L'anthropologie de la santé (ou anthropologie médicale) est une branche de l'anthropologie sociale qui s'est développée à partir de l’étude comparée des systèmes de pensée et d'organisation sociale gérant la santé, la maladie et le soin, et de la variation biologique chez les humains. Aujourd’hui, les anthropologues médicaux s’intéressent à une vaste gamme de sujets, dont les fondements sociaux (culturels, politiques, historiques et épistémologiques) de la santé et de la distribution des maladies, les interprétations (représentations, savoirs, valeurs, institutions), les pratiques (techniques, rôles et relations, programmes) et les institutions liés à la santé ou aux traitements.
Certains auteurs voient l'anthropologie de la santé comme un héritage de l'ethnomédecine, qui au cours du XXe siècle a richement documenté et analysé les thérapeutiques traditionnelles comme des pratiques culturelles. La discipline s'est constituée au cours des années 1980 comme un champ thématique au sein de l'anthropologie sociale et culturelle (anthropologie de la santé soutenue en France par des auteurs comme Andreas Zempléni[1] et Marc Augé[2]), comme une spécialité (anthropologie médicale incluant aussi des éléments d'anthropologie biologique, portée par Jean Benoist[3]) ou comme une application de l'anthropologie politique à la santé (développée à partir des années 1990 notamment par Didier Fassin[4],[5]). D'abord développée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, l'anthropologie médicale se déploie en France et dans d'autres pays francophones au début de l'épidémie de sida, lorsque l'absence de traitement et de moyen de prévention efficaces conduit à mener des recherches sur les déterminants socio-comportementaux, contextuels et structurels, de l'exposition au risque infectieux[6],[7]. La demande en santé publique permet alors de développer des approches pluri, inter et transdisciplinaires, montre les capacités à produire des connaissances opérationnelles en sociologie et anthropologie, apporte une légitimité et des ressources aux chercheurs et attire des étudiants et des professionnels de santé vers de nouveaux parcours de formation[8]. Simultanément, les sociétés deviennent davantage multiculturelles et la médecine et les médicaments sont désormais présents aux côtés des savoirs locaux et de thérapies venues d'ailleurs. Les recherches analysent les effets de concurrence, complémentarité et hybridation du pluralisme médical[9], ainsi que les rapports aux institutions médicales, vues comme des institutions sociales qui reproduisent, amplifient ou redistribuent, les rapports de pouvoir et de savoir existant dans le sociétés[10].
Le début du XXIe siècle voit s'installer la "santé globale" qui définit de nouveaux rapports entre problématiques locales et institutions ou programmes mondiaux, complexifiant les rapports avec les systèmes de soin nationaux[11]. L'anthropologie médicale suit ces évolutions en analysant les réponses sociales et le sens attribué aux pathologies émergentes ou dues aux changements sociétaux, comme aux innovations biomédicales[12]. Elle élargit son champ au rapport au "vivant" dans le cadre de l'approche "une seule santé" qui engage des collectivités humaines (qu'elles soient micro-sociales ou globales, éventuellement constituées dans les espaces socionumériques), des agents infectieux, et des espèces animales en inter-relations dans un environnement anthropisé (qualifié d'Anthropocène ou de Capitalocène)[13]. L'anthropologie médicale continue à s'exercer dans "l'application" (un terme du XXe siècle remplacé au XXIe par "l'engagement") pour l'amélioration de la santé des populations dominées et vulnérabilisées, l'humanisation des interventions médicales, la reconnaissance et la défense des savoirs minoritaires, la lutte contre les discriminations et les inégalités d'accès à des soins efficaces et culturellement sensibles, et une meilleure compréhension des enjeux qui contraignent la santé[14].
Principales approches (à compléter)
L'anthropologie de la santé s'est dégagée de fondements culturalistes à la fin du XXe siècle, et plusieurs approches coexistent :
une approche d'anthropologie sociale et culturelle
une approche bioculturelle combinant les aspects biologiques et culturels
une approche appliquée visant l'amélioration des systèmes et interventions de soin prenant en compte les contextes socioculturels
une anthropologie médicale critique en lien avec l'anthropologie politique de la santé
Notes et références
↑Andréas Zempléni, « La maladie et ses causes. », L'Ethnographie, no 2, , p. 13-44
↑Le sens du mal: anthropologie, histoire, sociologie de la malade, Éd. des Archives Contemporaines, coll. « Ordres sociaux », (ISBN978-2-903928-06-3)
↑Jean Benoist, « Du social au biologique: étude de quelques interactions », L'Homme, vol. 6, no 1, , p. 5-26 (lire en ligne)
↑Didier Fassin, Pouvoir et maladie en Afrique: anthropologie sociale dans la banlieue de Dakar, Presses universitaires de France, coll. « Les champs de la santé », (ISBN978-2-13-043397-2)
↑Didier Fassin, L'espace politique de la santé: essai de généalogie, Presses universitaires de France, coll. « Sociologie d'aujourd'hui », (ISBN978-2-13-048261-1)
↑Paul Farmer et Corinne Hewlett, Sida en Haïti: la victime accusée, Éd. Karthala, coll. « Médecines du monde », (ISBN978-2-86537-691-9)
↑Jean Benoist et Alice Desclaux, Anthropologie et sida: bilan et perspectives, Éd. Karthala, coll. « Médecines du monde », (ISBN978-2-86537-614-8)
↑Jean Benoist, Soigner au pluriel: essais sur le pluralisme médical, Éd. Karthala, coll. « Médecines du monde », (ISBN978-2-86537-613-1)
↑Yannick Jaffré et Jean-Pierre Olivier de Sardan, Une médecine inhospitalière: les difficiles relations entre soignants et soignés dans cinq capitales d'Afrique de l'Ouest, APAD Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », (ISBN978-2-84586-373-6)
↑Jean-Paul Gaudillière, Claire Beaudevin, Christophe Gradmann, Anne Lovell, Laurent Pordié, Global health and the new world order: historical and anthropological approaches to a changing regime of governance, Manchester university press, coll. « Social histories of medicine », (ISBN978-1-5261-4967-1)
↑Prévoir et prédire la maladie: de la divination au pronostic, Aux lieux d'être ; AMADES, coll. « Sciences contemporaines. Sous prétexte de médecines », (ISBN978-2-916063-41-6)
↑Frédéric Keck, Les sentinelles des pandémies: chasseurs de virus et observateurs d'oiseaux aux frontières de la Chine, Zones Sensibles, (ISBN978-2-930601-43-4)
↑Paul Farmer, Jim Y Kim, Arthur Kleinman, Matthew Basilico, Reimagining global health: an introduction, University of California press, coll. « California series in public anthropology », (ISBN978-0-520-27197-5, 978-0-520-27199-9 et 978-0-520-95463-2)
Bibliographie
Benoist Jean, 1993, Anthropologie médicale en société créole. éd. PUF, Coll. les champs de la santé, Paris : 285 p. (ISBN978-2130456186) En ligne
Jaffre Yannick, Olivier De Sardan Jean-Pierre, 1999. La construction sociale des maladies. Les entités nosologiques populaires en Afrique de l’Ouest, Ed. PUF, coll. Les champs de la santé : 372 p. (ISBN978-2130502302).
Kleinman Arthur, 1980, Patients and Healers in the Context of Culture. An Exploration in the borderland between Anthropology, Medicine and Psychiatry. University of California Press : 427 p. (ISBN9780520045118)
Massé Raymond, 1995, Culture et santé publique. Les contributions de l'anthropologie à la prévention et à la promotion de la santé. Gaëtan Morin : 499 p. En ligne
Benoist Jean, Petite bibliothèque d'anthropologie médicale. Une anthologie. Tome 1 (2002), Tome 2 (2008), Tome 3 (2017) et Tome 4 (2024). En ligne