Le cauchois est une variété de parler normand utilisée dans le pays de Caux, qui constitue la majeure partie du département de Seine-Maritime.
Le pays de Caux est l'un des derniers bastions de la langue normande en dehors du Cotentin. Le nombre de locuteurs est statistiquement très variable : entre 0,3 %[1] et 19,1 %[2] des habitants de la Seine-Maritime interrogés s'identifient eux-mêmes comme parlant le cauchois.
Caractéristiques
Phonétiques
Le cauchois se situe sur le plan dialectal à la fois dans le domaine du grand Ouest et le domaine du Nord-Ouest, tout comme les différents dialectes de Normandie septentrionale[3].
le domaine du Nord-Ouest qui ne comprend que le normand septentrional (Seine-Maritime, nord de l'Eure, nord du Calvados, Nord-Cotentin), ainsi que le picard (dont le parler ch'ti) et le wallo-picard, à savoir les régions limitées au sud et au sud-est par la ligne Joret.
Traits phonétiques communs au grand Ouest
La différence avec le français standard est surtout perceptible dans le traitement phonétique des voyelles :
traitement du [e] long et [i] bref latins : ils ont donné une diphtongue [ei] dans le plus ancien français, mais alors qu'elle évoluait vers [wa] dans les dialectes du français central et oriental, à l'ouest la diphtongue s'est monophtonguée en [e] ou [ɛ]
Exemples
ouest
cauchois
français
mé, té, sé
mei, tei, sei
moi, toi, soi
fé, dret, véture
fei, dreit, veintûe
foi, droit, voiture
neir, pessoun, veisin
neî, pesson, veisin
noir, poisson, voisin
☞ Le é [e] du grand Ouest a tendance à s'ouvrir en è [ɛ] en cauchois (et au-delà en Haute-Normandie), ce qui explique les différences entre le cauchois et les formes standards du grand Ouest. Cependant, des différences locales persistent au sein même du pays de Caux.
non-labialisation de [e] derrière labiale.
Exemples
ancien français
Ouest (dont cauchois)
Français
pele
pêle
poêle
avene
avène
avoine
fein
fein
foin
meins
meins
moins
Traits phonétiques communs au nord ouest
Il s'agit pour l'essentiel de traits consonnantiques communs au nord de la ligne Joret, c'est-à-dire en normand septentrional, picard (sauf partie est) et wallo-picard. On regroupe souvent l'ensemble de ces traits sous l'appellation « normanno-picards » :
Maintien de /ka/ : cat « chat », vaque « vache » ou évolution quien, quin « chien ».
Exemples
nord ouest
picard
cauchois
Français
cat
cat
cat
chat
caire
caïèle (anciennement caïère)
caîe (anciennement caire)
chaise (ancien français chaiere)
kêne
keinne
keŷne
chêne
cmin
kémin
cmin
chemin
fauker
fauker
fâoker
faucher
vake
vake
vake
vache
☞ Même chose pour /ɔka/ : pouque « pouche » (sac), pouquette « poche (de vêtement) » (l'anglais pocket « poche » est issu du normand) etc.
« Chuintement » de /s/ : plache « place » ; chouque « souche » ; cache « chasse », etc. Les exemples suivants combinent ce fait avec le fait précédent :
Exemples
nord ouest
picard
cauchois
Français
cauche (bas)
cauche
câoche
« chausse » (ancien français chauce)
canchon
canchon
canchon
chanson
cache
cache
cache
chasse
☞ L'évolution de /w/ en /v/ : vrêpe « guêpe »; vaule « gaule », etc. est notée en Normandie par une isoglosse parallèle à la ligne Joret. En Picardie, la tendance est au maintien du /w/ et au-delà, puisque le maintien de /w/ concerne également le champenois, le bourguignon et le bas-lorrain.
Traits phonétiques plus spécifiques au cauchois
Parmi les traits qui distinguent le cauchois d'autres variétés de normand :
Les terminaisons féminines en -ée sont en -èye. On note quelques exceptions, ex : eune pougnie « une poignée » et anciennement eune cauchie « une chaussée, une route » cf. picard.
-in- se réalise en -i nasal ou plutôt en -é fermé nasal.
L'absence d'« aspiration » du h- (d'abord mué en /r/, puis disparu), cependant certains termes conservent /r/ initial.
La perte de l'intervocalique /r/ (comme dans le Val de Saire), ex : laboûer « labourer », cûé « curé » ou alors son assimilation à la consonne précédente avec laquelle il entre en contact par suite de la chute d'un e sourd, ex : pilîe « pilerie » (moulin à pommes). On peut noter un accent circonflexe sur la voyelle précédente afin de noter la disparition de cet r, ex : veitûe au lieu de veiture, cûé au lieu de curé. Les produits du latin -atura au lieu de faire -eur ou -eu se réalise en -euse peut-être pour faire la distinction avec les produits du latin -or > -eu.
Une plus forte tendance à la métathèse que dans les dialectes occidentaux, par exemple, Ej au lieu de jé, em au lieu de j'me, ed au lieu de dé, euq au lieu de qué, el au lieu de lé. Frémie pour fourmie, etc.
Grammaticales
Conjugaison
Quelques exemples :
La première personne du singulier du verbe être : ej sieus
Le verbe beî (de beire), boire : ej beux, tu beux, etc. (comme deî = devoir)
Le verbe creî (de creire), croire : ej crei
Le verbe veî (de veir), voir : ej vèye
Participe passé des verbes du premier groupe -er en -è : el cûé est arrivè.
Nos = nous (pronom personnel complément conjoint) ou on
Ôs signifie « avez-vous ? », ex : L'ôs ouï ? L'avez-vous entendu ?; N'n'ôs ? En avez-vous ? ou le pronom de la deuxième personne dans des phrases interrogatives, ex : Crey-ôs ? Croyez-vous ? (à comparer le jersiais criy'-ous ? et le normand occidental crey-ouos ?); Ven-ôs ? Venez vous ? (à comparer avec le guernesiais v'n-ous ? et avec le normand ven-ouos ?), etc.
Le nombre
Exemples :
Les substantifs en -è (ancien -el) font leur pluriel en -iâs : eun osè, des osiâs = un oiseau, des oiseaux ; eun coutè, des coutiâs = un couteau, des couteaux, etc.
bésot ou bézot : dernier enfant né, fréquentatif de beddrot « dernier né d'une couvée » ou peut-être mauvaise graphie pour *baisot, du verbe baiser (dans son sens vulgaire, par euphémisme de s'accoupler) + suffixe diminutif / péjoratif -ot, d'où le féminin bésotte. Le bésot étant le fruit de l'acte amoureux.
râler : tirer, prononciation cauchoise de haler (cf. haler une péniche), ancienne prononciation de [H] réalisé avec une forte expiration comme en Cotentin et réduit à /r/[33]
sanger : changer, se modifier, probablement hypercorrectisme par rapport au chuintement de [s] en cauchois. Le français changer est perçu fallacieusement comme dialectal, d'où correction en sanger, alors qu'on attendrait *canger selon les lois de la phonétique normanno-picarde, mot issu du gallo-latin CAMBIARE.
I ya du fu dauns la qu'minèye : Il y a du feu dans la cheminée
Ichite : ici
I commenchait à ête chargè à drié : Il commençait à être passablement énivré
Il est grédi d'ergent : il a plein d'argent
Eul marcou ou l'mâle cat : le matou
La plache du menteux : « la place du menteur », c'est-à-dire le bout de la table
Mei itou : moi aussi ; mei n'tou : moi non plus
Eul pâlé paquant : le parler cauchois
Quitte cha la : laisse ça là; quitte mei aller : laisse moi y aller
Rémouque les chendres du fu : remue les cendres du feu
Eun teur y mit au deigt : Il lui mit un anneau / une alliance au doigt
Racaloue-mei la fourque : relance-moi la fourche !
R'tye-tei d'ma veie : retire-toi de ma voie
Tout l'monde s'y tue : Tout le monde y va car c'est trop bien
Tiyer la vaque : traire la vache
Tracher des poux à eun vieuillard : chercher le moindre motif pour se quereller
Travailleu comme pièche : travailleur comme personne
Sen bien teumbe en démence : ses affaires tombent en ruine
J'm'en voige : je m'en vais
Vas pucher d'l'iaue : vas puiser de l'eau
Nos diait l'bon diu en culotte eud v'lou qui vos d'chend dans l'gaviot : On dirait l'bon dieu en culotte de velours qui vous descend dans la gorge (en parlant d'un alcool)
Vi-t-en vé ! : viens voir !
V'la oco que l'quien, i pouche su sa caïne : voila encore le chien qui tire sur sa chaine
↑C'est-à-dire : Bray, Roumois, nord du pays d'Auge, Bessin, Caen, Nord- Cotentin.
↑Étym. : du b. lat. apricare, lat. class. apricari « se chauffer au soleil », d'après TLF
↑Étym. : Du lat. quando, conj. et adv. interr. « à la fois », d'après TLF, mot Quand, A, sens 6, formes a) quant et et b) quant et quant.
↑D'après Pierre Bulliard, Flora Parisiensis ou descriptions et figures des plantes, paris, 1783, et manuels de botaniques.
↑D'apr. Louis du Bois, Glossaire du patois normand. Donne comme comparatif en ce sens atticier dans le Roman de la rose, proche d'attiser, « exciter, irriter, envenimer » empr. au lat. pop. *attītiare formé sur titio « tison » (Ier s., Celse, 2, 17 ds Forc.., in TLF
↑Étymologie 1 : du norrois*banki ; Étymologie 2 : du germ. *bank- (Brüch, p. 58), mot masc. et fém., par l'intermédiaire du lat. vulg. bancus attesté au Moyen Âge. Cf. l'anglais bank.
↑Dans L. du Bois, Glossaire du patois Normand : « bouton aux lèvres ». Haute-Normandie - Faire un barbouquet : remplacer la bride d'un cheval au moyen de sa longe qu'on lui passe dans la bouche, et dont on lui entoure la mâchoire inférieure. Terme encore utilisé en médecine vétérinaire.
↑Étym. : du b. lat. bibitione acc. de bibitio « action de boire »,TLF.
↑Il s'agit un terme d'origine anglo-saxonne et norrois. Il se superpose au vieux norrois bleikr, au vieux saxon blēc et au vieil anglais blæc « sombre, foncé, brun gris ».
↑Phonétique cauchoise, normand boujouo correspondant au français bonjour.
↑Étymologie 1 : du norrois brúðr « bru / jeune mariée / fiancée » ; Étymologie 2 : du gothique bruths : « jeune mariée, jeune femme », d'apr. Feist) ; bru a été en français évincé par belle-fille.
↑Étym. : du norrois brúðmaðr, accusatif brúðmann « homme de la bru », cf Madeleine Hacquet-Cavelier, Mémento du langage elbeuvien, Elbeuf, 1987, p. 17.
↑Étym : le mot existait en français, plus fréquemment sous la forme fouarre et encore par son dérivé fourrage, terme issu de l'ancien bas francique *fodar.
↑Étym. : du francique *halôn : tirer (cf. néerlandais halen)
↑Étym. : de l'ancien bas francique hrîm, gelée. cf. français frimas, renforcé par l'ancien norrois rima de même sens
↑Le « s » final ne se justifie pas. La prononciation française de « saoul » reste /su/ et s'écrit sâo en cotentinais. Étym. : du lat. satullus « rassasié », dimin. de saturus « rassasié »; cf. fin XIe s. judéo-fr. saule subst. « fait d'avoir mangé jusqu'à satiété, excessivement » (Raschi, Gl., éd. A. Darmesteter et D. S. Blondheim, t. 1, p. 129). , in TLF, à Saoul.
↑Étym. : du cauchois. sent-i bon « sent-il bon ? » ; Cotentinais : sentaboun (sent« -elle bon ? » ou « sent à bon » !).
↑Étym. : du norrois tjadr : « longe », « entrave ».
Mari C. Jones et Thierry Bulot (dir.), 2009, Sociolinguistique de la langue normande (pluralité, normes, représentations), Paris, L’Harmattan (collection Espaces Discursifs), 185 pages.
Thierry Bulot, La langue vivante (L’identité sociolinguistique des Cauchois), Paris, L’Harmattan, 2006, 223 pages
Études normandes no 3 -1982 : « du cauchois au normand », publication IRED.
A. G. de Fresnay, Mémento du patois normand en usage dans le pays de Caux, Rouen, 1885.
Camille Maze, Glossaire normand, Brionne 1984. Édité en 1903 par la Société havraise d'études diverses, sous l'intitulé : Étude sur le langage de la banlieue du Hâvre (Hâvre y est écrit textuellement, comme rendu ci-devant).
Raymond Mensire, Le Patois cauchois (lexique édité en 1939), SCPP, 1977.