Anita Conti fut la première femme océanographe française. Entre les deux guerres mondiales, elle commença à dresser les premières cartes de pêche, alors qu'on ne disposait que de cartes de navigation. Son activité scientifique contribua à rationaliser les pratiques de pêche hauturière. Mais dès les années 1940, elle s'inquiéta des effets de la pêche industrielle sur les ressources halieutiques. Elle est également la marraine de l'Estran Cité de la mer, un musée consacré à la mer et à la pêche situé à Dieppe.
Biographie
Enfance
Anita Conti est l'enfant de Léon (Leven) Caracotchian, médecin accoucheur, d'origine arménienne[4], et Alice Lebon[5]. Elle voyage en suivant ses parents à travers l'Europe. En Bretagne et en Vendée, elle embarque régulièrement avec des pêcheurs qui lui donnent le goût de la mer[6].
En 1914, à l'aube de la guerre, la famille se réfugie sur l'île d'Oléron[7], où la jeune fille s'adonne à la voile, la lecture, et réalise ses premières photographies.
Débuts
Après la guerre, Anita Caracotchian s'installe à Paris où elle excelle dans le métier de relieuse d'art. Elle se marie en 1927 avec le diplomate Marcel Conti et continue de passer du temps sur les bateaux de pêche et à lire des ouvrages sur la mer : faune et flore, histoire, etc.
Elle publie des articles dans la République, embarque sur les harenguiers ou voiliers-morutiers pour vivre le quotidien des travailleurs de la mer. Elle observe, photographie, et prend des notes.
Comme journaliste et spécialiste du monde de la pêche, elle prend part à plusieurs campagnes, du Golfe de Gascogne à Terre-Neuve. Son objectif est de dresser pour les professionnels de la mer, des cartes des zones de pêche. Anita Conti observe un certain nombre de paramètres (température de l'eau, salinité, etc.) et leur influence sur les populations de poissons. Remarquée par ses articles sur les richesses marines dans des revues féminines, elle est embauchée en 1934 par Édouard Le Danois à l'Office scientifique et technique des pêches maritimes (OSTPM), comme « responsable de la propagande »[8].
Des conclusions alarmantes
En 1939, Anita Conti embarque pour les régions arctiques à bord du chalutier-morutier Vikings, de l'armement Les Pêcheries de Fécamp, pour une durée de pêche de trois mois, au-dessus du 75e parallèle en mer de Barents[9]. Elle tire alors des conclusions très alarmistes quant à la surexploitation des océans et les conséquences d'une pêche à outrance. Donnant naissance à une prise de conscience sur les problèmes environnementaux, elle montre que la mer n'est pas une ressource inépuisable.
En 1941, pendant la Seconde Guerre mondiale, elle embarque sur un chalutier qui fuit vers les rivages africains pour continuer la pêche et nourrir les populations, la pêche étant impossible en Atlantique Nord, du fait de la guerre[10]. Pendant deux ans, d'un chalutier à l'autre, elle observe les pêcheurs français le long des côtes sahariennes et africaines, où ils découvrent des espèces de poissons inconnues en France. Elle n'a de cesse de continuer à augmenter les cartes sur les zones de pêche, tout en s'intéressant aux techniques de pêches locales.
Petit à petit, elle améliore les techniques de conservation, les méthodes de pêches, installe fumeries et pêcheries, et fonde même une pêcherie expérimentale de requins[5].
Les institutions françaises ne soutenant plus ses initiatives, elle crée sa propre entreprise en Guinée, à Conakry, dans le but de toujours poursuivre ses recherches, favoriser la pêche locale et améliorer le régime alimentaire des populations. Mais les difficultés s'accumulent, de violentes tempêtes détruisent ses installations, et dans les années 1950, Anita Conti rentre en France.
En 1952, elle s'embarque sur le chalutier fécampois Bois Rosé III[9], du même armement des Pêcheries de Fécamp, pour une saison de pêche de cinq mois à Terre-Neuve, trouvant toujours courageux ces gens qui effectuent leur travail dans la fureur des éléments, œuvrant à l'entretien du matériel, à trier, nettoyer et saler le poisson, à des milliers de kilomètres de leur foyer. Mais, malgré cette admiration sans limite, elle reste lucide et s'affole des mille tonnes de morues salées ramenées et du fait que la moitié de la pêche est rejetée à la mer pour ne garder que la morue[9]. Elle profitera de cette expérience pour tourner un documentaire rendant hommage au travail de ces hommes.
Continuant sans relâche ses études, elle s'implique encore davantage contre la malnutrition ainsi que pour la sauvegarde de la richesse halieutique et pour un développement de la pêche en harmonie avec la mer[10].
En 1953, elle publie Racleurs d'Océans pour témoigner de la campagne de pêche du chalutier Bois Rosé, du port de Fécamp, et en 1957 Géants des mers chaudes où elle rapporte son expérience en Afrique française[13].
Une femme qui reste une pionnière
Anita Conti s'indigne du gaspillage à bord des bateaux alors que tant de gens meurent de faim. Elle fait campagne pour la réutilisation des « faux-poissons », c'est-à-dire les indésirables, souvent rejetés morts à la mer et tente de faire connaître des espèces peu connues, comme le poisson-sabre[10]. Elle essaie aussi de voir comment munir les bateaux de systèmes de capture sélectifs.
Dans les années 1960, elle se fait pionnière de l'aquaculture en proposant d'élever des poissons pour la consommation des populations et le repeuplement du milieu marin[10]. Elle élève, sur la côte adriatique, des poissons en milieu naturel, dans des cages immergées et, en Mer du Nord, implante des fermes aquacoles.
En 1971, elle publie L'Océan, les bêtes et l'homme, où elle établit le bilan de ses recherches quant aux conséquences de l'activité humaine sur l'océan.
De conférence en colloque, elle reste un témoin privilégié du monde marin. Elle est la première en France à partager la vie des terre-neuvas et la première femme océanographe.
Anita Conti meurt le à Douarnenez à l'âge de 98 ans[3].
L'association « Cap sur Anita Conti » se charge de numériser 28 000 de ces clichés et d'organiser des expositions jusqu'au , date de sa dissolution[16].
Les écoles primaires publiques de Plouescat, Plouzané, et Saint-Avé, l'école primaire de Gâvres, le groupe scolaire public de La Ferrière (Vendée), le collège du quartier de Kerolay à Lorient, des collèges de Saint-Nazaire et Bully-les-Mines (Pas-de-Calais), le lycée professionnel maritime de Fécamp[18] ainsi que le lycée d'enseignement général et technologique de Bruz portent le nom « Anita-Conti. »
La drague aspiratrice en marche du Grand port maritime de Bordeaux a été baptisée en 2014 en Gironde du nom Anita Conti. Ce navire de 89,70 m de long et 3 704 UMS de tonnage, doté d'un puits de capacité de puits de 3 000 m3 et de deux moteurs MAK (2 400 kW chacun à 750 tours), est entré en service en . Il opère habituellement sur l’estuaire de la Gironde mais se déplace jusque dans le pas de Calais, par exemple en 2022 pour assurer le dragage du port de Boulogne-sur-Mer[19].
Le 2 juin 2018, l'œuvre symphonique Anita, op. 81 du compositeur Benoît Menut est interprétée pour la toute première fois par l'Orchestre national de Bretagne. Cette pièce est née d'un travail mené par le compositeur au sujet des milliers de photos prises par Anita Conti lors de ses voyages en mer. La mélodie fut composée à partir d'un montage de ces clichés, notamment ceux réalisés lors de la campagne de Terre-Neuve de 1952[20].
Google lui rend hommage cent vingt ans après sa naissance le [21].
La ville du Guilvinec nomme une nouvelle voie allée Anita-Conti en 2015[22].
Le Carnet viking - 70 jours en mer de Barents (juin-), préface de Catherine Poulain, introduction de Laurent Girault-Conti, éd. Payot, Paris, 2018 (ISBN2228920282)
Les Vaisseaux du Hasard (poésie), éditions limitée, 2020.
Les photographies d'Anita Conti sont représentées et consultables à l'Agence et à la Galerie Vu, Paris[25],[26],[27],[28].