Erika Hügel-Marshall, dite Ika Hügel-Marshall, est une écrivaine et militante afro-allemande née le en Bavière et morte le .
Erika Hügel-Marshall est connue pour son militantisme au sein de l'organisation afroféministe allemande ADEFRA (Afro-Deutsche Frauen).
Dans son autobiographieDaheim unterwegs. Ein deutsches Leben, publiée en anglais sous le titre Invisible Woman: Growing up Black in Germany (Femme invisible: grandir en tant que noire en Allemagne), elle relate sa vie de militante féministe et antiraciste . Elle aborde également dans cet ouvrage le sujet du racisme en Allemagne ainsi que sa quête d'une identité familiale. Orpheline, le racisme dont elle est victime étant enfant est, selon elle, à l'origine de son engagement militant, engagement qui débute dans les années 1980.
Ses écrits auront une influence importante sur Audre Lorde, activiste afro-américaine[1].
Biographie
Enfance
Erika Hügel-Marshall naît le [2] d'une mère bavaroise blanche et d'un soldat afro-américain, Eddie Marshall[2], rentré aux États-Unis avant sa naissance[3]et qu'elle ne rencontrera qu'à l'âge de 46 ans. Ses parents se sont rencontrés juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, après un assouplissement des lois interdisant au personnel militaire d'interagir avec les civils. Selon elle, les soldats noirs traitaient bien les enfants allemands indigènes, distribuant de la nourriture et des vêtements, mais ses parents se rencontraient généralement en secret en raison de remarques racistes. En , à la suite d'une maladie, son père retourne aux États-Unis. À ce moment-là, ils savent tous deux que sa mère est enceinte, mais elle ignore son départ. Un an après la naissance d'Ika, sa mère épouse un Allemand. Elle donne naissance à une demi-sœur l'année suivante. Elle est proche de sa demi-sœur, mais pas de son beau-père[2].[source secondaire souhaitée]
Malgré les souvenirs d'une enfance agréable, Hügel-Marshall est stigmatisée à cause de sa couleur de peau[3]. En grandissant, elle fait face à un racisme constant et est décrite par la communauté locale comme une «Negermischling», « Mischling » étant le terme utilisé par les nazis pour désigner les enfants nés d'un parent juif et d'un parent non juif[4].
Quand elle entre à l'école en 1952, les services sociaux forcent sa mère à l'envoyer à l'orphelinat la Maison des enfants de la petite cabane de Dieu. En effet, jusqu'en 1970 en Allemagne, les enfants dits « illégitimes » sont considérés comme pupilles de l'État, qui devient ainsi responsable de leur éducation[5].
À dix ans, elle entre à l'orphelinat sous la promesse d'un séjour temporaire de six semaines. Elle y reste pourtant jusqu'à la fin de son enfance[2]. Elle y subit des violences psychologiques et physiques de la part d'adultes et d'enfants : Par exemple, il lui est interdit de pleurer l'absence de sa mère, elle est gavée de son propre vomi et subit un exorcisme au cours duquel elle doit répéter des phrases telles que « Satan, je t'ai chassé » et « Seigneur Jésus, purifie mon âme noire » tout en ayant les yeux bandés[2]. À cette époque de son enfance, elle n'a « de plus grand désir que d'être blanche » et est « criblée de culpabilité » parce qu'elle est noire, ce qui d'après les religieuses placerait le péché dans son âme[2]. Lorsqu'elle est autorisée à passer les vacances d'été auprès de sa famille, elle n'ose leur faire part de ces expériences[2].[source secondaire souhaitée]
Hügel-Marshall réussit bien à l'école, terminant souvent en tête de classe. Elle est cependant toujours traitée avec condescendance par les religieuses[4]. Ses enseignants lui répètent qu'elle ne représentera jamais rien, qu'elle mènera une vie de débauche, aura des enfants hors mariage, deviendra alcoolique, et ne trouvera pas meilleur emploi que la garde d'enfants. Malgré ses demandes répétées pour intégrer une école qui lui permettrait d'accéder à des études supérieures et ainsi devenir enseignante, elle est transférée dans un pensionnat où elle est formée pour s'occuper de jeunes enfants[6].
Carrière
Hügel-Marshall poursuit ses études et obtient une licence en éducation et protection de l'enfance. Dans les années 1980, elle trouve du travail dans une maison pour enfants à Francfort-sur-le-Main, où elle demeure pendant douze ans. La maison lui rappelle l'orphelinat dégradant de son enfance. En collaboration avec les autres enseignants et face à l'opposition de la direction de l'école, elle fait des changements substantiels et impulse sa modernisation. Tout en y travaillant, elle obtient un diplôme en travail social et en pédagogie[2].
Elle enseigne les études de genre et le suivi psychologique à Berlin, après avoir obtenu un diplôme en pédagogie sociale[2]. Elle travaille comme psychothérapeute et est également une artiste qui se spécialise dans les dessins de couleur et la sculpture sur bois. Elle réside avec sa conjointe, Dagmar Schultz. Hügel-Marshall a également publié de nombreux articles.[réf. nécessaire]
À Francfort, elle rencontre et épouse un Allemand blanc nommé Alexander. Sa famille et celle de son époux assistent au mariage, mais plusieurs incidents ont alors lieu. Quand elle et Alexandre vont chercher leur licence de mariage, l'officier d'état civil salue Alexandre, note son nom, puis demande « Où est la mariée ? ». Alors qu'ils descendent les marches du palais de justice après leur mariage, un passant offre ses félicitations de mariage à la demoiselle d'honneur. Elle ignore ces incidents, même si elle remarque: « Je suis troublée par ce besoin continu de signaler aux autres que c'est moi qui me marie ». Ils divorcent six ans plus tard[2][source secondaire souhaitée].
En 1965, elle tente de retrouver son père et lui écrit une lettre expliquant sa situation, mais la lettre est retournée marquée de l'inscription «adresse insuffisante»[2]. Elle n'abandonne pas l'espoir de le retrouver et quand, en 1990, elle déménage à Berlin, elle rencontre des gens qui lui offrent de l'aider à retrouver son père et ce côté de sa famille. En 1993, à l'âge de 46 ans, elle rencontre finalement son père et sa famille américaine à Chicago, où elle est accueillie et acceptée comme une égale[7]. Hügel-Marshall a dit plus tard « voici la fin de mon voyage », ajoutant « je savais que ma survie dans une société raciste blanche n'était pas pour rien »[2]. Son père meurt l'année suivante[4].
Activisme
Intégration à l'ADEFRA: Les «femmes afro-allemandes»
Au cours de la décennie 1980, Hügel-Marshall devient active dans le mouvement des droits des femmes à Francfort. Cependant, même parmi ses collègues militantes féministes, elle se sent isolée, car elle est la seule femme noire. Elle n'a jamais rencontré un autre Allemand noir et, de ses années passées au foyer pour enfants, elle a appris à considérer les Noirs, y compris elle-même, comme inférieurs et immoraux. Des années plus tard, elle déclare que « la chose la plus désastreuse que j'ai apprise à la maison était la haine de soi »[2].
En 1986, elle assiste à une réunion d'Afro-Allemands de l'ADEFRA, abréviation de afrodeutsche Frauen (femmes afro-allemandes)[8]. Elle a 39 ans et c'est la première fois qu'elle voit « un visage noir qui n'était pas le sien »[2]. Elle est touchée par le sentiment d'appartenir à une communauté et devient activiste pour la cause afro-allemande, étudiant l'histoire des Afro-Allemands et affirmant leur légitimité dans une société qui suppose toujours que les Allemands doivent être blancs[2].
Elle utilise la littérature et les médias pour attirer l'attention sur le statut des Afro-Allemands comme « statistiquement invisibles et pourtant inconfortablement voyant »[9]. Elle et d'autres personnes germanophones noires[évasif] n'étaient généralement pas acceptées comme allemands en raison de leur couleur de peau.
Le mouvement afro-allemand, fondé en même temps que l'Initiative des Allemands noirs (Initiative Schwarze Deutsche), utilise la construction communautaire « pour résister à la marginalisation et à la discrimination, pour gagner l'acceptation sociale et pour se construire une identité culturelle »[10].
Le travail de Hügel-Marshall a été influencé par l'activiste américaine des droits civiquesAudre Lorde[11]. Lorde vivait en Allemagne quand l'ADEFRA a été fondée et a encouragé les Afro-Allemands à se réunir et à discuter de leurs vies. Elle les a aussi enjoints à écrire leurs autobiographies, ce que fit Hügel-Marshall. Hügel-Marshall, après avoir lu le travail de Lorde, avait hâte de la rencontrer[2]et ce souhait se réalisa en 1987. En 2012, elle assiste au festival culturel Audre Lorde Legacy à Chicago avec sa conjointe cinéaste Dagmar Schultz. À ce festival était présenté le documentaire Audre Lorde: The Berlin Years 1984 to 1992 dont elle a co-écrit le script[12][source secondaire souhaitée].
Publications
En , Hügel-Marshall publie son autobiographie, Daheim unterwegs: Ein deutsches Leben[13]. Daheim signifie «à la maison» tandis que unterwegs signifie «en route» ou «en transit»; la combinaison est un oxymore évoquant quelqu'un qui cherche une maison dans son propre pays[3]. La traduction anglaise du livre, publiée en 2001 par Continuum International Publishers, est intitulée Invisible Woman : Growing Up Black en Allemagne. Une version anglaise annotée a été publiée par Peter Lang Publishing en 2008. Le livre relate son expérience en tant qu'afro-allemande et explore la relation avec son père et avec l'Allemagne[14].
Le livre a remporté le prix littéraire Audre Lorde et a été lu par Hügel-Marshall lors d'événements publics en Allemagne, en Autriche et aux États-Unis[2]. En 2007, elle donne une lecture et un séminaire sur le livre à l'université de Rochester[15]. En 2012, elle donne une lecture publique au Festival annuel du film de Berlin et au-delà de l'Institut Goethe[16].
↑ ab et c(en) Marion Kaplan, « Rev. of Hügel-Marshall, Gaffney: Invisible Woman: Growing up Black in Germany. », Central European History. 36 (2), , p. 316 (DOI10.1017/s0008938900006890., JSTOR4547317)
↑(de) Deborah Janson, « The Subject in Black and White: Afro-German Identity Formation in Ika Hügel-Marshall's Autobiography Daheim unterwegs: Ein deutsches Leben », Women in German Yearbook: Feminist Studies in German Literature & Culture, vol. 21, no 1, , p. 62–84 (ISSN1940-512X, DOI10.1353/wgy.2005.0012, lire en ligne, consulté le )
↑Mazón, Patricia M.,, Steingröver, Reinhild, et Berman, Russell A., 1950-, Not so plain as black and white : Afro-German culture and history, 1890-2000 (ISBN978-1-58046-678-3 et 1-58046-678-8, OCLC946346693)