Dès son plus jeune âge, Ludovic Janssen montre déjà un talent et une envie de dessiner. En grandissant, il conserve cette idée fixe, le dessin. Un compromis est négocié avec son père, qui voulait l'inscrire à l'École de Commerce[5], et qui permet à Ludovic d'assister à des cours du soir à l'Académie royale des beaux-arts de Liège tout en suppléant ses parents dans l'entreprise familiale. Malheureusement, il est renvoyé après six mois d'étude à l'Académie à la suite d'un incident avec un professeur, en raison de sa vue déficiente[2],[4],[5]. Renvoi considéré injuste et abusif par Marcel L'Épinois[2],[4].
Première Guerre mondiale et début de carrière artistique (1914-1920)
Dès le début de la Première Guerre mondiale, son père tombe gravement malade et Ludovic s'improvise infirmier pendant presque trois ans, jusqu'au décès de son père[4]. À la suite de l'inactivité totale du commerce familial pendant la guerre, il doit prendre à son compte un lourd passif au lendemain de la mort de son père. Il liquide les collections familiales et accepte toute sorte de besognes épuisantes et obscures afin de rembourser la dette et d'assurer les soins quotidiens de sa mère et sa tante[4].
Durant cette même période, il s'initie à la gravure dans l'Atelier Libre de François Maréchal[4]. Cependant, il trouve difficile à tolérer les acides utilisés et ne pratiquera jamais pleinement l'art de l'eau-forte[2]. Seules quelques gravures de lui sont connues[4].
Ludovic Janssen rencontre Louise Filiaert en 1917, et il l'épouse le 16 décembre de cette même année[4]. Pour subvenir au besoin du couple, il relance le commerce familial de décoration du quai sur-Meuse. Néanmoins, il continue en parallèle son activité comme artiste peintre, et sur les conseils d'Évariste Carpentier, envoie une toile au grand Salon de Printemps. Le tableau y est bien reçu et, surtout, vendu à huit cents francs. Il continue à peindre et à exposer avec succès critique et pécuniaire, ce qui sauve le couple en 1920 quand le commerce de décoration est compromis à la suite d'une loi qui ouvre la frontière aux papiers peints allemands. Le commerce de décoration et papiers peints est liquidé de façon définitive peu après[4].
Ludovic Janssen le « peintre de la Campine » (1920-1940)
Après quelques années, la maison parentale du quai sur-Meuse est vendue et le couple construit une nouvelle maison, avec un studio spacieux, rue des Églantiers. La carrière de Ludovic Janssen prend de l'ampleur. Il expose à plusieurs reprises à Liège, notamment au cercle d'art Art et Bienfaisance et à la galerie d'art du Journal de Liège. Lors de l'exposition à la galerie d'art du Journal de Liège en 1920, il présente pour la première fois un lot important de toiles de la Campine. Il vend quarante-huit des cinquante toiles exposées en huit jours[4].
En novembre 1921, il présente dans la même galerie une nouvelle exposition. L'État belge y acquiert l'œuvre Mélancolie d'un Soir, peinte dans les environs de Genk, pour le Ministère de la Justice. Les expositions se succèdent les années qui suivent: Liège, Spa, Huy, Verviers, Bruxelles et même Paris en décembre 1926[4]. Lors de cette dernière exposition, il n'a montré que des paysages de la Campine, une trentaine en tout. Seize œuvres trouvent preneur. Le tableau Matinée de Printemps, une vue des marais de Staelen à Genk, a été acheté par le directeur général des Beaux-Arts de l'époque, Paul Léon, au nom de l'État français[4].
Ludovic Janssen reçoit le titre honorifique de « peintre de la Campine »[4],[9], et est fait chevalier de l'Ordre de la Couronne en avril 1927[4]. Sa vie privée évolue aussi avec la naissance de son fils, qui porte le nom du père de Ludovic, Louis. Sous le pseudonyme de « Loujan », Louis Janssen (1921-1999) développera lui aussi une carrière d'artiste.
Pour alimenter le nombre grandissant d'expositions, l'artiste travaille sans relâche, et en arrive au surmenage en novembre 1929. Souffrant d'hémoptysie, il est envoyé en Haute-Savoie pendant deux ans avec ordre de garder un repos absolu[4]. Guéri, il reprend son activité en novembre 1931 avec une exposition à la galerie Appolo à Liège.
Lors de son exposition à la galerie d'art La Toison d'or en novembre 1934 à Bruxelles, l'État belge acquiert son tableau Octobre pour le Ministère de l'Agriculture. En 1938, l'État belge lui achète cette fois-ci l'œuvre Solitude, qui a été présentée au salon de L'Art Wallon Contemporain cette même année. Il expose une toile représentant un vaste panorama de Liège en 1939 dans le Palais du Tourisme de l'Exposition Internationale de l'Eau[4].
Seconde Guerre mondiale et dernières années (1940-1954)
Il est professeur à l'Académie royale des beaux-arts de Liège[6],[7], et il prend la tête de l'Atelier Libre en 1941[6],[7]. Il réalise plusieurs expositions à Hasselt dans le Limbourg: à la Hooghuis en janvier 1949, à la Stadszaal sur Maastrichterstraat en novembre 1950, et à la galerie Artes en novembre 1952. Il est également nommé chevalier de l'Ordre de Léopold en avril 1947 puis officier d'Académie (France) le 29 octobre 1951.
Peintre paysagiste avant tout, il ne pouvait véritablement ressentir et capturer l'atmosphère d'un paysage qu'en y étant présent[8]. Il passe donc de façon régulière plusieurs semaines loin de son studio et de sa famille, dans des conditions climatiques souvent défavorables et privé du moindre confort[4]. Les lieux où il peint sur le motif s'étoffent progressivement. Il n'a pas seulement immortalisé la Campine limbourgeoise[10], il a également peint des dizaines d'autres régions et paysages.
S'il ne quittera jamais définitivement la Campine, il se rend aussi dans les Ardennes, l'Eifel, la vallée de la Ruhr et du Geer pour peindre. Il représente aussi dans ses toiles des scènes de pêche et des vues portuaires sur la côte, à Zeebruges, Blankenberghe et Ostende. Les rues, les ponts et les canaux de Bruges et de Tongres ont également été visités et peints par l'artiste. Plus tard dans sa carrière, l'Escaut, près d'Anvers, prend une place importante dans son œuvre. Il séjourne également en Italie et en France, notamment en Bretagne, Provence, Auvergne, Haute-Savoie et Camargue. Il plante aussi régulièrement son chevalet aux Pays-Bas[4],[5].
Quelques sujets habituels apparaissent dans la majorité de ses toiles de la Campine; des marécages bourbeux, des étangs, une végétation pauvre parsemée de roseaux, des forêts de pins, des chemins détrempés, des bouleaux enfièvrés sous le vent et de grands cieux lourds. Malgré le fait qu'il peint souvent les mêmes saisons (printemps et automne) et les mêmes thèmes, il existe une grande diversité dans son œuvre. En changeant l'usage de la couleur et la technique utilisée, en modifiant les effets de la lumière et les points de vue, il a su apporter de la diversité dans un paysage morne et sombre[4],[5],[9].
En plus de ses paysages, l'artiste a peint et dessiné en diverses occasions le personnage de Don Quichotte, accompagné du fidèle Sancho Pança. Il l'apprécie pour son courage, sa générosité, sa naïveté. Il a su pénétré l'essence de ce personnage, en saisir le caractère. Il a aussi réalisé de nombreux dessins humoristiques, ainsi que des dessins de scènes de vie quotidiennes (banquets et fêtes locales entre autres)[4].
D'autre part, Ludovic Janssen peint plusieurs fois en Campine et en Bretagne avec Irène Barsin (1907-2004). Les conseils qu'il lui prodigue signifient qu'elle peut être considérée comme une de ses disciples. D'autres artistes qu'il a accompagné ou certainement aidé sont Jos van Maeckelberge (1880-1937), Prosper De Pauw (1901-1932) et Léo Libert (1908-1950). En plus d'une affinité stylistique, on retrouve des similitudes dans le choix des thèmes abordés.
Expositions
En plus des expositions listées, il a exposé de 1913 à 1954 au Cercle royal des Beaux-Arts de Liège[8].
1924 : Galerie d'art du Journal de Liège, décembre 1923 - janvier 1924, Liège[4].
1925 : Galerie Le Salonnet, janvier, Bruxelles ; Galerie d'art du Journal de Liège, mars, Liège[4] ; Galerie d'art du Journal de Liège, novembre, Liège[4].
1931 : Galerie d'art Appolo, novembre, Liège[4] ; Salon Quadriennal (il participe avec le dessin Le rêve de Don Quichotte), Liège[4].
1932 : Salon d'Art wallon contemporain, du 30 avril au 31 mai, Palais des Beaux-Arts, Liège[16] ; Galerie d'art Lutétia, novembre, Liège[4].
1933 : Salon Quadriennal (il participe avec l'œuvre Au Pays d'Uylenspiegel), Gand (Flandre-Orientale)[4] ; Le Visage de Liège, du 23 septembre au 23 octobre, Palais des Beaux-Arts, Liège[16].
1964 : 125e anniversaire de l'Académie royale des Beaux‑Arts, du 11 avril au 10 mai, Musée des Beaux-Arts, Liège[15].
1980 : Affiches de l'imprimerie Bénard. Collection du Musée de la Vie wallonne, Liège, du 24 avril au 22 mai 1980, Belgisches Haus, Cologne[11] .
1988 : Rétrospective Ludovic Janssen, Cercle royal des Beaux-Arts, Liège[6].
1992 : Le Cercle royal des Beaux-Arts de Liège 1892-1992, du 18 septembre au 20 avril 1993, Cercle royal des Beaux-Arts, Liège[8].
2011 : Atelier d'artistes... disparus, du 29 octobre au 27 novembre, Rue Saint Léonard 315, Liège[17].
2012 : À la Recherche des Verviétois, du 1er au 30 décembre, Place du Sablon 79, Dison[18].
2013 : À Botrange, du 18 mai au 16 juin, Route de Botrange 131, Robertville[19] ; L'École liégeoise du paysage à Saint-Hubert, du 22 octobre au 8 novembre, Place de l'Abbaye 12, Saint-Hubert[20].
2014 : Chefs-d'œuvre de "Petits Maîtres", du 1er février au 2 mars, Rue Henri Vieuxtemps 13, Liège[21].
2019 : Logne autrefois. Sur les traces d’Évariste Carpentier et de l’École liégeoise du paysage, du 22 juillet au 31 août, Musée du château fort de Logne, Liège[22].
2021 : Paysages de Campine, du 3 au 29 août, Chapelle des Sépulcrines - Rue du Collège 31, Visé[23].
2022 : Une journée à Bütgenbach, du 2 au 26 avril, Hof Bütgenbach - Zum Walkerstal 15, Butgenbach[24] ; Sur les pas de saint Hubert, du 22 octobre au 13 novembre, Place de l'Abbaye 6, Saint-Hubert[25].
Il est également membre du jury de nombreux prix : Prix Donnay, Prix Marie, Prix Triennaux, Prix de l'Effort, Prix Gustave Halbart, Prix Watteau[2].
Réception critique
« [...] On a là, devant les yeux, un édifiant spectacle où se marque, avec un caractère très net, l'aspect essentiel d'un art aristocratique et châtié, d'un art servi par un sentiment poétique exquis, une poétique toute personnelle, une main très experte, un sens extrêmement précis de l'achevé. Exceptionnellement doué et d'un sentiment poétique qui conquiert tout de suite et retient la sympathie, Ludovic Janssen apparaît comme un tempérament épris des charmes de la nature et, en particulier, de ceux qu'elle dégage à certaines heures, à celles qui portent à la méditation, à la mélancolie. »[4]
— Adolphe Hardy, dans Le Journal de Bruxelles (au sujet de l'exposition de Ludovic Janssen à la Galerie d'Art en novembre 1923 à Bruxelles)
« Janssen expose chez Petit une trentaine d'œuvres où l'on retrouve la sensibilité rêveuse de la plupart des peintres du terroir wallon. Sa mise en page est remarquable. C'est un coloriste, mais dont la vision n'a rien de la truculence, de l'exaspération des flamands. Des eaux calmes reflétant des ciels immobiles, une vaste solitude, il n'en faut pas davantage à M. Ludovic Janssen pour extérioriser un tempérament des plus joliment poétiques qui soient. »[4]
« Voici un peintre et de qualité rare. Sa vision, d'une lucidité parfaite, se révèle directe et précise, franche, assez dépouillée d'accessoires sans être toutefois trop synthétique. Il voit le paysage, le site, jamais le motif, dans son caractère foncier; et ses réalisations directes, vibrantes de chaude vie, attestent la vivacité et la profondeur de ses impressions. Il est du pays des grandes plaines flamandes, sur lesquelles courent les mouvantes harmonies des grands ciels. Ses terrains sont peu meublés ; un bord de marais, une montée nue de terrains, quelques arbres à l'orée d'un bois, dans les moments colorés de l'automne, et cela lui suffit pour exprimer avec force et émotion son amour sauvage de la terre et des grands espaces. Poète fortement enraciné à son sol, il lève aussi les yeux vers son ciel pour y voir passer des images. »[4]
— Le Journal des Arts (au sujet de l'exposition de Ludovic Janssen à la Galerie Georges Petit en décembre 1926 à Paris)
« Ludovic Janssen s'est consacré presque uniquement à la difficile Campine et surtout à ses marais. La partie n'est pas aisée : autant cette plaine d'une ligne générale très sobre conduit naturellement à la simplification du dessin, autant la diaprure du sol, la mobilité nuancée du ciel séduisent le coloriste et contrecarrent ses désirs de synthèse. Mais rien ne décourage la patiente conquête de l'artiste qui atteint de plus en plus à l'équilibre de la ligne et du ton. »[9]
↑ abcdefghijklm et nWilly Bada, Ludovic Janssen, Stavelot, Éditeur Jacques Chauveheid, , 134 p. (OCLC78052504), p. 15-21, 27-28, 61-64, 66-76, 126, 134
↑ abcde et fJacques Goijen, Dictionnaire des peintres de l'École liégeoise du paysage, Liège, École liégeoise du paysage Éditions, , 657 p. (ISBN2-9600459-04), p. 349-351
↑ abc et dPierre Somville, Marie-Christine Depouhon et Gilbert Depouhon, Le Cercle royal des Beaux Arts de Liège 1892-1992, Bruxelles, Crédit Communal, , 128 p. (OCLC35121530), p. 37 et 71
↑ ab et cJules Bosmant, La peinture et la sculpture au Pays de Liège de 1793 à nos jours, Liège, Mawet éditeur, , 314 p. (OCLC458651068), p. 265, 309
Gaëtane Warzée (rédaction de l'article), « JANSSEN, Ludovic », Dictionnaire des Peintres belges, op. cit., (lire en ligne).
Jacques Goijen, Dictionnaire des peintres de l'École liégeoise du paysage, Liège, École liégeoise du paysage Éditions, , 657 p. (ISBN9782960045901 et 2-9600459-04, OCLC980910178).
André Lebrun (rédaction du catalogue), Adelin De Buck (conception du catalogue), Catherine De Croës (conception du catalogue) et Jean Fraikin (conception du catalogue), Affiches de l'imprimerie Bénard. Collection du Musée de la Vie Wallonne, Liège. Catalogue de l'exposition à la Belgisches Haus, Cologne, du 24 avril au 22 mai 1980, Belgique, Édition Lebeer Hossmann, , 92 p. (OCLC7779405).
Jacques Stiennon (rédaction de l'article), « Quatrième partie : Les arts : I La peinture : Les chemins variés de la création picturale au pays mosan et dans le Luxembourg », La Wallonie. Le Pays et les Hommes, op. cit., , p. 270-281 (lire en ligne).
(nl) Kristof Reulens, Jos Geraerts, Eline Sciot et Dirk Lauwaert, Genk door schildersogen : landschapsschilders in de Limburgse Kempen 1850-1950, Louvain, Davidsfonds, , 256 p. (ISBN9789058267498 et 9058267490, OCLC1348669923)
(nl) Kristof Reulens, Ludovic Janssen (1888-1954) schilder van de stille Kempen, Genk, Stadsbestuur Genk, Dienst Cultuur, , 69 p. (OCLC901543587)
Pierre Somville, Marie-Christine Depouhon et Gilbert Depouhon, Le Cercle royal des Beaux Arts de Liège 1892-1992, Bruxelles, Crédit Communal, , 128 p. (OCLC35121530).