Après deux ans d'hésitation et d'échanges épistolaires passionnés durant lesquels, selon Lytton Strachey, « il n'y eut guère de moment où l'un ou l'autre ne fut pas sur le point de rompre définitivement[6] », elle s'enfuit avec Sir Edward Wortley-Montagu, MP (1678–1761)[7], petit-fils du 1er comte de Sandwich, qu'elle épousa en 1712 malgré l'opposition de son père.
Voyage dans l'Empire Ottoman
Sir Edward fut nommé ambassadeur britannique auprès de l'Empire ottoman en 1716. Comme elle avait eu la variole, dont elle avait gardé des séquelles, et qu'elle se sentait fiévreuse à la suite de la naissance de leur premier enfant, elle décida de l'accompagner, espérant qu'un changement de climat lui ferait du bien. Le fait n’avait rien de nouveau, l'ambassadeur britannique à Constantinople étant le plus souvent accompagné de son épouse et de leurs enfants depuis le début du XVIIe siècle[8]. Ils passèrent par Rotterdam, d'autres parties des Pays-Bas, le Saint-Empire dont Vienne, puis Andrinople pour enfin atteindre Istanbul, un an après être partis de Londres. Ils séjournèrent à Péra pendant 18 mois.
À cette occasion, Lady Mary développa d'importants échanges épistolaires qui furent publiés pour la première fois en 1763 sous forme de recueil intitulé The Turkish Embassy Letters. Sa position exceptionnelle de femme voyageuse, ainsi que de personne désintéressée lui permis de se rapprocher des femmes ottomanes et de celles présentes dans les sérails. Elle fit une description sans jugement de leur mode de vie qui renouvela le regard occidental sur ces populations par rapport aux récits précédents majoritairement masculins[9].
À son retour à Londres où sévissait une épidémie de variole, Lady Mary fit varioliser sa fille âgée de 3 ans par le même docteur en présence de médecins de la Cour royale, le . Lady Mary joua ainsi un rôle important dans la lutte contre la variole et le développement de la variolisation[13],[14].
Voyages en Europe
Son mariage avec Sir Edward Wortley-Montagu se révéla finalement un échec et les deux amants se détachèrent progressivement, jusqu'à « une indifférence presque absolue[6] ». En 1738, elle fit la connaissance d'un poète et dandy italien, le comteFrancesco Algarotti, dont elle tomba amoureuse, entrant alors en compétition avec le 2e baron Hervey pour l'amour du comte Algarotti[15], lui-même bisexuel[15]. Elle quitta la Grande-Bretagne l'année suivante pour Venise, prétextant à nouveau qu'un changement de climat lui ferait du bien. En fait, elle espérait rejoindre Algarotti qui réussit à l'éviter pendant deux ans, lui préférant lord Hervey. Elle visita la France, les États pontificaux, Rome et Naples depuis Venise où elle s'était installée dans un palais qu'elle louait sur le Grand Canal. Lorsqu'elle retrouva enfin Algarotti alors qu'ils étaient tous deux en mission diplomatique à Turin, sa déception fut grande et elle partit pour Avignon, en passant par Genève.
En Avignon, elle vécut dans un moulin transformé en habitation. Elle resta encore vingt-deux ans éloignée de la Grande-Bretagne : elle vécut à Brescia, Venise à nouveau et Padoue, toujours accompagnée. Elle recevait aussi beaucoup. Lui rendre visite était souvent une étape obligatoire et des plus agréables sur la route du Grand Tour. Elle fut donc très bien accueillie à son retour à Londres après la mort de son mari en 1762 mais mourut d'un cancer la même année.
Publication de ses écrits
En 1761, elle avait pris contact avec le révérend Benjamin Sowden, qui vivait à Rotterdam, elle lui remit le manuscrit révisé de ses souvenirs à Istanbul et le chargea de le publier ; ce texte avait circulé jusqu'alors dans un cercle restreint d'amis. La souci de la réputation de sa fille qui vivait avec son mari le comte de Bute, le nouveau Premier Ministre, rendait impossible une publication de son vivant et encore moins sous son nom. Le texte parut anonymement juste après sa mort en 1763, sous la forme de lettres. Intitulé Letters of the Right Honourable Lady M--y W---y M----e, during her Travels in Europe, Asia and Africa, To Persons of Distinction, Men of Letters &c. in different Parts of Europe. Which contain, ... Accounts of the Policy and Manners of the Turks, Drawn from Sources that have been inaccessible to other Travellers, connu sous le titre générique de Turkish Letters, cet ouvrage est une source inestimable sur les femmes dans l'Empire ottoman au XVIIIe siècle. En effet, en tant que femme, elle put avoir accès à des lieux interdits aux hommes : harems ou bains par exemple ; plus généralement, elle eut de véritables contacts avec les Ottomanes[16].
Œuvres
Les œuvres de Mary Wortley Montagu sont régulièrement rééditées, la liste qui suit observe les dates des éditions récentes.
(en-GB) The Complete Letters of Lady Mary Wortley Montagu: Vol 1: 1708-20, Oxford University Press, USA, , 518 p. (ISBN9780198114468),
(en-GB) Selected Letters, Penguin Classics, 1 janvier 1970, rééd., 1986, 1997, 324 p. (ISBN9780140434903, lire en ligne),
(en-GB) The Turkish Embassy Letters, Virago, 1 janvier 1971, rééd. 27 janvier 1994, 256 p. (ISBN9781853816796),
(en-GB) The Letters and Works of Lady Mary Wortley Montagu, BiblioLife, 2006, rééd. 21 septembre 2009, 486 p. (ISBN9781115285872),
(en-GB) Life on the Golden Horn, Penguin Books Ltd, , 119 p. (ISBN9780141025421),
Ses Turkish Letters publiées en 1763, ont toujours été rééditées depuis, notamment en français sous le titre "L'islam au péril des femmes, Une Anglaise en Turquie au XVIIIe siècle"[17].
(en-GB) George Paston, Lady Mary Wortley Montagu and Her Times (réimpr. 4 février 2010, éd. Nabu Press) (1re éd. 1907, éd. Putnam), 627 p. (ISBN9781143707865, lire en ligne),
(en-GB) Iris Barry, Portrait of Lady Mary Wortley Montagu, Londres, Ernest Benn Ltd, , 320 p. (OCLC758738955, lire en ligne),
(en-GB) Joseph Walter Cover, The admirable Lady Mary; the life and times of Lady Mary Wortley Montagu, Londres, New York, Dent (Londres), Morrow (New York), , 302 p. (lire en ligne),
(en-GB) Robert Halsband, The Life of Lady Mary Wortley Montagu, Oxford, Oxford University Press, , 372 p. (OCLC1082940032, lire en ligne),
(en-GB) Isobel Grundy, Lady Mary Wortley Montagu, Oxford University Press, USA, 1999, rééd. 24 mai 2001, 722 p. (ISBN9780198187653, lire en ligne),
Articles
(en-GB) Robert Halsband, « New Light on Lady Mary Wortley Montagu's Contribution to Inoculation », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences , Vol. 8, No. 4, , p. 390-405 (16 pages) (lire en ligne),
(en-GB) Robert Halsband, « Lady Mary Wortley Montagu as Letter-Writer », PMLA, Vol. 80, No. 3, , p. 155-163 (9 pages) (lire en ligne),
(en-US) Elizabeth Warnock Fernea, « An Early Ethnographer of Middle Eastern Women: Lady Mary Wortley Montagu (1689-1762) », Journal of Near Eastern Studies, Vol. 40, No. 4, , p. 329-338 (10 pages) (lire en ligne),
(en-US) Srinivas Aravamudan, « Lady Mary Wortley Montagu in the Hammam: Masquerade, Womanliness, and Levantinization », ELH, Vol. 62, No. 1, , p. 69-104 (36 pages) (lire en ligne),
(en-US) Sandra Sherman, « Instructing the "Empire of Beauty": Lady Mary Worthy Montagu and the Politics of Female Rationality », South Atlantic Review, Vol. 60, No. 4, , p. 1-26 (26 pages) (lire en ligne),
(en-GB) Anna Secor, « Orientalism, gender and class in Lady Mary Wortley Montagu's "Turkish Embassy Letters: to persons of distinction, men of letters & c." », Ecumene, Vol. 6, No. 4, , p. 375-398 (24 pages) (lire en ligne),
(en-US) Alison Winch, « 'in plain English, stark naked': "Orlando", Lady Mary Wortley Montagu and Reclaiming Sapphic Connections », Critical Survey, Vol. 19, No. 1, , p. 51-61 (11 pages) (lire en ligne),
(en-US) Denys van Renen, « Montagu's Letters from the Levant: Contesting the Borders of European Selfhood », Journal for Early Modern Cultural Studies, Vol. 11, No. 2, , p. 1-34 (34 pages) (lire en ligne),
(en-US) Helen Deutsch, « "This once was me": Lady Mary Wortley Montagu's Ecstatic Poetics », The Eighteenth Century, Vol. 53, No. 3, , p. 331-355 (25 pages) (lire en ligne),
(en-US) Diana Barnes, « The Public Life of a Woman of Wit and Quality: Lady Mary Wortley Montagu and the Vogue for Smallpox Inoculation », Feminist Studies, Vol. 38, No. 2, , p. 330-362 (33 pages) (lire en ligne),
(en-US) Elizabeth Kelley Bowman, « The Poet as Translator: Mary Wortley Montagu Approaches the Turkish Lyric », Comparative Literature Studies, Vol. 50, No. 2, , p. 244-261 (18 pages) (lire en ligne),
(en-US) Rae Ann Merriweather, « Transculturation and Politics in the Works of Lady Mary Wortley Montagu », Studies in English Literature, 1500-1900, Vol. 53, No. 3, , p. 623-641 (19 pages) (lire en ligne),
Représentations dans les arts
Charles Jervas réalise le Portrait de Lady Mary Wortley Montagu en pied avec turban et babouches, après 1716 (National Gallery of Ireland) mais aussi un simple portrait (1717).
Jean-Baptiste van Mour peint une grande composition représentant Lady Mary Wortley Montagu with her son, Edward Wortley Montagu, and attendants, en 1717 (National Portrait Gallery à Londres).
Jonathan Richardson le Jeune, Portrait de Lady Mary Wortley Montagu, vers 1725.
↑(en) Geoffrey R. Berridge, British Diplomacy in Turkey, 1583 to the present, Leyde, Martinus Nijhoff, 2009, (ISBN978-9-04742-983-8), p. 37 lire en ligne
↑Justine Dupouy, « Les lettres de Lady Mary Wortley Montagu : traces d’une vie de voyages », dans La lettre trace du voyage à l’époque moderne et contemporaine, Presses universitaires de Paris Nanterre, coll. « Chemins croisés », , 43–62 p. (ISBN978-2-84016-448-7, lire en ligne)
↑Dictionnaire de l'Empire ottoman Fayard 2015 p. 744
↑Catriona Seth, Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole, Paris, Desjonquères, 2008.
↑Lise Barnéoud, Immunisés ? ed. Premier Parallèle, 2017, page 28
↑ a et b(en) Roger Lonsdale, Roger H. Lonsdale, Eighteenth Century Women Poets: An Oxford Anthology, Oxford University Press (1990), p. 55
↑Robert Halsband, The Life of Lady Mary Wortley Montagu, Londres, Oxford University Press, 1961, p. 288-289.
↑Lady Mary MONTAGU, L'islam au péril des femmes. Une Anglaise en Turquie au XVIIIe siècle, Paris, La Découverte Poches / Essais, , 266 p. (ISBN9782707134967, lire en ligne)
↑Cf. Camille Garnier, « La Femme n'est pas inférieure à l'homme (1750) : œuvre de Madeleine Darsant de Puisieux ou simple traduction française ? », Revue d'histoire littéraire de la France, 4, Paris, Armand Colin, 1987, p. 709-713 (en ligne) ; Sophie Loussouarn, « La revendication féminine dans Woman Not Inferior to Man (1739) », dans XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, 47, 1998, p. 215-228 (en ligne).