C'est dans un café, The Commons, appelé plus tard le Fat Black Pussycat, un après-midi d', que naît la chanson. Après une discussion d'ordre politique, quelques paroles sont rapidement posées sur le papier, puis quelques notes de musique.
Dylan se rend alors au Gerd's où se produisent notamment Gil Turner et les New World Singer. À l'entracte, Turner rejoint le coin des artistes, où Dylan joue sa chanson. Turner, enthousiaste, lui demande de la lui enseigner puis rejoint la scène où il annonce: « Mesdames et Messieurs, j'aimerais vous chanter maintenant une chanson de l'un de nos meilleurs auteurs-compositeurs. L'encre n'est même pas sèche et voilà à quoi ça ressemble. » Après que Turner l'a interprétée, le public est debout et l'ovationne; la chanson est un succès[1].
À propos de l'écriture de Blowin' in the Wind, Dylan dit au Los Angeles Times: « J'ai écrit cette chanson en 10 minutes, aligné les mots comme un chant religieux […]. C'est dans la tradition du folk. Tu prends ce qui a été transmis »[2].
Analyses
Blowin' In The Wind est la première composition d'importance de Dylan, c'est également la plus célèbre des « protest songs »[3]. Située dans un contexte de tension au Viêt Nam, du mouvement pour les droits civiques, la chanson ne fait pourtant allusion à aucun évènement particulier, ce qui contribue à la rendre intemporelle.
La chanson est constituée de trois strophes, chacune composée de huit vers. Chaque vers comprend une question, dont la réponse, toujours identique, constitue le refrain :
« The answer, my friend, is blowin' in the wind The answer is blowin' in the wind[4] »
La brièveté du texte, ajoutée à la tournure interrogative, naïve du style, tend à souligner l'apparente simplicité de la réponse, indépendamment de la complexité des questions. Cependant, la réponse, vague, ne répond pas aux questions posées, claires et tranchées, et à l'aspect quantitatif bien marqué: il est seulement dit à l'auditeur où il peut trouver la réponse.
Au sujet du refrain, Gordon Friesen, rédacteur au Broadside Magazine, suggéra une référence elliptique au drapeau américain, en citant les « vieilles guenilles de pavillons que souffle le vent » de Ralph Waldo Emerson, qui dénonçait le patriotisme inconditionnel, symbolisé par le drapeau national[5].
L'image métaphorique du vent peut également être une allusion au contexte de l'époque, où la violence des conflits, les morts dénotaient un accroissement perceptible de la tension politique. D'autres voient dans le « silence » du vent la nécessité de trouver la réponse en soi-même[3].
« Je n'ai pas grand-chose à dire sur cette chanson sinon que les réponses sont dans le souffle du vent. Elles ne sont pas dans les livres, les films, la télé ou les discussions politiques. Mec, les gens branchés prétendent me dire où se trouve la vérité, mais je n'y crois pas. Je dis toujours qu'elle est dans le souffle du vent et que, comme une feuille de papier jetée en l'air, elle retombera un jour... Mais le problème en fait, c'est que personne n'attrape la réponse au moment où elle redescend du ciel, si bien qu'il n'y a pas grand monde qui aille y voir, et savoir... et alors, elle reprend son envol à nouveau. »
— Bob Dylan pour Sing Out!, Anthony Scaduto, Bob Dylan, p. 205
Soupçon de plagiat
Dylan fut soupçonné de ne pas avoir été l'auteur des paroles de Blowin' in the Wind : il aurait acheté les paroles à un garçon de Millburn dans le New Jersey, Lorre Wyatt. Plus précisément il les aurait obtenues en échange d'un don de 1 000 dollars américains à un organisme de charité, le CARE. La rumeur continua de circuler et réapparut dans Newsweek, à l'automne 1963.
Ce n'est qu'en 1974 que les soupçons se levèrent quand Wyatt écrivit pour New Times:
« Le manteau de trucage que j'avais confectionné il y a des années est usé jusqu'à la corde : il ne m'est jamais bien allé. Il est temps à présent de payer les violons. Bien des gens étant en colère contre ce qu'ils voient comme la métamorphose récente de Dylan, le Prophète-Poète, en prophète du Profit, la poussière des rumeurs recommence à voler. Il importe d'effacer le post-scriptum insidieux aux paroles de Dylan qui demeure encore dans bien des esprits. La seule façon responsable de détruire ce post-scriptum est de mettre à disposition toute l'histoire de mes paroles... Je suis seulement désolé d'avoir mis 11 ans à dire: Je suis désolé. »
— Lorre Wyatt, Robert Shelton, Bob Dylan sa vie et sa musique : Like a Rolling Stone, p. 172
Reprises
La chanson, inspirée d'un air traditionnel des esclaves noirs[6] à la mélodie très simple, est, à peine quelques jours plus tard, reprise par les étudiants sur les pelouses des campus universitaires, et par les chanteurs de folk. Le texte de la chanson paraît au mois de mai dans la sixième édition de Broadside Magazine, un journal de musique folk. La chanteuse américaine Odetta reprend la chanson en 1963 sur l'album Odetta Sings Folk Songs.
Les New World Singers sont les premiers à enregistrer Blowin' in the Wind, sur Broadside Ballads, Vol. 1. Dylan l'enregistre le [7], lors des sessions de The Frewheelin', qui paraîtra en mars 1963. Elle est également enregistrée par le Chad Mitchell Trio sur l'album Chad Mitchell Trio in Action, en [8].
Albert Grossman, le manager de Dylan, est aussi celui de Peter, Paul and Mary : c'est par son entremise que ces derniers découvrent Blowin' in the Wind. À l'été 1963, Peter, Paul and Mary enregistrent leur version, qui va faire connaître la chanson dans le monde entier[9]. Le , Warner Bros sort le single. Dans les huit semaines, il s'écoule à 320 000 exemplaires et atteint la seconde position des charts, derrière Fingertips (part II), de Stevie Wonder. Certaines radios à Cleveland, Washington et Philadelphie la passent toutes les heures, tandis que Bill Randle et Bill Gavin, des hommes de radio influents, la considèrent comme la chanson de l'année[10]. Le nombre d'exemplaires vendus dépasse les précédents hits de Peter, Paul And Mary et dans le monde, 2 millions d'exemplaires sont vendus.
La Columbia, surprise, lance le single chanté par Dylan, mais il n'entre pas dans les classements. Dylan semble alors plus reconnu pour ses qualités d'auteur que d'interprète[11].
Elle sera aussi reprise en espagnol par le groupe 007 sous le titre Soplando en el viento, extrait de l'album "Vuelven los 007".
Elle inspirera également de nombreuses chansons militantes aux États-Unis, où l'intégration est devenue un sujet brûlant. On peut citer Alma Ater du Chad Mitchell Trio, ou Dogs of Alabama de Tom Paxton[10].
En 1966, Stevie Wonder enregistre une version pour son album Up-Tight, dont le single entrera dans le top 10 du Billboard Hot 100.
Au début des années 1960, à peine adolescent, Stevie Wonder se sent déjà concerné par les événements du monde qui l'entoure[12], ce qui lui permettra d'écrire ses plus belles chansons dans les deux décennies suivantes. Clarence Paul, son producteur de l'époque, lui propose naturellement le titre Blowin' in the Wind, déjà repris avec succès en 1963 par Peter, Paul and Mary (2e position au Billboard Hot 100[13]). Wonder l'interprète en concert pendant deux ans, en duo avec Paul depuis qu'un trou de mémoire lors du second couplet avait conduit ce dernier à monter sur scène pour l'accompagner. Wonder l'invite ainsi à ses côtés lors de plusieurs interprétations en public et l'engouement est tel qu'il les pousse à enregistrer la chanson au studio A de Hitsville USA en janvier 1966, alors que son single Uptight (Everithing's Alright) entre dans les classements nationaux aux États-Unis et au Royaume-Uni[12]. Blowin' in the Wind occupera la troisième piste sur son album Up-Tight[14] sorti en mai.
La version de Wonder est dotée d'un rythme légèrement plus rapide, dans un esprit piano blues, accompagné d'une basse[15]. Le chanteur offre une interprétation plus directe en exposant des faits plutôt qu'en posant des questions comme le laissait penser les intonations de Bob Dylan dans l’œuvre originale[15].
Le single sort chez Tamla en le [16] (réf. T-54136)[17], accompagné en face B de Aint That Asking for Trouble, une chanson co-écrite par Clarence Paul, Stevie Wonder et Sylvia Moy, et co-produite avec Henry Cosby(en)[18]. Le succès du single fait de lui le premier artiste noir à entrer dans le top 10 du Billboard Hot 100 avec une reprise de Blowin' in the Wind[15] tout en attirant l'attention du public blanc[19].
En 2003, la Motown dévoile une version antérieure, enregistrée dès décembre 1963, via sa série de compilations Motown Unreleased. Wonder n'a alors que 13 ans et sa voix est encore tremblante ce qui incitera le label à ne pas la diffuser[12].
Depuis lors, la chanson fait partie de son répertoire sur scène[12] : au début des années 1970 et ses concerts au Copacabana[20] jusqu'à 2018 et son concert au MassMutual Center[21].
Crédits
Stevie Wonder : voix
Clarence Paul : accompagnement vocal (non crédité)[17], arrangement[22]
Robert Shelton (trad. Jacques Vassal), No Direction Home : The Life And Music Of Bob Dylan [« Bob Dylan sa vie et sa musique : Like a Rolling Stone » ], Albin Michel, 12/03/1987, p. 170 à 173, (ISBN2226028854);
Yves Delmas, Charles Gancel. Protest Song: la chanson contestataire dans l'Amérique des Sixties, Textuel Musik, 2005, p. 23 à 26, (ISBN2845971346)
Anthony Scaduto, Hervé Muller (trad. Dashiell Hedayat), Bob Dylan, Christian Bourgois, 1983, p. 203 à 205, (ISBN2267003503);
Catherine Mason, A Commentary to « Blowin’ in the Wind », Université de Caen – Basse Normandie
Références
↑Anthony Scaduto, Bob Dylan, p. 203; Y. Delmas, C. Gancel, Protest Song, p. 23
↑ a et bCatherine Mason, A Commentary to Blowin’ in the Wind
↑Littéralement : « La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent / La réponse est soufflée dans le vent ». Dans la version française (Dans le souffle du vent) de Hugues Aufray : « Pour toi, mon enfant, dans le souffle du vent / Pour toi, la réponse est dans le vent ».
↑Robert Shelton, Bob Dylan sa vie et sa musique : Like a Rolling Stone, p. 164
↑d'après Gil Turner ( Robert Shelton, Bob Dylan sa vie et sa musique : Like a Rolling Stone, p. 172)
↑(en) « Rolling Stone », sur Rolling Stone (consulté le ).