Le site des explosions sur la route vers le cimetière des Martyrs (Golzar Shohada) avec le dôme vert de la mosquée Saheb al-Zaman visible en arrière-plan.
Les attentats de Kerman ont lieu le dans la ville de Kerman, dans le sud de l'Iran, lors de la commémoration du quatrième anniversaire de la mort du général Qassem Soleimani, tué en 2020 par un drone américain en Irak. Deux explosions se produisent à une quinzaine de minutes d'intervalle, à 14 h 50 et 15 h 05 environ[a]. Le bilan officiel au 11 janvier est de 94 morts et 284 blessés.
L'attentat, le plus meurtrier en Iran depuis 1978, est revendiqué le lendemain par le groupe État islamique.
Contexte
Le , le général Qassem Soleimani (ou Ghassem Soleimani[1]) est tué lors d'une frappe de drone en Irak, ordonnée par les États-Unis, alors dirigés par Donald Trump[2]. Soleimani est le commandant de la Force Al-Qods du corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), chargée des opérations à l'étranger. Il occupe une position d'influence significative en Iran, largement considéré comme la deuxième figure la plus puissante du pays après le guide suprême, l'ayatollahAli Khamenei. En tant que chef de la Force Al-Qods, il joue un rôle clé dans la définition de la politique iranienne dans la région. Soleimani est chargé de superviser des missions clandestines et de fournir des conseils, des fonds, des armes, des renseignements et un soutien logistique à des gouvernements alliés et des groupes armés, notamment le Hamas et le Hezbollah[3],[4].
Le , jour de l'attaque, des centaines de milliers d'Iraniens sont réunis dans les rues de Kerman, au sud-est de l'Iran, pour commémorer le quatrième anniversaire de la mort de Qassem Soleimani[8],[9],[10]. Parmi eux se trouvent des citoyens et « anonymes », mais aussi des représentants du régime[11].
Déroulement
L'attentat a lieu à proximité de la mosquée Saheb al-Zaman, près de laquelle est située la tombe du général Soleimani[12]. Les explosions ont lieu dans les rues menant à Golzar Shohada, cimetière rassemblant 1 025 personnes considérées comme des martyrs aux yeux du régime[10].
L'agence semi-officielle Nournews(fa) rapporte d'abord que plusieurs bonbonnes de gaz ont explosé sur la route conduisant au cimetière où a lieu la cérémonie commémorative[17]. Selon l'agence Tasnim, les bombes étaient dissimulées dans des sacs et ont été activées à distance grâce à des télécommandes[12]. Un témoin indique par ailleurs avoir vu une bombe exploser depuis une poubelle, où elle était cachée[18]. Le groupe État islamique déclare lui sur Telegram que deux de ses membres « ont fait exploser leurs ceintures d'explosifs au milieu de la foule »[19]. L'IRNA rapporte par la suite que la première explosion a été provoquée par un kamikaze, dont le corps a été déchiqueté. Pour la seconde, elle annonce que l’enquête se poursuit mais qu'il s’agirait également très probablement aussi d'un attentat-suicide[20].
Le travail des secours est compliqué par le mouvement de foule qui résulte de la double explosion[10]. Selon un décompte établi le en fin de soirée, l'attentat fait 103 morts et 211 blessés[12],[16]. Le ministre de la Santé, Bahram Eynollahi(en), révise par la suite à la baisse ce bilan, donnant un chiffre de 95 morts, certains noms ayant « été enregistrés deux fois par erreur »[18]. L'état des corps est aussi un obstacle à leur identification et au décompte des victimes[20]. Le , le bilan officiel est à nouveau revu, passant à 84 morts et 284 blessés[21]. Le , le bilan est de nouveau revu à la hausse, d'abord à 85 morts, puis à 89[22],[23],[24]. Parmi ces derniers, on compte trente-trois femmes, douze personnes âgées de moins de 15 ans (dont une fillette de deux ans[25]) et douze ressortissants afghans[23],[24]. Neuf des victimes (dont la fillette de deux ans) appartiennent à la même famille[26]. Le , le bilan passe à 91 morts après le décès de deux patients hospitalisés en soins intensifs[27]. Le , le bilan s'alourdit à 94 morts[28]. L'attentat est le plus meurtrier survenu dans le pays depuis la Révolution iranienne, avec l'incendie d'un cinéma à Abadan en 1978[18].
Enquête et responsables
Le jour de l'attaque, la présidence iranienne accuse les États-Unis et Israël d'en être à l'origine, mais la méthode d'action est incompatible avec celles de ces deux pays, qui utilisent plutôt les assassinats ciblés de leaders militaires ou de personnalités influentes[10]. Un responsable américain anonyme déclare que les attaques auraient pu être commises par le groupe terroriste État islamique (ou Daech) car cela « ressemble à une attaque terroriste, le genre de chose que l'EI a fait dans le passé »[18], thèse avancée également par d'autres observateurs[16]. Ali Vaez(fa), chercheur spécialiste de l'Iran, relève ainsi que la méthode de la double explosion « correspond au mode opératoire de Daesh »[11].
Le lendemain, l'État islamique revendique l'attentat[19]. Selon le média Al-Mersaad (réputé proche des talibans afghans), les kamikazes seraient de nationalité tadjike[29]. Le , le ministère iranien du Renseignement confirme la nationalité tadjike d'un des deux kamikazes[30]. Le , l'agence de presse semi-officielle de l'État islamique, Amaq, publie une vidéo posthume dans laquelle on les voit prêter « allégeance au commandeur des croyants et calife des musulmans, le cheikh moudjahid Abi Hafs al-Hachemi al-Qourachi »[31]. Le , le ministère iranien du Renseignement communique davantage d'informations sur les auteurs des attentats. Le cerveau de ces derniers serait un Tadjik connu sous le pseudonyme d'Abdollah Tajiki, entré clandestinement en Iran à la mi- et reparti le après avoir confectionné les ceintures explosives. Le kamikaze identifié le comme étant de nationalité tadjike serait également Israélien, s'appellerait Bozrov (nom de famille) et aurait suivi plusieurs mois d'entraînement dans les camps afghans de l'État islamique au Khorassan avant de gagner clandestinement l'Iran[28].
D'autres pistes sont également évoquées initialement, comme des groupes d'opposition au régime des mollahs, notamment l'Organisation des moudjahiddines du peuple iranien, mais ceux-ci affirment, par le biais de leur porte-parole Shahin Gobadi, ne pas avoir « commis cet acte ». Le mouvement de protestation consécutif à la mort de Mahsa Amini, qui réclame notamment la fin de l'obligation de port du foulard islamique pour les femmes, ne vise lui que les autorités iraniennes, et non les civils[10],[32].
Peu de temps après l'attentat, un conseiller de la présidence accuse Israël et les États-Unis d'avoir commandité l'attaque, ce que ces derniers jugent « absurde ». De leur côté, les Israéliens, par la voix du porte-parole de TsahalDaniel Hagari, nient toute implication et déclarent rester « concentrés sur les combats avec le Hamas »[12]. Des responsables américains déclarent également qu'Israël n'est pas à l'origine de l'attaque[35].
↑Les heures exprimées correspondent à l'heure locale iranienne, sur le fuseau horaire UTC+3:30. Il est donc environ 12 h 20, heure de Paris, au moment de l'attaque.
Références
↑« L’Iran frappé par l’attentat le plus meurtrier depuis la Révolution islamique, dans un contexte de fortes tensions régionales », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑(en-GB) « Ninety-five killed in bomb blasts near Iran general Qasem Soleimani's tomb - state TV », BBC News, (lire en ligne, consulté le )
↑(en) Joshua Davidovich, « Jan. 3: Several Hezbollah members killed in Israeli strikes as erupting tensions roil border », The Times of Israel, (lire en ligne)
↑ a et b« Iran : l’organisation Etat islamique revendique l’attentat qui a causé la mort de 84 personnes à Kerman », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑(fa) Najmeh Hassani, « نهمین عضو خانواده سلطانینژاد شهید شد » [« Le neuvième membre de la famille Soltaninejad a été martyrisé »], Agence de presse de la République islamique, (consulté le )
↑(en-US) Vivian Yee, Julian E. Barnes et Ronen Bergman, « U.S. Says It Believes ISIS Was Behind Bombing That Killed Dozens in Iran », The New York Times, (ISSN0362-4331, lire en ligne, consulté le )