Saluée, entre autres, par Louis Aragon, André Pieyre de Mandiargues et Maurice Blanchot[6], l'œuvre de Bernard Noël est très abondante et protéiforme : poésie, essais, textes sur l'art, textes politiques, théâtre, livres pour enfants etc.
Son premier livre, Extraits du corps, paraît en 1958 aux éditions de Minuit. Il est considéré comme la matrice de son oeuvre. À partir de ce recueil, la plupart des titres de Bernard Noël comporteront quinze lettres.
Après avoir exercé divers petits métiers, Bernard Noël gagne sa vie, de 1958 à 1967, en étant rédacteur pour les encyclopédies Laffont-Bompiani. Il y publie plus d'un millier d'articles.
Pendant la guerre d'Algérie, il est porteur de valises pour le réseau Curiel et, arrêté en décembre 1961, il subit une incarcération de deux semaines[7]. Très marqué par la violence d'État, il ne parvient plus à écrire pendant neuf années. "La guerre d’Algérie y fut sans doute pour beaucoup avec la découverte d’une violence qui maltraitait toute ma langue par le mensonge, qui la dégradait par la torture – la torture qui fait parler..." (Entretien avec Jacques Ancet). En 1967, Noël renoue avec l'écriture en publiant La Face de silence.
En 1969, Le Château de Cène, un roman érotique, paraît aux éditions Jérôme Martineau sous le pseudonyme d'Urbain d'Orlhac. Le roman est réédité en 1971 par Jean-Jacques Pauvert sous le vrai nom de l'auteur. En 1973, ce livre vaut à Bernard Noël un procès pour outrage aux bonnes mœurs[8]. À la suite de sa condamnation, et à la demande de Jean-Jacques Pauvert[9], il écrit en 1975 un pamphlet intitulé L'Outrage aux mots dans lequel il fustige l'hypocrisie de la justice et du pouvoir. Il crée alors le mot sensure pour dénoncer le détournement de sens du langage par les institutions officielles.
De 1969 à 1971, il travaille à un Dictionnaire de la Commune pour lequel il lit tous les tirages des 141 journaux parus durant la Commune de Paris[10]. L'ouvrage paraît en 1971, pour le centenaire de l'insurrection. Devenu une référence, il sera plusieurs fois réédité.
De 1973 à 2015, Bernard Noël écrit neuf Monologues, récits dont toutes les phrases commencent par un pronom personnel.
En 1975, il crée une forme de poèmes qu'il appelle des Lettres verticales. Chacune est dédiée à un(e) ami(e) dont le nom apparaît en acrostiche. Il en existe une cinquantaine, la dernière datant de 2021.
En 1983, il crée une forme de textes qu'il nomme les "romans d’œil" en regardant les artistes au travail dans leur atelier. Il y mêle la gestuelle et les propos des peintres à l'analyse de leurs tableaux (Onze romans d’œil, Romans d'un regard, Le Roman d'un être sur le peintre Roman Opalka). Son goût pour la peinture le conduit à réaliser quantité de livres d'artistes et de textes pour des catalogues d'expositions. À partir de 1987, il réalise lui-même des lavis et des dessins qu'il nomme "chosins".
En 1995, il est chargé de la célébration du centenaire de Paul Éluard. Il décide alors de faire un état des lieux de la poésie mondiale et il réunit les contributions d'une centaine de poètes français et étrangers dans le volume Qu'est-ce que la poésie ? (éd. Jean-Michel Place)
En 2007, grâce à l’éditeur Bernard Dumerchez, Bernard Noël rencontre le peintre Zao Wou-Ki avec qui il réalise le livre d'artiste Le Jardin d'encre. Ce poème continuera sous le nom de Chemin d'encre avec l’artiste François Rouan. Après avoir prévu de le poursuivre jusqu'à sa propre mort, l'auteur y mettra le point final en 2018.
Les éditions P.O.L ont rassemblé un choix de textes de Bernard Noël en quatre volumes d'Œuvres (qui ne sont pas complètes) : Les Plumes d'Éros (textes érotiques, 2010), L'Outrage aux mots (textes politiques, 2011), La Place de l'autre (textes sur l'écriture et sur les écrivains, 2013) et La Comédie intime (monologues, 2015).
Bernard Noël a joué un rôle important dans le monde de l'édition. De 1967 à 1970, il a été directeur littéraire chez Delpire. En 1977, il a créé la collection des "Classiques abrégés" pour l'École des Loisirs, très utilisée dans les collèges et les lycées. De 1977 à 1983, il a pris la direction de la collection "Textes" de Flammarion (créée par Paul Otchakovsky-Laurens en 1972). Sous l'égide de Bernard Noël, cette collection, spécialisée dans l'écriture de recherche, a publié notamment Denis Roche, Claude Ollier, Jean-Claude Montel, Claude Louis-Combet, William Carlos Williams ou E.E. Cummings.
Bernard Noël a réalisé de nombreuses traductions (Lovecraft, Shakespeare, Powys, Pentadius, etc.). De 1983 à 1985, il a dirigé le Centre littéraire de Royaumont où il a initié des séminaires de traduction collective, en collaboration avec Emmanuel Hocquard. Il a également dirigé plusieurs collections chez divers petits éditeurs[11].
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La sensure est une notion élaborée par Bernard Noël dans son texte L'Outrage aux mots, écrit et publié en 1975. Ce mot-valise (sens + censure) désigne un langage vide de sens.
Bernard Noël conçoit cette notion de sensure à l'issue du procès qui lui est intenté en 1973 après la parution de son premier roman, Le Château de Cène. À « l'outrage aux mœurs » dont on l'accuse, il rétorque par « l'outrage aux mots » en dénonçant le détournement de la langue par un pouvoir qui n'est pas d'une moralité exemplaire. Ainsi, les gouvernements ont appelé « événements d'Algérie » ce qui était en réalité une guerre et les mots « pacification » et « maintien de l'ordre » ont servi à masquer les actes de torture et le racisme d'État. « Par l’abus de langage, le pouvoir bourgeois se fait passer pour ce qu’il n’est pas : un pouvoir non contraignant, un pouvoir “humain”, et son discours officiel, qui étalonne la valeur des mots, les vide en fait de sens – d’où une inflation verbale, qui ruine la communication à l’intérieur de la collectivité, et par-là même la censure. Peut-être, pour exprimer ce second effet, faudrait-il créer le mot SENSURE. » (L'Outrage aux mots). De même le mot populisme, auparavant positif, a reçu une nouvelle signification, péjorative[12].
Bernard Noël a fait lui-même évoluer ce concept de sensure, notamment en élargissant son champ vers ce qu'il a appelé la « castration mentale » (abrutissement des individus par la télévision qui encourage la surconsommation) puis la « captation mentale » (usage généralisé des smartphones et outils numériques). (cf. entretien avec Yves Jouan, revue "Apulée" numéro 5)
Œuvre (sélection)
Le site de ressources Atelier Bernard Noël propose une bibliographie détaillée et des extraits de l'oeuvre. Des extraits sont également proposés sur Lieux-dits.eu[13].
2010 : Une Rupture en soi suivi de L'Écriture du Corps, coll. « Au Coin de la rue de l'Enfer » (Artgo & Cie) avec un CD[17]
2020 : Un toucher aérien avec des dessins de Bernard Moninot (Artgo & Cie)
Aux éditions Cadastre8zéro
2011 : Ce jardin d’encre, avec François Rouan, bilingue français/ espagnol, traduit en espagnol par Sara Cohen, coll. « Correspondances »[18]
2012 : Le Chemin d’encre, avec François Rouan, bilingue français/ arabe, traduit en arabe par Mohammed Bennis, coll. « Correspondances » (avec une édition spécifique pour le monde arabe[19])
2018 : Le Chemin d’encre 2, avec François Rouan, bilingue français/ anglais, traduit en anglais par Eléna Rivera[20]
2006 : Du monde du chagrin (avec Jacques Roman), livre-CD, Paupières de terre, Montrouge
2008 : Le Jardin d’encre/ El jardin de tinta[22], éditions L'Oreille du Loup
2008 : A propos d'oiseaux, poème de Bernard Noël, peinture et traduction de Graziella Borghesi, photographies de l'auteur et de l'artiste de Maxime Godard, Éditions de Rivières. Tirage à 20 exemplaires, tous uniques.
2009 : L'aile dans la tête, poème de Bernard Noël, une peinture de Didier EQUER, une photographie de Jérôme EQUER, Éditions de Rivières. Tirage à XX exemplaires, tous uniques.
2010 : Espace d’Apparition - correspondances à Georges Meurant, Galerie Didier Devillez
1990 : Le Château de Cène suivi de Le Château de Hors, L'Outrage aux mots et La Pornographie, coll. « L'Imaginaire »
1993 : La Chute des temps suivi de L'Été langue morte, La Moitié du geste, La Rumeur de l'air et Sur un pli du temps, coll. « Poésie » (ISBN2-07-032773-6)
1996 : L'Exercice de l'amour, livret de l'opéra d'Ahed Essyad, MFA/Radio France
2002 : Onze voies de fait et Héloïse et Abélard (livret de l'opéra d'Ahmed Essyad), Atelier des Brisants
2004 : Le Retour de Sade, Léo Scheer
Des textes de Bernard Noël ont fait l'objet de plusieurs représentations théâtrales : Les Premiers Mots, La Langue d'Anna, Le Syndrome de Gramsci, Extraits du corps, etc.
Illustrations
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↑B. Noël, L'Outrage aux mots, Paris, Pauvert puis P.O.L, 1975 puis 2011,
« Le lendemain du procès, Jean-Jacques Pauvert m'a téléphoné de bonne heure. Il voulait que j'écrive ce que j'avais dit au juge, que j'en fasse un livre. Ce désir était amical. J'ai eu envie d'y répondre. »
↑Fabio Scotto, « Bernard Noël et Paul Trajman : la main qui pense », dans Littérature comparée et correspondance des arts, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Configurations littéraires », (ISBN979-10-344-0492-6, lire en ligne), p. 207-214.
↑Plaquette éditée à 500 exemplaires à l'occasion de l'exposition des « Serres » de Bernard Moninot à la galerie Karl Flinker du 17 mars au 17 avril 1976.
Patrick Wateau, Bernard Noël ou l'expérience extérieure, éditions José Corti, coll. « en lisant en écrivant », 2001
Claire Fourier, Bernard Noël ou Achille immobile à grands pas, suivi de Nonoléon par Bernard Noël, Jean-Paul Rocher éd., 2002
Jacques Ancet, Bernard Noël ou l'éclaircie, Opales, 2002
Serge Martin (dir.), Avec Bernard Noël toute rencontre est l’énigme, La Rochelle, éd. Rumeur des âges, 2003. Comprend un extrait d'un texte de Bernard Noël « Le retour de Sade »), une introduction de Serge Martin, des textes de Jacques Ancet, Béatrice Bonhomme, Claude Fintz, Geneviève Jolly, Sophie Loizeau, Tina Magaard, Anne Malaprade, Laurent Mourey, Philippe Païni, Serge Ritman, Muriel Tenne, avec des œuvres de Colette Deblé, Olivier Debré, André Masson, Bertrand Vivin et Jan Voss
Bernard Noël, Politique du corps, coll. « Figures », éd. revue Ah !, 2010
Revues
Europe (étude et entretien avec Alain Marc), no 823-824, novembre-décembre 1997
Amastra-N-Gallar (sous la dir. d'Emilio Arauxo), n° spécial « Bernard Noël », no 15, automne 2008 Participation de J. Ancet, D. Bisutti, B. Bonhomme, H. Carn, R. Detambel, Cl. Fourier, B. Machet, A. Malaprade, L. Murey, F. Pazzottu, C. Royet-Journoud. Comprend une « Lettre autour du corps » de Bernard Noël
Europe, « Bernard Noël », dir. Chantal Colomb-Guillaume, no 981-982, janvier-février 2011
NU(e) no 49 « Bernard Noël » (dir. Tristan Hordé), novembre 2011 (ISSN1266-7692)