Spécialiste des hormones stéroïdes, il est mondialement connu pour la mise au point de l'anti-progestérone RU 486 (ou pilule abortive) [1],[2]. Il a par ailleurs fondé l'Institut Baulieu en , pour soutenir ses recherches contre la maladie d'Alzheimer et la dépression[3].
Biographie
Famille
Originaire d'une famille juive alsacienne, Étienne-Émile Baulieu est né sous le patronyme de Blum[4]. Il est le fils de Léon Blum (1878-1930) — un médecin néphrologue et diabétologue strasbourgeois, précurseur de l'insulinothérapie en France [5] —[6], le petit-fils du rabbinFélix Blum (1847-1925), alors grand rabbin de Mulhouse, et le cousin germain de Pierre Lévy. Après la mort de son père, il est élevé par sa mère, avocate[7] et féministe[8], avec ses sœurs Simone et Françoise. Simone Blum, née en 1929, prend le nom de Suzanne Baulieu, épouse de Brunhoff, et devient chercheuse en économie, tandis que Françoise, née en 1930 deviendra, elle aussi, une chercheuse, mais en endocrinologie et sera la mère de Vincent Peillon[9].
Parti travailler aux États-Unis pour son stage post-doctoral dans le laboratoire de Seymour Lieberman à l'université Columbia à New York[5], alors leader mondial de l'étude des stéroïdes, il y rencontre Gregory Pincus, le père de la pilule contraceptive qui vient d'être mise sur le marché (1960). Ce dernier lui propose de faire de la recherche sur des sujets de reproduction humaine avec le soutien financier de la Fondation Ford[11].
Carrière médicale et enseignement
Docteur en médecine (endocrinologie), docteur es sciences (biochimie hormonale), il est chef de clinique des Hôpitaux de Paris et assistant de Lucien de Gennes. Il devient ensuite agrégé de biochimie de la faculté de médecine (1959), puis professeur titulaire de biochimie à la Faculté de médecine de l'université Paris-Sud. En 1993, il est élu professeur au Collège de France, titulaire de la chaire des fondements et principes de la reproduction humaine. Il y enseigne successivement le contrôle de la reproduction humaine et les pathologies nerveuses dégénératives.
Carrière de chercheur
Préférant rentrer en France plutôt que d'accepter un poste aux États-Unis, Étienne-Émile Baulieu crée et dirige l'unité 33 de l'Inserm, qui s'installe au CHU Kremlin-Bicêtre en 1970. En 1965, il devient conseiller scientifique de la présidence de l'industrie pharmaceutique Roussel-Uclaf pour laquelle il teste les effets physiologiques de leurs molécules de synthèse, dont le célèbre RU 486 ou mifépristone[5]. Son équipe s'oriente alors vers la recherche en endocrinologie moléculaire. À la fin des années 1970, il publie en collaboration avec Roussel-Uclaf les résultats du RU 486 et se bat durant de nombreuses années pour obtenir son autorisation de mise sur le marché, malgré la virulente opposition de divers groupes politiques et religieux[5].
À la fin des années 1990, Étienne-Émile Baulieu prolonge ses travaux sur la déhydroépiandrostérone (DHEA) en étudiant son précurseur, la prégnénolone, dont il dirige la synthèse d'un dérivé (MAP4343), prometteur contre les états dépressifs et l'addiction. Il a également découvert le rôle de la protéine FKBP52, qui interagit avec la protéine Tau dont la forme pathologique est impliquée dans la maladie d'Alzheimer.
Apports scientifiques
RU 486 : une hormone pour l'interruption volontaire de grossesse
Spécialiste des hormones stéroïdes, Étienne-Émile Baulieu est mondialement connu[4] pour la mise au point en 1981 de nouvelles antihormones comme l'anti-progestéroneRU 486[12], ou pilule abortive, utilisable pour les interruptions précoces de grossesse, la facilitation des accouchements difficiles et le traitement de plusieurs types de tumeurs. Pour cela, son équipe composée notamment de Paul Robel, Edwin Milgrom et Henri Rochefort, travaille avec celles de Roussel-Uclaf, et tout particulièrement avec Édouard Sakiz[5] et le chimiste Georges Teusch, pour élaborer la structure moléculaire du RU 486 et tester son activité interruption de grossesse chez l'animal grâce notamment aux financements de la Fondation Ford[12].
Après des études de toxicité préalables, celles d'utilisation chez la femme sont réalisées à la demande de Roussel-Uclaf dans une société anglaise spécialisée[12]. L'entreprise pharmaceutique a failli renoncer au développement de la molécule[13] car les études chez le singe à doses très élevées montraient des effets d'insuffisance surrénalienne[réf. nécessaire] comparables à la maladie d'Addison, alors que c’est la nature même anti-corticoïde associée du produit, préalablement démontrée, qui était observée.
En 1982, la publication des premiers résultats montre que le produit administré aux doses prévues est sûr, sans danger, et efficace[14]. Ces travaux suscitent des polémiques sur une « facilitation » de l'interruption volontaire de grossesse par une méthode qui évite aux femmes une chirurgie invasive et offre un avantage économique en évitant une intervention en milieu hospitalier, ainsi que l'avantage psychologique de la discrétion d'une décision prise par la femme seule. Devant les oppositions religieuses et politiques[15], le laboratoire Roussel-Uclaf renonce en 1988 à l'Autorisation de mise sur le marché du RU486 qu'elle venait d'obtenir[16]. C'est grâce à l'intervention personnelle du Ministre de la santé de l'époque, Claude Évin, affirmant que « le RU 486 est la propriété morale des femmes » et proposant de le confier à un autre laboratoire, que Roussel décide finalement d'assumer et d'exploiter le produit[17]. Le mifépristone ou pilule abortive est ainsi autorisé en France en 1988, puis progressivement dans d'autres pays.
DHEA
Étienne-Émile Baulieu décrit en 1963 l'hormone déhydroépiandrostérone (DHEA), sécrétée par les glandes surrénales[8]. En 2000, il a mis en évidence, avec Françoise Forette, certaines de ses propriétés, notamment par rapport à certains aspects particuliers du vieillissement (amélioration cutanée, augmentation de la densité osseuse et de la libido chez la femme ménopausée[18]).
Travaux sur les neurostéroïdes et les maladies neurodégénératives
Étienne-Émile Baulieu découvre au début des années 1980 que le cerveau est aussi producteur d'hormones stéroïdes[19] qu'il dénomme « neurostéroïdes »[20]. Cette publication a ouvert la voie de ses recherches dans le domaine du vieillissement cérébral et en particulier de la mémoire[21], mais aussi de la dépression.
MAP4343
Plus récemment, il étudie l'action de la prégnénolone dans le fonctionnement des microtubules des neurones. Il remarque que son insuffisance est impliquée dans de nombreuses pathologies nerveuses majeures comme les dépressions et les addictions. Pour compenser cette insuffisance et soigner ces maladies, il conçoit et met au point une molécule agoniste de la prégnénolone tout en évitant la formation des stéroïdes hormonaux dont elle est normalement le précurseur métabolique. Ses collaborateurs synthétisent pour cela un dérivé de la prégnénolone qui modifie le groupement 3ß-hydroxyl du composé naturel[22]. Ce composé, connu sous le sigle « MAP4343 » peut agir sur les neurones sans avoir d'effet hormonal. Ce « candidat médicament » fait actuellement l'objet d'un essai clinique chez l'homme en phase 2 au sein de la société de biotechnologie MAPREG[23] dans le traitement d'états dépressifs résistants, ainsi que chez l’animal pour lutter contre l’addiction.
FKBP52 et la maladie d'Alzheimer
L'approche du groupe de recherche mené par Étienne-Émile Baulieu sur les maladies neurodégénératives, de type maladie d'Alzheimer, vise non pas les plaques amyloïdes, sur lesquelles la recherche s'est jusqu'ici concentrée, mais la protéine tau (Tubuline Associated Unit), dont la forme pathologique, en particulier hyperphosphorylée, est délétère pour l'activité des neurones[24]. Ce défaut provoque les troubles de la mémoire, de l'acquisition des connaissances et du comportement, caractéristiques de nombreuses maladies cérébrales dégénératives, dont la plus connue est la maladie d'Alzheimer. Les travaux de son groupe ont montré que la protéine tau interagissait avec une autre protéine cérébrale, une immunophiline dénommée FKBP52, découverte en 1992 par un groupe américain[25]. L'interaction entre FKBP52 et Tau pathologique a été prouvée au niveau cellulaire[26], puis chez l'homme post-mortem - le niveau de la protéine FKBP52 était fortement diminué dans le cortex frontal de patients morts de maladies neurodégénératives[27],[21], et enfin in vivo chez le poisson-zèbre. Dans ce dernier cas, des animaux rendus malades par le transfert d'un gène de tauopathie humaine ont été soignés par une modulation de la protéine FKBP52[28]. Cette avancée en recherche fondamentale très prometteuse permet d'envisager, d'une part de mesurer la quantité de protéine FKBP52 chez les personnes pour évaluer leur risque de développer une tauopathie conduisant à une démence sénile, et d'autre part de mettre au point des médicaments capables de stimuler cette protéine anti-tau.
↑Annick Cojean, « Etienne-Emile Baulieu, inventeur de la pilule abortive : « J’ai toujours voulu aider les femmes » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑Effet d’un Stéroide anti-progestérone chez la femme : interruption du cycle menstruel et de la grossesse au début par W. Herrmann, R. Wyss, A. Riondel, D. Philibert, G. Teusch, E. Sakiz, E-E. Baulieu, in Compte-rendu des séances de l'Académie des Sciences (1982), 294, p. 933-938.
↑(en) Corpechot C, Robel P, Axelson M, Sjövall J, Baulieu EE. « Characterization and measurement of dehydroepiandrosterone sulfate in the rat brain »Proc. Natl. Acad. Sci. 1981;78:4704-4707
↑(en) Paresys L., Hoffmann K., Froger N., Bianchi M., Villey I., Baulieu E.E. and Fuchs E. Effects of the Synthetic Neurosteroid 3ß-Methoxypregnenolone (MAP4343) on Behavioral and Physiological Alterations Provoked by Chronic Psychosocial Stress in Tree Shrews, International Journal of Neuropsychopharmacology (2016) 19(4):1-12, 201