Toutefois, Nawaz Sharif est démis de son poste de Premier ministre le par la Cour suprême dans le cadre d'une enquête pour évasion fiscale, puis emprisonné un an plus tard peu avant le scrutin. Il est alors remplacé par l'un de ses proches, Shahid Khaqan Abbasi et à l'occasion de ces élections, la Ligue musulmane est menée par Shehbaz Sharif, frère de Nawaz.
Le parti d'opposition Mouvement du Pakistan pour la justice mené par Imran Khan arrive largement en tête, sans toutefois remporter la majorité absolue. Il devance notamment la Ligue musulmane et le Parti du peuple pakistanais, tandis que les islamistes du Muttahida Majlis-e-Amal enregistrent des résultats plus faibles qu'attendus. Khan revendique sa victoire malgré des accusations de fraudes de la part des principaux partis politiques dont celui sortant[1]. Le , il est élu Premier ministre par la nouvelle assemblée.
Les élections législatives du voient la victoire de la Ligue musulmane du Pakistan (N), marquant ainsi la fin du mandat du Parti du peuple pakistanais, au pouvoir depuis 2008 et qui avait succédé cette année là au régime militaire de Pervez Musharraf, lui-même arrivé au pouvoir en 1999 en renversant le Premier ministre Nawaz Sharif, dirigeant de la Ligue. Le scrutin marque donc le retour au pouvoir de ce dernier, son parti arrivant largement en tête et obtenant une légère majorité absolue après des ralliements. L'élection démontre alors une certaine normalisation de la vie politique, alors que pour la première fois dans l'histoire du pays un gouvernement civil cède la place à un autre à la fin de son mandat. Jusqu'ici, la vie politique était marquée par des coups d’État militaires, élections anticipées et crises politiques incessantes.
Toutefois, la régularité du scrutin est contestée par l'opposant Imran Khan qui a émergé à l'occasion de cette élection. La Ligue musulmane du Pakistan (N) est accusée de bourrages d'urnes dans 55 circonscriptions de la province du Pendjab. Alors que les recours judiciaires ne donnent rien, Imran Khan et Mohammad Tahir ul-Qadri lancent en une longue marche de protestations qui réunit des centaines de milliers de militants et se termine en occupation de l'avenue de la Constitution d'Islamabad. Les meneurs du mouvement y mettent un terme quatre mois plus tard sans avoir obtenu l'organisation des élections anticipées qu'ils demandaient[2],[3].
Depuis 2002 et surtout 2007, le pays est confronté à une insurrection de la part des talibans dans le nord-ouest, à savoir la province de Khyber Pakhtunkhwa et surtout les régions tribales, frontalières avec l'Afghanistan. Le mandat de Nawaz Sharif est marqué par l'extension des opérations militaires, après d'infructueuses tentatives de négociations en 2013. Le , l'armée lance l'opération Zarb-e-Azb qui se concentre au Waziristan du Nord, dernière zone des régions triables n'ayant pas été visé par une offensive. En représailles, les insurgés talibans perpètrent le massacre de l'école militaire de Peshawar le . Il s'agit de la pire attaque terroriste de l'histoire du Pakistan, et la mort de plus d'une centaine d'enfants choque le pays.
Bien que les attaques insurgés restent fréquentes et parfois spectaculaires, le niveau de violence et le nombre de morts se sont nettement réduits depuis 2014, les talibans pakistanais ayant été expulsés du pays par les nombreuses opérations militaires[4]. Les insurgés utilisent toutefois depuis lors l'Afghanistan comme base arrière pour mener des attaques au Pakistan[5].
Chute de Nawaz Sharif
En , la Cour suprême destitue le Premier ministre Nawaz Sharif pour falsification de preuve dans le cadre d'une enquête pour une évasion fiscale révélée par les Panama Papers. Il est par la suite remplacé par Shahid Khaqan Abbasi, un de ses proches[6]. Il est également interdit de diriger la Ligue musulmane du Pakistan (N) et il ne peut plus se présenter à un scrutin à vie[6].
Le , Nawaz Sharif est condamné à dix ans de prison pour corruption et sa fille Maryam Nawaz Sharif à sept ans de prison[7]. Alors qu'ils sont menacés d'arrestation, Nawaz et Maryam retournent au Pakistan le , tandis que leurs partisans décident de les accueillir à l'aéroport, malgré l'interpellation d'un certain nombre d'entre eux[8]. Ils sont donc emprisonnés à leur arrivée dans le pays, tandis que Shehbaz Sharif organise une manifestation de soutien interdite[9]. Le clan Sharif accuse la puissante armée pakistanaise de comploter contre lui, tandis que certains médias et fonctionnaires notent une répression contre le parti sortant et dénoncent des censures[10],[11], voire un « coup d'État silencieux de l'armée »[12].
Durant la première moitié de l'année 2017, les autorités ont mené un très attendu recensement de la population. C'est en effet le premier depuis 1998 et il est réalisé avec six années de retard. Le précédent gouvernement avait commencé ce processus à la date prévue, mais les résultats préliminaires ont été très contestés et l'étude annulée. Le recensement est un sujet sensible au Pakistan alors qu'il traduit l'évolution du poids des différentes groupes ethno-linguistiques[13].
En 2018, malgré des critiques persistantes sur ce nouveau recensement, la Commission électorale le prend pour base afin de redécouper les circonscriptions électorales. Ces dernières n'avaient en effet pas été modifiées depuis 2002, posant un problème d'égalité des votes, des circonscriptions ayant connu des évolutions démographiques très différentes. Malgré tout, le nouveau découpage laisse apparaitre 30 circonscriptions sur 272 dont la population s'éloigne anormalement de la moyenne. Le député de la circonscription la plus peuplée (Bannu) représente ainsi 1,2 million d'habitants à lui seul quand celui de la moins peuplé (Kachhi-Jhal Magsi) n'en représente que 386 255[14],[15].
Le Pakistan possède un régime politique parlementaire bicaméral de type Westminster. Le Parlement du Pakistan se compose de deux chambres, l'Assemblée nationale élue pour une grande partie au scrutin direct, et le Sénat dont les membres sont choisis par les membres des assemblées provinciales, elles-mêmes élues selon le même mode de scrutin que l'Assemblée nationale. Les élections générales visent à choisir les seuls élus de l'Assemblée nationale et des assemblées provinciales.
Les candidats sont élus au suffrage universel directuninominal majoritaire à un tour, c'est-à-dire que chaque électeur vote dans sa circonscription pour un candidat et celui arrivant en tête à l'issue d'un unique tour est élu, même avec une majorité relative de voix[16]. Un candidat peut présenter sa candidature dans plusieurs circonscriptions, mais ne doit garder qu'un siège s'il en remporte plusieurs. Une élection partielle est alors organisée dans la circonscription dont le poste de député est devenu vacant. Les membres élus doivent ensuite procéder à l'élection des « sièges réservés ». Pour l'Assemblée nationale, les 272 membres élus directement élisent 60 sièges réservés à des femmes et 10 sièges réservés à des minorités religieuses. Ces sièges sont répartis à la proportionnelle entre tous les partis ayant remporté un minimum de 5 % des voix au scrutin direct, mais répartis en proportion du nombre de sièges déjà obtenus et non en proportion des voix, de manière à laisser inchangé le résultat du vote populaire[16].
Une règle s'est ajoutée à l'occasion de ces élections, afin de parer la faible participation des femmes dans certaines régions très conservatrices : au moins 10 % de l'électorat doit être féminin dans chaque circonscription, sans quoi le candidat vainqueur peut voir son élection annulée[17].
Le nombre de sièges d'un parti utilisé pour la répartition des sièges réservés peut comprendre des candidats élus en tant qu'indépendants, si ceux-ci le rejoignent officiellement dans les trois jours suivants la publication des résultats des sièges élus au scrutin direct. Une fois la commission électorale informée, les candidats ne peuvent revenir sur ces ralliements avant l'élection des membres réservés, en accord avec l'article 92-6 de la loi électorale pakistanaise[18].
Partis en lice et programmes
La Ligue musulmane du Pakistan (N) au pouvoir tente de faire valoir son bilan, jugé relativement positif. Le niveau de violences liées à l’insurrection islamiste s'est en effet nettement réduit durant les dernières années, notamment sous l'effet de l'offensive de 2014. La croissance économique a régulièrement progressé durant toute la législature, passant de 4,4 % du PIB en 2013 à 5,7 % en 2017[19]. Le pays a ainsi poursuivi avec succès le développement de ses infrastructures, réussissant surtout à réduire les très problématiques coupures d'électricité. À ce titre, l'établissement du corridor économique Chine-Pakistan signé en 2016 a été déterminant[4]. L'économie du pays reste cependant fragile, du fait d'un fort déficit du commerce extérieur et d'une faiblesse monétaire et budgétaire. Le pays pourrait encore devoir demander l'aide du Fonds monétaire international à la suite de ces élections[20].
Le Mouvement du Pakistan pour la justice et son chef Imran Khan critiquent la corruption du gouvernement, un problème endémique dans le pays, ainsi que le népotisme du « clan Sharif » au pouvoir[21]. Le programme du parti promet également des investissements massifs dans l'éducation et la santé. Le mouvement tente également de faire valoir son bilan dans la province qu'il dirige depuis 2013, le Khyber Pakhtunkhwa. Il met notamment en avant une politique ambitieuse de reboisement, ayant replanté plus d'un milliard d'arbres et en promettant dix milliards s'il dirige le pays. Le parti place même la protection de l'environnement dans ses onze priorités, alors que le sujet est pour la première fois autant abordé dans une campagne au Pakistan[22],[23].
Le Parti du peuple pakistanais tente de faire valoir la jeunesse de son meneur Bilawal Bhutto Zardari pour tenter de moderniser son image. Il prend pour slogan « paix, progrès prospérité ». Comme son rival de l'opposition, il aborde les sujets environnementaux en promettant un plan pour le climat et une meilleure gestion de l'eau. Le parti met également en avant un programme progressiste, promettant la mise en valeur des femmes et des minorités, ainsi qu'une sécurité sociale et un planning familial[24],[25].
Des dizaines d'autres partis politiques se présentent à ces élections, dont beaucoup n'ont qu'un encrage très local. Les cinq principaux partis arrivés en tête lors des élections de 2013 sont représentés dans le tableau ci-dessous :
La campagne officielle s'ouvre le 1er juillet[27]. Les différents sondages d'opinion montrent initialement une légère avance du parti au pouvoir, qui se fait distancer à la fin de la campagne électorale par le Mouvement du Pakistan pour la justice qui se confirme comme principal opposant[28], alors qu'il n'a émergé qu'en 2013 au détriment du Parti du peuple pakistanais, l'une des deux formations qui dominaient la vie politique depuis le début des années 1970.
Malgré l'amélioration sécuritaire, la situation reste tendue durant cette campagne. Le , le ministre de l’Intérieur Ahsan Iqbal est blessé par balle lors d'une tentative d'assassinat, alors qu'il assistait à un meeting électoral[6]. Le , un attentat à la bombe à Peshawar tue 22 personnes dont un candidat provincial en visant un rassemblement du Parti national Awami, une petite formation de gauche[29],[30]. Le , un attentat-suicide à Mastung contre un meeting tue 149 personnes dont un candidat local du Parti baloutche Awami. Revendiqué par l'organisation État islamique, c'est le second attentat le plus meurtrier de l'histoire du pays[29],[31]. Le même jour, à Bannu, un autre attentat à la moto-piégée tue 4 personnes et en blesse 40 autres en essayant d'assassiner le candidat du MMA Akram Khan Durrani, mais ce-dernier survit[29]. Le , un nouvel attentat tue un candidat du Mouvement du Pakistan pour la justice pour la circonscription provinciale de Dera Ismail Khan[32].
Résultats
Le , près de 106 millions de Pakistanais sont appelés aux urnes, 22 % de plus qu'en 2013, sous un climat sécuritaire tendu. Quelque 370 000 soldats sont mobilisés pour le jour du vote[33], ce qui n'empêche pas un attentat-suicide à Quetta qui tue une trentaine de personnes à l'entrée d'un bureau de vote[34]. Le , la Commission électorale établit les compositions finales des assemblées après des ralliements de candidats indépendants et l'élection des sièges réservés, aboutissant à un total de 158 sièges pour le Mouvement du Pakistan pour la justice, qui frôle ainsi la majorité absolue de 171 sièges à l'assemblée, nécessitant la formation d'une coalition gouvernementale[35],[36],[37].
Assemblée nationale
Résultats des législatives pakistanaises de 2018[38],[39]
Rapidement, la grande majorité des partis défaits lors de ces élections dénoncent des irrégularités massives en faveur du Mouvement du Pakistan pour la justice, et accusent l'armée pakistanaise de pressions pré-électorales. La Ligue musulmane du Pakistan (N) affirme notamment « rejeter totalement » les résultats, pointant des « fraudes flagrantes » notamment dans le processus de comptage. Ses agents électoraux auraient d'après elle été expulsés de certains bureaux de vote tandis que le formulaire officiel sur lequel doivent être notifié les atteintes constatés par eux au bon déroulement du vote ne leur aurait pas été fourni[43],[44]. La Commission électorale nie cependant le même jour toute fraude lors du scrutin[45].
Deux missions d'observateurs internationaux étaient présentes lors du scrutin, menées par l'Union européenne et le Commonwealth. Elles estiment que les militaires n'ont pas directement interféré dans le processus de vote et que le comptage a été globalement honnête et transparent mais relèvent que des difficultés se sont présentées occasionnellement, en raison de problèmes techniques sur le nouveau logiciel et d'agents électoraux parfois absents. Les observateurs notent surtout un environnement défavorable lors de la campagne électorale, pointant des opportunités de communications très différentes selon les partis ainsi que des pressions sur les médias[48].
Le , Imran Khan reçoit l'investiture de l'Assemblée nationale par 176 voix favorables, soit quatre de plus que la majorité requise. Sa prestation de serment a lieu le lendemain [51].