En mathématiques, la bijection réciproque (ou fonction réciproque ou réciproque) d'une bijection est l'application qui associe à chaque élément de l'ensemble d'arrivée son unique antécédent par . Elle se note .
Pour chaque réel , il y a un et un seul réel tel que , ainsi pour , le seul convenable est 2, en revanche, pour c'est –3. En termes mathématiques, on dit que est l'unique antécédent de et que est une bijection.
On peut alors considérer l'application qui envoie sur son antécédent, qu'on appelle dans cet exemple la racine cubique de : c'est elle qu'on nomme la « réciproque » de la bijection .
Si on tente d'effectuer la même construction pour la racine carrée et qu'on considère l'application de vers définie par , les choses ne se passent pas si simplement. En effet, pour certaines valeurs de , il y a deux valeurs de tels que ; ainsi, pour , on peut choisir mais aussi , puisque 22 = 4 mais aussi (–2)2 = 4.
À l'inverse, pour d'autres choix de , aucun ne convient ; ainsi pour , l'équation n'a aucune solution réelle. En termes mathématiques, on dit que n'est ni injective ni surjective. Dans cet exemple, les définitions qui suivent ne permettent pas de parler de « bijection réciproque » (ni même d'« application réciproque ») de .
Résultats généraux
Définition
Si est une bijection d'un ensemble vers un ensemble , cela veut dire (par définition des bijections) que tout élément de possède un antécédent et un seul par . On peut donc définir une application allant de vers , qui à associe son unique antécédent, c'est-à-dire que .
L'application est une bijection, appelée bijection réciproque de .
La bijection réciproque de est souvent notée[2], en prenant garde à la confusion possible avec la notation des exposants négatifs, pour laquelle on a .
Propriétés
Caractérisation
Si est une application d'un ensemble vers un ensemble et s'il existe une application de vers telle que et , alors et sont des bijections, et est la bijection réciproque de .
Réciproque de la réciproque
La double propriété et montre que est aussi la bijection réciproque de , c'est-à-dire que .
Réciproque d'une composée
La réciproque de la composée de deux bijections est donnée par la formule : .
On peut remarquer que l'ordre de et a été inversé ; pour « défaire » suivi de , il faut d'abord « défaire » puis « défaire » .
Involution
Certaines bijections de vers sont leur propre réciproque, c'est le cas par exemple de l'application inverse :
ou de toute symétrie orthogonale dans le plan.
Le théorème des valeurs intermédiaires et son corollaire, le théorème de la bijection, assurent que toute application continue strictement monotone sur un intervalle détermine une bijection de sur et que est aussi un intervalle. Cela signifie qu'une telle fonction possède une application réciproque définie sur à valeurs dans .
Cette propriété permet la création de nouvelles fonctions définies comme application réciproque de fonctions usuelles.
Exemples
Fonction
Départ et arrivée
Fonction réciproque
Départ et arrivée
Notes
Puissance
Racine n-ième
entier naturel non nul
Exponentielle
Logarithme naturel
Exponentielle de base
Logarithme de base a
réel strictement positif
Puissance
Puissance 1/α
réel non nul
Sinus
Arc sinus
Cosinus
Arc cosinus
Tangente
Arc tangente
À l'aide de ces fonctions, la recherche de l'application réciproque consiste à résoudre l'équation , d'inconnue :
La fonction est une bijection de sur et possède une application réciproque que l'on cherche à déterminer en résolvant, pour dans , l'équation , ou encore . Puisque , cette équation possède deux solutions dont une seule appartenant à l'intervalle : . Donc la réciproque de est définie par .
Cette recherche peut se révéler infructueuse et nécessiter la création d'une fonction nouvelle. Ainsi, la fonction est une bijection de vers ; l'équation correspondante n'a pas de solution exprimable à l'aide des fonctions usuelles, ce qui oblige, pour exprimer , à définir une nouvelle fonction, ici la fonction W de Lambert.
Graphe
Lorsque deux fonctions sont réciproques l'une de l'autre, alors leurs représentations graphiques dans un plan muni d'un repère orthonormal sont symétriques l'une de l'autre par rapport à la droite d'équation (appelée aussi première bissectrice).
En effet, si est un point du graphe de , alors donc donc est un point du graphe de . Or le point est le symétrique du point par rapport à la droite , pour les deux raisons suivantes :
Le milieu du segment est sur la droite , et d'autre part, le vecteur est orthogonal au vecteur de coordonnées , qui est un vecteur directeur de la droite (leur produit scalaire canonique est nul).
On sait donc que le symétrique de par rapport à est un point du graphe de . Un raisonnement analogue prouve que si est un point du graphe de , alors son symétrique par rapport à est un point du graphe de .
Continuité
En général, la réciproque d'une fonction continue n'est pas continue mais la réciproque d'une fonction continue sur un intervalle à valeurs dans un intervalle est une fonction continue sur , selon le théorème de la bijection.
Dérivabilité
Si est une fonction continue sur un intervalle à valeurs dans un intervalle et si est sa réciproque, la fonction est dérivable en tout point tant que admet en une dérivée non nulle.
La dérivée en de est alors .
Un moyen simple de comprendre ce phénomène, mais non de le démontrer, est d'utiliser les notations différentielles et de remarquer que .
Il n'est pas toujours possible de déterminer la réciproque de manière analytique : on sait calculer , mais on ne sait pas calculer . On peut alors utiliser une méthode graphique ou une approximation numérique.
La méthode graphique consiste à tracer la courbe représentative . Pour rechercher , on cherche le point de la courbe dont l'ordonnée est et on lit son abscisse. Pour ce faire, on trace la droite d'ordonnée concernée, on recherche l'intersection de cette droite avec la courbe, et l'on trace la droite parallèle à l'axe des ordonnées passant par cette intersection. Le point d'intersection de cette droite avec l'axe des abscisses donne la valeur recherchée. C'est le principe d'un grand nombre d'abaques.
Numériquement, rechercher revient à rechercher les racines de la fonction .
Si l'on sait que le domaine de recherche — intervalle des possibles — est « restreint » et que la fonction est dérivable sur cet intervalle, on peut linéariser la fonction, c'est-à-dire la remplacer par une fonction affine obtenue par un développement limité au voisinage d'un point de cet intervalle :
On a ainsi une approximation de la solution, si :
C'est la démarche de l'algorithme de Newton, mais avec une seule itération.
On peut également utiliser une fonction d'approximation plus complexe mais néanmoins inversible.
Exemples de réciproques de transformations du plan
Les transformations du plan sont les applications bijectives du plan ; il est donc intéressant d'en connaître les réciproques, du moins pour les transformations de référence.
En algèbre, un morphisme bijectif de groupes, d'anneaux, de corps, d'espaces vectoriels admet une application réciproque qui est aussi un morphisme de même type. L'application et sa réciproque sont appelés des isomorphismes.
Dans le cas d'une application linéaire d'un espace vectoriel vers un espace vectoriel , tous deux de dimension finie et munis de bases, est bijective si et seulement si sa matrice dans les bases fixées est une matrice carrée inversible. La matrice dans ces bases de la réciproque de est alors la matrice inverse de , notée .
Quelques concepts apparentés
Soit une application.
Même lorsque n'est pas bijective, il est possible de définir une relation binaire réciproque, de dans , qui à tout élément de associe ses antécédents par (donc rien si cet élément n'a pas d'antécédents). On parle alors de réciproque multiforme. L'application est bijective si et seulement si cette relation réciproque est une application, et dans ce cas, cette application est bien l'application réciproque de . On définit plus généralement la réciproque d'une multifonction quelconque ou, ce qui revient au même, la réciproque d'une relation binaire.
Pour qu'il existe des inverses à gauche de , c'est-à-dire des applications telles que , il faut et il suffit que soit injective. Pour qu'il existe des inverses à droite de , c'est-à-dire des applications telles que , il faut et (en admettant l'axiome du choix) il suffit que soit surjective.
La fonction réciproque d'une fonction ne doit pas être confondue avec la fonction inverse de . Cette confusion est fréquente du fait de la notation[2] commune , et parce que le terme anglais reciprocal se traduit souvent par inverse en français, tandis que l'adjectif anglais inverse se traduit parfois par réciproque en français.
Le théorème d'inversion locale précise les conditions d'existence locale d'une application réciproque pour une fonction . C'est une généralisation d'un théorème simple sur les fonctions de la variable réelle.
Théorème — Si est définie sur un intervalle et si est un élément de , si possède en une dérivée continue non nulle, alors il existe un intervalle autour de , un intervalle autour de et une fonction définie sur qui soit l'application réciproque de la restriction de à .
Cette application réciproque est aussi dérivable en .
Le théorème d'inversion locale généralise cette propriété à des fonctions définies sur des espaces vectoriels réels de dimension finie. La condition « non nulle » est alors remplacée par « le jacobien de en est non nul ». De plus, si est de classe, l'application réciproque l'est aussi.
Notes et références
↑L'exemple de la racine cubique est celui choisi par Jacques Dixmier dans son Cours de mathématiques du 1er cycle, Gauthier-Villars, 1967, p. 9.
↑ a et bCe choix de notation s'explique par le fait que la loi de composition, restreinte aux permutations d'un ensemble, est une loi de groupe, et que ce groupe est noté multiplicativement. C'est cependant une ambiguïté de notation assez gênante pour que les logiciels de calcul formel séparent ces deux notions ; ainsi, Maple note l'inverse f^(-1) et la bijection réciproque f@@(–1).