Serge Tchuruk, de son vrai nom Serge Tchurukdichian, né le à Marseille, est un ancien dirigeant d'entreprise français.
Biographie
Origines
Ses parents sont des réfugiés arméniens de Kutahya, en Turquie au début des années 1920 qui fuient l'avancée meurtrière des kémalistes[1]. Commerçants et francophones, ils s'installent en France en 1922 où ils achètent une épicerie en détail et demi-gros.
Serge Tchuruk vit à Marseille, dans le quartier du lycée Thiers, où il fait toutes ses études secondaires[2]. Une de ses passions est le rugby et il occupe le poste de trois-quarts dans l'équipe de rugby à XIII du RC Marseille XIII.
Il apprend l'arménien (que l'on ne parlait pas chez lui).
Carrière
École polytechnique
Admis à IÉcole polytechnique (promotion X1958), il décide de raccourcir son nom en Tchuruck[3]. À la sortie, passionné par les fusées[1], il choisit le corps de l'armement, mais son mariage avec une Polonaise, en pleine Guerre froide, lui interdit l'accès au « secret défense ». Il explique dans Libération : "Du jour au lendemain, tout s'est écroulé. On me disait à peine bonjour dans l'école. J'étais un zombie. Toute ma promotion a été invitée aux Etats-Unis, sauf moi. Je me suis braqué[1].»
De 1980 à 1986, il occupe différents postes dont celui de directeur général de la division Engrais, à Rhône-Poulenc, groupe chimique et pharmaceutique français, pour finir par être nommé directeur général de ce groupe en 1983.
CDF-Chimie - Orkem
Le ministre de l'Economie Alain Madelin le nomme PDG de CDF-Chimie en 1986 De cette entreprise de la chimie nationale en difficulté - vingt ans d'activité, dix-sept de pertes -, il crée en 3 ans Orkem, l'une des plus rentables d'Europe[6].
Total
De 1990 à 1995, il est PDG de la société pétrolière Total de 1990 à 1995. Le deuxième groupe pétrolier français présente à son arrivée un bilan financier et une stratégie incertaines. Malgré la concurrence avec Elf, largement souttenu par l'Etat qui en 1992 réduit toutefois sa participation de 34 à 5%, Total remonte la pente. Ainsi, à son départ, 1995, Serge Tchuruk aura fait la chasse aux frais et réduit l'endettement. Un succès : les comptes du géant pétrolier sont rééquilibrés. La valeur de l'action a été multipliée par 2,7 en cinq ans[7]. En juin 1995, il impose Thierry Desmarest comme son successeur à la présidence du géant pétrolier[6].
Alcatel Alsthom
En 1995, il est appelé à la rescousse pour reprendre les rênes d'Alcatel Alsthom en remplacement de Pierre Suard[8]. A l'époque, le géant français, dans le sillage de son président sortant est abonné à la chronique judiciaire des journaux[9]. Il restructure l'entreprise en renonçant aux activités médias, énergie et transport, pour se recentrer sur la téléphonie. En l'espace de six ans, il aura divisé par deux les effectifs du groupe. En 1999, il annonce des bénéfices records de 15 milliards de francs (2,29 milliards d'euros) et 12 000 suppressions d'emplois[9].
Il décompose le groupe en deux entités distinctes[10] :
le groupe Alcatel, fournisseur de réseaux de télécommunications terrestres (filaires et radio), sous-marins et de satellites ;
le groupe Alstom (Énergie et transport ferroviaire) qui sera introduit en bourse suite à une opération avec GEC et deviendra indépendant.
Il orchestre ensuite le rachat de l'équipementier américain Lucent par Alcatel, les actionnaires de ce dernier représentant 60 % de l'entité nouvellement créée. Après de longs examens par les autorités, notamment américaines, qui aboutirent à la cession de l'activité satellites à Thales au sein de Thales Alenia Space, le nouveau groupe Alcatel-Lucent voit le jour au . Serge Tchuruk quitte alors la direction générale pour devenir président du conseil d'administration[11] de la nouvelle entité. Le , Serge Tchuruk démissionne de son poste en même temps que la directrice générale américaine Patricia Russo devant les difficultés du groupe Alcatel-Lucent et de son management dual[12]. De à , Serge Tchuruk est président et CEO de Joule Unlimited[13], dont il est membre du conseil d'administration depuis .
Le , lors d'un colloque à Londres, Serge Tchuruk, P-DG d'Alcatel, déclare : « Nous souhaitons être très bientôt une entreprise sans usines. » Il donne ainsi le coup d'envoi à la cession ou à la fermeture de la majorité des 120 usines de son groupe. Et devient le chantre du « fabless », cette stratégie consistant pour les entreprises à se concentrer sur la conception des produits tout en déléguant leur fabrication à des sous-traitants[14],[15],[16].
Polémiques
Polémique sur le « parachute doré »
Au moment où il a quitté la direction générale d'Alcatel-Lucent pour devenir président du conseil d'administration, Serge Tchuruk, sans quitter le groupe mais en abandonnant juste la direction opérationnelle, perçoit un parachute doré de 5,7 millions d'euros. La question se posera alors de l'équité de pareil avantage à la fin d'un mandat globalement perçu comme un échec de gestion : sous l'ère Tchuruk (1995-2007), le cours de l'action Alcatel a diminué de moitié, et depuis qu'il est président de plus d'une autre moitié (la valorisation boursière ALU, c'est-à-dire « Alcatel plus Lucent » vaut moins en 2008 qu’Alcatel tout seul avant la fusion en 2006 et la moitié de la valeur actuelle d'Alstom).
Le , 17 organisations syndicales européennes et américaines du groupe Alcatel Lucent ont envoyé un courrier à Serge Tchuruk et à Patricia Russo (l’ex-directrice générale d’Alcatel Lucent, elle aussi bénéficiaire d'un parachute doré, et elle aussi démissionnaire depuis) leur demandant de renoncer à leurs parachutes dorés, jugés « indécents ». Cette demande trouva des partisans politiques, en particulier du ministre Xavier Bertrand, du secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant, et de la présidente du Medef, Laurence Parisot. À la date du , ni Serge Tchuruk ni Patricia Russo n'avaient remboursé leurs indemnités[17].
Polémique sur la vision stratégique
Lorsque Serge Tchuruk prend la direction d'Alcatel en 1995, il base sa stratégie sur le recentrage vers les Telecom en en faisant un groupe spécialisé.
En 2001, à la veille de l'explosion de la bulle Internet, le groupe est un géant qui compte 150 000 salariés et 120 sites industriels. Le patron d’Alcatel choisit la stratégie d’une entreprise « sans usines »[18] ou fabless,
« Nous souhaitons être très bientôt une entreprise sans usines (…). Il n’y aura pas de drames sociaux. »
Alcatel occupe une place centrale dans le monde des équipementiers télécoms. A l'époque, en France, on découvre la stratégie prometteuse des fabless partie dans les années 1990 dans la Silicon Valley. Et dans un contexte intellectuel où l'on souhaite libérer la France des usines et de ses taches sales et pénibles, l'idée est de se concentrer sur les brevets, le design et le commercial à l'instar de Nike ou Apple[19]. L'idée est de réduire les coûts de production en délocalisant en Asie et de créer de la richesse (recherche, design, commercial) en France. Mais le contexte français, n'est pas celui de la Silicon Valley. Le changement de cap se confronte à la crise des valeurs technologiques après l'explosion de la bulle internet. De plus, depuis 1975, la France s'est désindustrialisée bien davantage que ses concurrents européens[20]. En 2003, le groupe ne compte plus que 30 sites industriels et 58 000 salariés[21].
Fin 2006, il fusionne Alsthom avec Lucent. À son départ d'Alcatel-Lucent, en 2008, Serge Tchuruk laisse une entreprise totalement exsangue. Sa vision stratégique a vidé Alcatel de sa substance et détruira un groupe autrefois prospère et puissant[22].
Cette dégringolade se poursuivra, En 2012, Alcatel-Lucent sort du CAC40 où il figurait depuis 1987. Le cours de l'action est inférieur à 1 euro.
Son portefeuille de brevets a dû être gagé pour l'obtention d'un prêt et le centre de gravité du groupe s'est déplacé vers les États-Unis[23].
Polémiques sur la fusion avec Lucent
En 2005, Alcatel est inquiété par la justice américaine pour une affaire de corruption au Costa Rica, puis d’autres affaires en Amérique latine. Toutefois l'entreprise, devenue Alcatel Lucent, ne paiera que 137 millions de dollars d’amendes et Serge Tchuruk ne sera jamais inquiété. Pour des faits similaires, l'allemand Siemens eut à s'acquitter d'une amende de 800 millions de dollars. Cette différence de traitement pourrait s'inscrire dans la stratégie mise en place par les États-Unis depuis la fin de la guerre froide afin d'assurer leur suprématie économique, stratégie fondée principalement sur les pressions politiques et les contraintes juridiques qu’ils imposent à leurs rivaux. Alcatel pourrait avoir été incité à fusionner avec Lucent en 2006 pour éviter une sanction plus sévère[24],,[25].
Kerdellant, C. (2016). Ils se croyaient les meilleurs. Histoire des grandes erreurs de management. Éditions Denoël.
Chorafas, D. N. (2004). « Management and Mismanagement in the Telecommunications Industry ». In Rating Management’s Effectiveness (pp. 100-123). Palgrave Macmillan, London.
Chevallier, M. (2010). « De l'importance des usines ». Alternatives économiques, (2), 53-53.