Dans son œuvre la mieux connue, Au nom de tous les miens (1971), il décrit une partie de sa vie et notamment le drame d'avoir perdu à deux reprises toute sa famille, d'abord dans les camps d'extermination nazis, puis dans l'incendie de sa maison dans le sud de la France. Ses mémoires, rédigées avec l'aide de l'historien et romancier français Max Gallo, ont fait l'objet d'une controverse en raison de la façon dont sont mêlées réalité et fiction.
Biographie
Seconde Guerre mondiale
Le , les nazis allemands envahissent la Pologne. Martin Gray a alors dix-sept ans[3]. Né d'un père gantier et d'une famille juive, il est transféré avec ses proches dans le ghetto de Varsovie[4]. Pour franchir les murs du ghetto de Varsovie où son père travaille au Judenrat, il soudoie des soldats nazis, des gardes polonais et des hommes du Jüdischer Ordnungsdienst (police juive du ghetto). Il devient ainsi un contrebandier. Plusieurs fois par jour, il fait des aller-retours pour rapporter de la nourriture dans le ghetto grâce aux tramways. Lors d'une rafle son père est arrêté pour être déporté. Grâce à ses connaissances Martin lui sauve la vie en l'aidant à s'échapper.
Dans son autobiographie « Au nom de tous les miens », il est raconté qu'il se livre pour accompagner sa mère et ses deux frères, déportés à Treblinka et que là-bas, sa mère et ses frères sont exterminés tandis qu'il est affecté dans divers kommandos, dont les sonderkommandos (chargés d'extraire les corps des chambres à gaz). Il a admis que cette partie était vraisemblablement une invention de son prête-plume, Max Gallo. Résumant les avis de plusieurs historiens, Sue Vice déclare[5]:
« Bien que Gray ait effectivement vécu dans le ghetto de Varsovie et que les membres de sa famille aient effectivement été déportés à Treblinka où ils ont été tués, Gray lui-même n'y a pas été emmené. Il semblerait que Gray ait plutôt quitté le ghetto et vécu avec de faux papiers dans la partie aryenne de Varsovie. »
À son retour à Varsovie, il retrouve son père, qu'il croyait mort, et fait désormais partie de la résistance militaire[4]. Cependant, quelques jours plus tard, lors de l'insurrection du ghetto, son père sera abattu devant ses yeux, parmi un groupe de juifs qui s'étaient jetés sur des SS après s'être rendus[6].
Il rejoint ensuite les partisans, puis l'Armée rouge, au sein de laquelle il finit la guerre, et marche sur Berlin le . Il est lieutenant du NKVD (ancêtre du KGB).
Son chef lui dit : « Trouve-nous les NSZ [résistants polonais anticommunistes], les mouchards, ceux qui t'ont dénoncé, les collaborateurs » et « ceux qui ne nous aiment pas »« Il faut d'abord nettoyer nos arrières ». Martin Gray accepte, la mort dans l'âme, dit-il[7], mais il dit aussi avoir cherché à utiliser ses fonctions pour se venger. « Il m'a affecté dans une unité de la N.K.V.D. qui suivait immédiatement les troupes de première ligne et s'installait derrière les batteries de fusées, nettoyant le pays occupé de ses éléments suspects. […] je connaissais les NSZ, j'étais Juif, avec une dette personnelle à faire payer[8]. » Dans les prisons, il recherche des policiers polonais du temps de son marché noir dans le ghetto, notamment un qui avait refusé de « jouer », c'est-à-dire de fermer les yeux contre rétribution[8].
Quand un collaborateur des nazis est circoncis, il le fait relâcher[9]. Ses fonctions suivantes dans le NKVD consistent à faire avouer à des garçons du Werwolf qu'ils ont « juré de combattre par tous les moyens les ennemis du Führer, même après la capitulation » : « l'Armée rouge était l'armée des interrogatoires. Mais ici des hommes qui étaient encore des enfants risquaient leur vie ». « […] tous avaient prêté serment de fidélité absolue au Führer, tous étaient entrés volontairement dans le Werwolf, tous s'étaient engagés à la résistance, tous étaient des criminels de guerre et tous étaient innocents[10] ». Pour lui, ces garçons de Berlin étaient innocents, comme le montre ce qu'il dit de cas semblables qu'il rencontra dans d'autres localités : « là les prisons étaient pleines de jeunes du Werwolf, innocents comme ceux de Berlin »[11]. Il a l'impression de se retrouver dans le camp des bourreaux[11].
Après la guerre, il décide d'aller rejoindre sa grand-mère maternelle à New York en 1947.
Il fait fortune en vendant à des antiquaires américains des copies de porcelaines et de lustres qu'il fait fabriquer en Europe[14]. Certains critiques relevèrent sévèrement le fait que Martin Gray, d'après le livre même dont il était coauteur avec Max Gallo, ait vendu, directement aux acheteurs finaux dans un magasin d'antiquités à lui et indirectement via d'autres antiquaires, des copies d'objets anciens qu'il fabriquait lui-même ou faisait fabriquer. Pierre Vidal-Naquet, qui avait d'abord avalisé ces critiques, écrivit ensuite : « Enfin, si M. Martin Gray peut à juste titre se plaindre d'être présenté comme un marchand de fausses antiquités alors que les documents qu'il m'a montrés établissent qu'il ne dissimulait pas le caractère récent des objets qu'il vendait, il ne peut que s'en prendre à M. Max Gallo, qui le présente effectivement comme fabricant et faisant fabriquer des “antiquités”[15]. » Pourtant, en 2006, une nouvelle édition de langue anglaise d'Au nom de tous les miens reproduit un avant-propos, écrit en 1971, où David Douglas Duncan, ami de Martin Gray, évoquait « ce sourire de petit garçon quand il avouait avoir produit en masse des lustres de haute époque dans la cave de son magasin d'antiquités de la IIIe Avenue. » Dans un nouvel avant-propos à cette même édition, on lit : « Bien que Martin admette qu'il a parfois donné un coup de pouce quand il mettait sur pied son commerce d'antiquités (...)[16] ».
Il est naturalisé citoyen américain en 1952[17] et devient Martin Gray[18]. Il rencontre Dina Cult, jeune mannequin américaine d'origine hollandaise[4], et l'épouse en 1959. Ils s'installent dans le sud-est de la France, à Tanneron, non loin de Mandelieu.
Le il perd son épouse et ses quatre enfants dans l'incendie du Tanneron[19]. Au bord du suicide[20], il déclare avoir décidé de lutter pour devenir un témoin et trouver encore une fois la force de survivre[21], l'écriture devenant alors, d'après lui, une thérapie.
Depuis lors, Martin Gray, remarié deux fois, est père de cinq autres enfants (Barbara, Larissa, Jonathan, Grégory et Tom)[22].
À partir de 2005 il habite à Cannes[24]. En 2012 il s'installe à Ciney dans le Condroz belge où il est fait citoyen d'honneur le [25],[26]. Il est retrouvé mort à son domicile, dans sa piscine, dans la nuit du 24 au , deux jours avant son 94e anniversaire[4].
Activités philanthropiques
Fondation Dina Gray
S'attachant à faire vivre le souvenir des siens, il crée la fondation Dina Gray[27] à vocation écologique, chargée de lutter contre les incendies de forêts et pour la protection de l'Homme à travers son cadre de vie. À l'automne 1971, la Fondation lance la campagne « Un arbre un enfant »[4].
Il a été également membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence[28].
Écrivain
Malgré une douzaine d'ouvrages publiés[30], Martin Gray dit ne pas se considérer lui-même comme écrivain, mais plutôt comme un témoin. « Je n'écris pas, je crie », affirme-t-il dans une interview en 2004[31].
Ses livres sont au service de ses activités philanthropiques, comme le montre la préface de Max Gallo à Au nom de tous les miens : « Martin Gray voulait dire sa vie. Parce que, pour les siens disparus, pour lui-même, pour sa fondation, il avait besoin de parler, besoin qu'on sache[32]. » À la sortie d'Au nom de tous les miens, la Shoah est encore peu médiatisée, et le livre publié chez Robert Laffont connaît un franc succès. Il est par la suite traduit en 26 langues[4]. Il fait l'objet d'une adaptation cinématographique sous le même titre par Robert Enrico en 1983.
Une controverse existe au sujet de la véracité d’Au nom de tous les miens. Gitta Sereny[33] accuse Gray et Max Gallo d'avoir inventé le séjour de Gray à Treblinka. Pierre Vidal-Naquet, après avoir d'abord emboîté le pas à Gitta Sereny, s'est laissé convaincre par des attestations fournies par Martin Gray et a retiré ses accusations contre lui, mais a continué à reprocher à Max Gallo d'avoir pris des libertés avec la vérité[34],[4].
En 2010, Alexandre Prstojevic[35], universitaire spécialiste de littérature, mentionne dans une même phrase les livres de Martin Gray, de Jean-François Steiner et de Misha Defonseca comme exemples de récits « qui ont tous en commun de laisser planer un doute sur l'identité de leurs auteurs et la réalité de leur présence durant les événements relatés[36] ».
(en) For Those I Loved (trad. de Anthony White, 1972, puis de Anne-Marie Dujany, 2006) ; 2006, Hampton Roads Publishing Company, Inc. 432 p. (ISBN1-5717-4527-0 et 978-1-5717-4527-9)
(en) A Book of Life: To Find Happiness, Courage and Hope (trad. de Michael Roloff) : 1975, Seabury Press, 213 p, (ISBN0-8164-9225-5 et 978-0-8164-9225-1)
↑Sue Vice, « Translating the Self: False Holocaust Testimony », Translation and Literature, vol. 23, no 2, , p. 197–209 (ISSN0968-1361, lire en ligne, consulté le )
↑Martin Gray et Max Gallo, Au nom de tous les miens, Paris, éditions Robert Laffont, (réimpr. 1998 (Pocket)), p. 226-227.
↑Martin Gray, Au nom de tous les miens, éd. Pocket, 1998, p. 253.
↑ a et bMartin Gray, Au nom de tous les miens, éd. Pocket, 1998, p. 258.
↑Martin Gray, Au nom de tous les miens, éd. Pocket, 1998, p. 266.
↑Martin Gray, Au nom de tous les miens, éd. Pocket, 1998, p. 274, 280-281.
↑ a et bMartin Gray, Au nom de tous les miens, Le Livre de Poche, p. 328 ; éd. Pocket, 1998, p. 280-281.
↑Martin Gray et Max Gallo, Au nom de tous les miens, Paris, éditions Robert Laffont, (réimpr. 1998 (Pocket)).
↑Martin Gray et Max Gallo, Au nom de tous les miens, Paris, éditions Robert Laffont, (réimpr. 1998 (Pocket)), p. 327-329 et 332.
↑Pierre Vidal-Naquet, « Une lettre de M. Vidal-Naquet. Martin Gray et le camp de Treblinka. », Le Monde, 29/30 janvier 1984, p. 11.
↑Martin Gray, For Those I Loved, 35th Anniversary Expanded Edition, Hampton Roads, 2006, Foreword de David Douglas Duncan (1971), p. xiii, et Foreword de William R. Forschen (2006), p. xii.
↑Martin Gray et Max Gallo, Au nom de tous les miens, Paris, éditions Robert Laffont, (réimpr. 1998 (Pocket)), p. 168 :
« Et j'ai voulu arracher à un gendarme ce revolver qui ferait taire les hurlements en moi [...]. Je ne me suis pas tué. J'ai voulu. je n'ai pas pu : on a veillé sur moi. [...] »
↑Martin Gray et Max Gallo, Au nom de tous les miens, Paris, éditions Robert Laffont, (réimpr. 1998 (Pocket)), p. 170 :
« [...] Mais j'avais renoncé au suicide, il me fallait donc vivre jusqu'au bout. »
« [...] Je ne veux pas que Dina, mes enfants soient morts pour rien, je ne veux pas qu'on les oublie, je veux que leur avenir soit de mettre en garde, de sauver. Tel est mon combat. »
« [...] Vivre, jusqu'au bout, [...] pour rendre ma mort, la mort des miens impossible, pour que toujours, tant que dureront les hommes, il y ait l'un d'eux qui parle et qui témoigne au nom de tous les miens. »
↑Alexandre Prstojevic, « Faux en miroir : fiction du témoignage et sa réception », Témoigner. Entre histoire et mémoire, no 106, dossier « Faux témoins », 2010, p. 23-37, ce passage p. 23.