteur aussi grave que le géographe grec, déclare qu'à Saint-Malo " la garde d'une place si importante était commise toutes les nuits à la fidélité de certains dogues qui faisaient bonne et sûre patrouille ". Ils furent condamnés à la peine capitale pour avoir eu le malheur de manger inconsidérément les jambes d'un gentilhomme ; ce qui a donné lieu de nos jours à la chanson : Bon voyage. On se moque de tout. On emprisonna les criminels ; l'un d'eux refusa de prendre la nourriture des mains de son gardien qui pleurait ; le noble animal se laissa mourir de faim : les chiens, comme les hommes, sont punis de leur fidélité. Au surplus, le Capitole était, de même que ma Délos, gardé par des chiens, lesquels n'aboyaient pas lorsque Scipion l'Africain venait à l'aube faire sa prière. »
Victor Hugo évoque également leur existence dans les Travailleurs de la mer, livre 5, chapitre 1 :
« Sur cette même grève rôdaient jadis les vingt-quatre dogues portiers de Saint-Malo, qui mangèrent un officier de marine en 1770. Cet excès de zèle les a fait supprimer.
Aujourd'hui on n'entend plus d'aboiements nocturnes entre le petit Talard et le grand Talard. »
Parmi les différents sceaux que la ville de Saint-Malo a successivement adoptés, l'un aurait fait référence aux chiens du guet selon l'Armorial breton publié par Guy Le Borgne en 1667 (écu) « d'argent à un dogue de gueules »), blason parfois accompagné de la deviseCave canem[8], qui se trouvait à l'origine inscrite à l'entrée des demeures romaines pour mettre en garde les visiteurs contre la férocité du chien montant la garde. Mais dès sa période autonomiste de 1590-1594, la ville de Saint-Malo fait usage d’un blason avec une hermine, confirmé au XVIIe siècle[1]. On peut donc douter que le blason à dogue ait été celui de Saint-Malo.
Au XXe siècle, Robert Louis, artiste héraldiste auprès des services officiels de l'État français, dessine de nouvelles armoiries pour un certain nombre de communes, et notamment pour Saint-Malo. Il y intègre deux dogues dans les ornements extérieurs de l'écu, en tant que supports de ce dernier (qui reprend quant à lui l'hermine, motif apparaissant sur les autres blasons que Saint-Malo a arborés au cours de son histoire).
Ces nouvelles armoiries ont été adoptées par un arrêté municipal du .
Fac-similé sur le site de l'AVF (Accueil des villes françaises) Saint-Malo.
Les passages du blasonnement concernant les dogues sont les suivants :
« L'écu est supporté par deux dogues d'or mouvant des flancs lampassés de gueules, au collier armé retenu aux chef [sic] par une chaîne le tout d'argent.
[...]
La patte de chacun des dogues est posée sur un cordage d'or mouvant de la pointe de l'écu et retenant une ancre du même brochant à l'extrémité de la risberme. »
Robert Louis en fait ce commentaire :
« LES SUPPORTS : Le premier blason que porta Saint-Malo était "d'argent au dogue de gueules" (voir supra).
Depuis l'époque des croisades en effet, la garde du port de Saint-malo [sic] était confiée la nuit à des chiens et cette habitude locale se perpétua jusqu'au jour où un officier avait voulu escalader les barrières du port fut mis en pièces par ces terribles gardiens.
Il convenait de rappeler dans les grandes armes de la Ville l'origine du permier [sic] blason. Ces deux dogues à l'aspect féroce contribueront ainsi à garder la blanche hermine.
Leur signification est complétée par les deux ancres dont ils retiennent le cordage. »
Ces nouvelles armes figurent notamment sur les plaques d'égout qui équipent les trottoirs de la ville ; elles ont été réalisées par la fonderie Sonofoque.
Références
↑ a et bGilles Foucqueron, Saint-Malo. Histoire et géographie contemporaine, Palantines, , p. 37