Directeur de la revue internationale et transdisciplinaire Dédale, spécialiste du soufisme, il enseigne la littérature comparée à l'université Paris-X. Il anime également, jusqu'à son décès, l'émission hebdomadaire Cultures d'islam sur France Culture. Il est connu pour ses prises de position publiques en faveur d'un islam libéral.
Biographie
Généalogie
Sa généalogie associe du côté de sa mère une lignée patricienne tunisoise — son grand-père Belhaj est d'origine tripolitaine et sa grand-mère Lasram d'origine yéménite — et du côté de son père une famille active dans les souks de Tunis et dans la grande mosquée et université de la Zitouna (fondée au milieu du IXe siècle). D'origine morisque[1], comptant parmi les crypto-musulmans expulsés d'Espagne à la suite du décret promulgué par le roi Philippe III le , les aïeux paternels trouvent d'abord refuge au Maroc où leur descendance séjourne plus d'un siècle avant de s'établir à Tunis dans le dernier quart du XVIIIe siècle, après une résidence à Zaghouan, gros bourg de fondation morisque à 50 kilomètres au sud de Tunis.
Son grand-père, le cheikh Mokhtar Meddeb, a été professeur (mudarris) des lectures coraniques ('ilm al-qira'ât) à la Zitouna et son père, le cheikh Mustapha Meddeb[2], l'a été en principes du droit (uçûl al-fiqh) mais participa aussi dans les années 1930 au monde littéraire de Tunis en composant des poèmes inspirés par le lyrisme du groupe cairote Apollo.
Jeunesse et formation
Abdelwahab Meddeb grandit dans une famille traditionnelle, conservatrice et pieuse, autrement dit dans un entourage musulman lettré et cultivé. Il commence à apprendre le Coran sous l'autorité de son père dès l'âge de quatre ans puis entre à l'école franco-arabe de Tunis deux ans après[2], dans une annexe du Collège Sadiki consacrée à l'enseignement primaire. À partir de quatorze ans, il se passionne pour la littérature française[2] en lisant ses grands classiques. Après trois années à l'université de Tunis, il entame des études de lettres et d'histoire de l'art à l'université Paris-Sorbonne et s'établit à Paris en 1967[2] où il vit par la suite. Il obtient au terme de ces études une licence en 1969 et une maîtrise de lettres en 1970[2].
Entre 1992 et 1994, il codirige la revue Intersignes avec le psychanalysteFethi Benslama et fonde en 1995 sa propre revue baptisée Dédale[5],[2]. En 1997, il fonde également une collection du même nom à la maison d'édition Maisonneuve et Larose[2]. De 1995 à 2011, il enseigne la littérature comparée (Europe et monde islamique) à l'université Paris-X[2]. À la demande de Patrice Gélinet, alors directeur de la station radiophonique France Culture, il crée en octobre 1997 l'émission hebdomadaire Cultures d'islam[2]. Ensuite, il participe également, en tant qu'auteur et chercheur, à de nombreux débats ou séminaires consacrés aux rapports entre l'islam et l'Europe et collabore à plusieurs revues, dont Esprit ou Communication[2]. Il est par ailleurs chroniqueur hebdomadaire sur Medi 1 radio, ses chroniques nourrissant son recueil Contre-prêches.
En , Abdelwahab Meddeb interrogé par le journaliste Jean-Christophe Ploquin, a l'occasion de développer sa vision de l'islam. Tout d'abord, il pose en prédicat de sa réflexion le statut du Coran, que la tradition considère comme incréé car parole inaltérable de Dieu, autrement dit impossible à contextualiser. Il propose donc de « restaurer la thèse du Coran créé », ce qui permettrait d'intervenir sur le contenant et le contenu, une démarche, affirme-t-il, qui « devient un enjeu majeur » de notre temps. Le but serait de « désenclaver la référence islamique » qui pourrait ainsi « circuler à l'échelle mondiale commune ». En fait, cette réforme en profondeur est fondée, d'après lui, sur l'esprit d'Assise dont elle est l'équivalent et part du principe que toutes les formes de religion sont participantes de la vérité, ce qui suppose que chacune d'elles estime ne plus être la seule religion vraie sans pour autant « rien céder de son origine ». Il s'agirait donc de conformer la croyance islamique à la culture occidentale, ce qui se passe déjà dans les milieux lettrés libanais. Pour Meddeb, il convient ainsi de contrer l'intégrisme islamique proclamé depuis les années 1920 avec le mouvement des Frères musulmans dont l'objectif était de créer par la force « une identité alternative par rapport à l'identité hégémonique de l'Occident ». En fin de compte, Meddeb résume ainsi sa position : « L'horizon éthique doit primer sur la loi islamique »[10].
Avant sa mort, Abdelwahab Meddeb a le temps d'écrire trois ouvrages dénonçant l'islamisme et appelant à cette réforme radicale de l'islam, plus exactement du Coran et de son exégèse. Tous trois, publiés aux éditions du Seuil, témoignent d'une volonté d'inscrire la tradition musulmane dans la modernité : La Maladie de l'islam (2002), Contre-prêches (2006) et Sortir de la malédiction (2008). Opposé à Tariq Ramadan dans l'émission Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddeï du , il est la cible d'une violente campagne orchestrée par les milieux islamistes sur Internet[11].
Décès
Atteint d'un cancer du poumon, Meddeb meurt le à la clinique Bizet, dans le 16e arrondissement de Paris[12],[13].
Vie privée
Marié à Amina Meddeb[14], il est le père de la journaliste Hind Meddeb.
Œuvre
Dans son œuvre polymorphe et transgénérique (allant du poème[15] à l'essai en passant par le roman), il s'attache à honorer ce qu'il appelle sa « double généalogie », européenne et islamique, française et arabe. Son œuvre, transfrontalière, agit sur le lecteur selon une poétique et une esthétique de l'interstitiel, en quête de ce qui interfère entre les langues et les cultures, entre les credos et les imaginaires[16],[17]. Sa visée tend à concilier la découverte de l'inouï en maintenant l'entretien avec les Anciens, quelle que soit leur origine : cette conversation avec les morts mêle les voix des présocratiques à celles des soufis, celles des poètes arabes et persans à celles des poètes médiévaux appartenant aux diverses traditions romanes auxquels il convient d'ajouter ce qui nous parvient des maîtres de la Chine et du Japon classiques. Cependant, Meddeb accorde une place privilégiée aux échos qui résonnent entre les textes d'Ibn Arabi et ceux de Dante à travers lesquels il perçoit les ancêtres de son croisement culturel. Ses derniers essais confirment un engagement tranché et radical contre l'exclusivisme belliqueux de l'intégrisme qu'il diagnostique comme étant la « maladie de l'islam »[18],[19]. Son œuvre, quels qu'en soient le support et les enjeux, traduite dans une vingtaine de langues, reste ouverte sur l'horizon cosmopolitique d'une weltliteratur toujours à venir, qu'il enrichit par le désenclavement des références arabes et islamiques.
(en) Paolo Fabbri et Tiziana Migliore (dir.), The Architectures of Babel : Creation, Extinctions and Intercessions in the Languages of the Global World, Florence, Olschki, , 152 p. (ISBN978-8822260963).
Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, Paris, Albin Michel, , 1145 p. (ISBN978-2226248510)[25], avec Benjamin Stora.
↑« Tunisie. Abdelwahab Meddeb : « L'islamisme est une interprétation pauvre, bête et détestable de l'islam » », Le Courrier de l'Atlas, (lire en ligne, consulté le ).
↑Jean-Christophe Ploquin, « L'horizon éthique doit primer sur la loi islamique », La Croix, , p. 11 (ISSN0242-6056, lire en ligne, consulté le ).
↑Yamna Chadli Abdelkader, « Postures et discours d’écrivains maghrébins francophones face aux bouleversements des « printemps arabes » », dans Margareta Kastberg Sjöblom, Alpha Barry et Andrée Chauvin-Vileno (dir.), Nouvelles voix/voies des discours politiques en Afrique francophone, vol. 1, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, (ISBN978-2-84867-989-1, DOI10.4000/books.pufc.53031, lire en ligne), p. 71-84.