« — Examinons donc ce point, et disons : « Dieu est, ou il n'est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison, vous ne pouvez défaire nul des deux.
Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n'en savez rien.
— Non ; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier.
— Oui, mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. (...). Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »
Selon Pascal, même dans l’hypothèse où nous n’aurions pas de raisons de croire que Dieu existe vraiment, nous aurions intérêt à y croire. En effet, si Dieu n’existe pas, le croyant et le non-croyant ne perdent presque rien. Par contre, si Dieu existe, le croyant gagne tout, c'est-à-dire le paradis tandis que le non-croyant va en enfer pour l'éternité. Il est donc plus avantageux de croire en Dieu[3],[2].
Présentation sous forme d'un tableau
Les gains et les pertes possibles peuvent aussi se représenter sous forme d'un tableau[iep 1],[sep 1]:
Si vous pariez sur l'existence de Dieu et que Dieu n'existe pas, vous expérimentez une perte (pour les athées, contraints de respecter une morale religieuse) ou un gain (pour les théistes, trouvant un réconfort dans la religion), dans les deux cas finis.
Si vous pariez sur l'existence de Dieu et que Dieu existe, votre gain est infini. Vous vivez un bonheur éternel au paradis.
Si vous pariez contre l'existence de Dieu et que Dieu n'existe pas vous obtenez une perte ou un gain fini inverse de celui du 1, selon qu'on est athée ou théiste.
Si vous pariez contre l'existence de Dieu et que Dieu existe, votre perte est infinie. Vous êtes enfermé pour l'éternité en enfer.
Dieu existe
Dieu n'existe pas
Vous pariez sur l'existence de Dieu
Vous allez au paradis = vous gagnez indéfiniment (+∞)
Vous retournez au néant = vous subissez une perte ou un gain fini (f1)
Vous pariez sur l'inexistence de Dieu
Vous brûlez en enfer = vous perdez indéfiniment (−∞)
Vous retournez au néant = vous obtenez un gain ou une perte finie (f2)
Critiques du pari
Le pari peut déplaire à Dieu
Il faut aussi considérer que l'avantage personnel est une raison de croire en Dieu qui peut se retourner contre le parieur. En effet, Dieu, étant par hypothèse omniscient, saura si le parieur a mené la vie d'un croyant par intérêt. Il est alors possible qu'il considère la motivation du parieur comme inadaptée et qu'il décide de le punir par la damnation éternelle plutôt que de le récompenser par la béatitude éternelle. Il faut cependant noter que Pascal avait conscience du problème et qu'il considérait son pari comme permettant de réaliser un premier pas vers une foi plus authentique. L'argument du pari avait pour but, non pas de convaincre le lecteur d'opter pour la religion chrétienne, mais plutôt d'occasionner en lui une prise de conscience afin qu'il se libère de l'emprise qu'ont sur lui ses habitudes terrestres[5].
Objection des dieux multiples
Pascal semble supposer qu'il n'existe qu'un seul Dieu, le Dieu catholique. Le problème semble être qu'il existe ou qu'il a existé de multiples conceptions de Dieu et que la probabilité de leur existence ne peut pas être négligée dans le cadre du pari. La question se pose alors de savoir comment on doit parier. Il semble à première vue rationnel de croire en tous les dieux. Mais cela est impossible car de nombreuses religions exigent justement de ne pas croire en d'autres dieux[2]. Diderot exprime succinctement l'argument en écrivant : « Pascal a dit: " Si votre religion est fausse, vous ne risquez rien à la croire vraie ; si elle est vraie, vous risquez tout à la croire fausse". Donc, si vous croyez vraie une religion qui est fausse, vous croyez fausses les autres dont une pourrait être vraie, le pari est donc toujours perdant et Pascal avait tort[6]. »
La croyance n'est pas un acte volontaire
Il peut être argumenté que croire ou ne pas croire ne sont pas des choix qui nous appartiennent. Il n'est pas certain qu'il soit possible d'adopter une croyance simplement parce que nous décidons de l'adopter. Si l'on nous offre 1 000 euros pour croire que le ciel est vert, il semble peu probable que nous puissions adopter cette croyance simplement car c'est dans notre intérêt. En conséquence, on pourrait argumenter que le pari de Pascal ne permet pas de nous motiver à croire en Dieu, car croire en Dieu n'est pas un acte volontaire[5].
Inversion du pari
Le marquis de Sade suggère d’inverser le pari. Dans le roman Eugénie de Franval, Franval préconise de ne pas faire l’éducation religieuse de sa fille :
« […] si on lui cache avec soin ces maximes, elle ne saurait être malheureuse; car si elles sont vraies, l’Être Suprême est trop juste pour la punir de son ignorance, et si elles sont fausses, quelle nécessité y a-t-il de lui en parler[7]? »
Jules Lachelier, « Notes sur le pari de Pascal » dans Du fondement de l'induction, Paris, Alcan, 1924, p. 175-208.
Jean Laporte, Le Cœur et la Raison chez Pascal, Paris, Elzévir, 1950.
Pierre Magnard, « Le Principe de similitude » dans Méthodes chez Pascal, actes du colloque tenu à Clermont-Ferrand, les 10-, Paris, PUF, 1979, p. 401-408.
Pierre Magnard, Pascal. La clé du chiffre, Mames, Presses universitaires, 1991.
Jean Mesnard, Blaise Pascal, l'homme et l'œuvre, Cahier de Royaumont, Philosophie n°1, Paris, Minuit, 1956.
Jean Orcibal, « Le fragment Infini-rien et ses sources », Études d'histoire et de littérature religieuse, Paris, Klincksieck, 1997, p. 357-383.
Martine Pécharmant, « Il faut parier, Locke ou Pascal », Les Études philosophiques, 2010, p. 479-516.
↑ ab et cAlan Hájek, The Stanford Encyclopedia of Philosophy, (lire en ligne)
↑ a et b(en) J. L. Mackie, The Miracle of Theism : Arguments for and Against the Existence of God, OUP Oxford, , 268 p. (ISBN978-0-19-824682-4, lire en ligne)