Créé en 1937 à l’initiative de Jacques Doriot, président du Parti populaire français, le Front de la liberté est une tentative de rapprochement de partis des droites sur un ciment idéologique fédérateur, l’anticommunisme.
La mise sur pied difficile du Front de la liberté
Le contexte politique et les premières tentatives de rassemblement
Une des premières réactions à la victoire des gauches fut la décision prise par la Fédération républicaine de lancer un intergroupe de l’opposition à la Chambre et au Sénat afin d’établir une riposte commune lors de réunions hebdomadaires. La démarche est acceptée par l’ensemble des groupes ne soutenant pas le Front populaire[1].
Une autre fut l’initiative anticommuniste, en juillet 1936, du président de l’Union nationale des combattants, Jean Goy, qui parvient à un accord avec le PSF à l’automne 1936 afin de défendre les libertés individuelles, l’indépendance nationale, le respect de la propriété privée et la défense des institutions démocratique mise à mal – selon eux – par le gouvernement Blum. Cependant, le PSF se retire lorsque l’UNC soutient l’emprunt à la défense nationale lancée en .
Des dirigeants de partis appellent au rassemblement, tel Taittinger à l'été 1936[2]. En province, des réunions communes ont lieu, comme le à Marseille, où est fondé un éphémère Comité de Rassemblement national et social le [3]. Des rassemblements plus durables sont mis en place, tels le Rassemblement national lorrain à Nancy ou le Front lorrain en Moselle.
Le début de l’année 1937 témoigne de la recrudescence des meetings, cortèges et rassemblement entre les différentes droites (républicaines et parlementaires ; l’extrême droite et les groupements fascistes) qui accentuent les contacts entre elles. Les droites sont convaincues de la nécessité d’une posture offensive – malgré la pause des réformes que décrète Léon Blum en – en prenant modèle sur le rassemblement des gauches qui les ont conduites au succès.
L’appel de Jacques Doriot et les composantes du Front de la liberté
À la suite d'une réunion de travail fin mai entre diverses composantes des droites, le Front de la liberté est officiellement lancé lors d’un meeting au vélodrome d’hiver le rassemblant les leaders du PRNS, du PPF, Philippe Henriot et Xavier Vallat représentant la FR[6].
Le refus du Parti social français et le véritable objectif du Front de la liberté
Il est paradoxal de constater que le PPF lance l’idée de ce Front de la liberté par la voix de Jacques Doriot et de voir, dans ce cadre, « le leader de la plus importante formation fasciste française défendre avec la plus grande fermeté les libertés d’expression et les institutions républicaines » [7]. Plus qu’un comportement opportuniste, la stratégie de Jacques Doriot fut d’amoindrir le PSF en se révélant être le meilleur représentant de l’anticommunisme. Il est fortement probable qu’il pensait faire de cette organisation le moyen de prendre l’ascendant sur la Fédération républicaine et de prendre appui sur son réseau de militants, de notables, d’élus et de soutiens financiers pour être le principal représentant de la droite. En ce sens, ce groupement doit permettre la respectabilité du parti[8].
De son côté, la Fédération républicaine entre dans le Front de la liberté car elle a la volonté de se servir des militants divers du Front de la liberté qu’elle ne peut capter de son propre chef tant pour remporter les élections à venir que pour neutraliser l’émergence d’une force parlementaire à sa droite (PSF et PPF) et affaiblir le centre-droit (Alliance démocratique, Parti démocrate populaire, etc.) en jouant sur le dualisme anticommunisme – antifascisme, nécessitant la prise de position de chacun dans un camp ou dans un autre. Ce choix est largement majoritaire au sein de la FR, même si Jean Guiter exprime ses réserves et que cette association avec le PPF est critiquée sévèrement par certains de ses élus et notables.
Ainsi, l’une des motivations officieuses de participer au Front de la liberté est celle de freiner l’ascension du Parti social français qui pose problème en termes de cohabitation, de collaboration, d’alliance et de confrontation depuis sa fondation tant pour la FR, le PPF ou le PRNS qui espère retrouver la vitalité perdue des Jeunesses patriotes.
Le colonel François de La Rocque s’oppose à associer son Parti social français dans le Front de la liberté, conscient que la Fédération républicaine et le Parti populaire français ont lancé cette « coalition défensive » dans l’optique de disloquer sa formation[9]. Plus profondément, La Rocque critique la logique même du Front de la liberté, celle de s’inscrire dans une perspective d’union des droites contre le Front populaire chapeautée par des personnalités et des intérêts financiers[10]. Le PSF s’est en effet bâti en réaction aux partis traditionnels de la droite représentant les intérêts bourgeois et défendant l’ordre établi (notamment par sa logique parlementaire) en prônant le dépassement du clivage droite – gauche ainsi que des idéologie du libéralisme et du marxisme par la fusion des classes sociales par des moyens autoritaires qui s’affranchissent du régime parlementaire[11]. Ainsi, il souhaite préserver l’indépendance de son parti pour qu’il soit à lui seul l’alternative politique.
En ce sens, le conseil national extraordinaire du Parti social français qui se réunit à la mi- s’oppose à adhérer au Front de la liberté car cela « risquerait d’enlever à la masse du parti son caractère de réconciliation française et de le faire apparaître malgré lui comme un instrument de lutte civique » [12].
L’opposition à la logique des Fronts des partis du centre-droit
Au contraire du choix de la Fédération républicaine, les autres droites républicaines et parlementaires, à savoir l’Alliance démocratique et le Parti démocrate populaire, refusent catégoriquement d’entrer dans le Front de la liberté. Pour l’AD, le Front de la liberté accentue la division entre les forces politiques[13]. Ainsi, lors du congrès national du parti à Lyon en , tant Léon Baréty que Pierre-Étienne Flandin dénoncent ce regroupement des extrêmes et réitèrent leur appel à la conjonction des centres au Parti radical-socialiste, peu de temps avant la chute effective du premier gouvernement de Léon Blum, le .
La propagande du Front de la liberté se réalise par de grands meetings départementaux, tels ceux dans la Loire inférieure (juillet), à Annonay (août) ou à Neuilly (novembre), consolidée par de multiples réunions communes notamment à l’approche des cantonales afin de soutenir les véritables « nationaux » dans leurs fiefs respectifs. Louis Marin ne parut guère à des réunions comprenant des leaders du PPF, à quelques exceptions comme à Nancy, son fief, en , où il prit part à un meeting du Rassemblement national lorrain aux côtés de Doriot, Taittinger et Philippe Henriot.
L’alliance électorale : la « candidature unique » à l’épreuve des cantonales de 1937
La discussion porte sur la « candidature unique » des « nationaux » contre les forces du Front populaire pour les cantonales de 1937 qui va révéler les limites du Front de la liberté entre les intérêts respectifs du PPF et de la FR.
Grâce au soutien du PRNS, c’est la Fédération républicaine qui sort victorieuse des pourparlers entre les trois principales composantes du Front de la liberté (FR, PPF, PRNS) puisque la plupart de ses élus sont reconduits, le PPF n’ayant peu de circonscriptions gagnables, de surcroît soumis à la confrontation avec le PSF[15]. De plus, c’est la FR qui entre en contact avec les partis du centre-droit (Alliance démocratique, Parti démocrate populaire, élus des Radicaux indépendants) afin de finaliser sur le plan national la logique de « candidature unique » [16].
Ainsi, lors des cantonales de 1937, de nombreux cas mettent aux prises candidat du PPF contre celui du PSF ou candidat de la FR contre celui du PSF. Grâce à l’implantation de ses élus, la FR parvient à contenir l’opposition du PSF tandis que le PPF, soumis à la logique de la « candidature unique », ne réalise pas une percée en termes d’élus.
L’échec du Front de la liberté ou la victoire des intérêts de partis et des méfiances réciproques
Fondé sur la volonté d’affaiblir le Parti social français et des intérêts propres aux diverses composantes, le Front de la liberté entre en déliquescence après les cantonales de 1937 où la méfiance entre les partenaires est décuplée par les ressentiment de part et d’autre. Il démontre la difficulté de la viabilité de regroupement des partis dû à la querelle des chefs, à la résistance des appareils et aux ambitions électorales contradictoires.
C’est la Fédération républicaine qui s’en démarquera au début de l’année 1938. Son secrétaire général, Jean Guiter dénonce les conférences faîte au nom du Front de la liberté sans l’avis du comité local de la FR. Face à la crainte que le Parti populaire français se serve de ce regroupement afin de le transformer en réseau autonome à son service, la Fédération républicaine se retire des manifestations du Front de la liberté tout en laissant le choix aux fédérations départementales du parti de s’associer ou non à telle ou telle initiative[17].
Cependant, le comité exécutif de la Fédération républicaine tente de relancer un rassemblement semblable au cours de la fin de l’année 1938, notamment par la proposition de Jean Guiter le appelant les mouvements « nationaux » à l’unité « contre les méfaits mortels du marxisme ». Un appel qui n’aboutira pas et que refusent l’Alliance démocratique et le Parti démocrate populaire, dans le contexte troublé de l’après-Munich.
À droite de la Fédération républicaine et sans celle-ci, un autre projet de coalition échoue dès , quand Jean-Charles Legrand, chef du Front de la jeunesse, appelle en vain le PPF, le PSF, la Confédération des classes moyennes et la Confédération des anciens combattants à former un « Bloc français »[18].
Bibliographie
Sources primaires
Jacques Doriot, Le Front de la liberté face au communisme, Paris, 47 p., 1937.
↑Philippe Machefer, « L’union des droites, le PSF et le Front de la liberté, 1936-1937 ». Extrait p.107.
↑Jean-Paul Brunet, « Un fascisme français : le Parti populaire français de Doriot (1936-1939) », p.255-280, Revue française de science politique, volume 33, n°2, 1983. Analyse p. 279-180.
↑Philippe Machefer décrit le Front de la liberté comme « un essai de récupération par l’extrême droite des troupes du colonel La Rocque (« Le Parti social français », p.307-326, dans Janine Bourdin – René Rémond (dir.), La France et les français en 1938-1939, Paris, Presses de la FNSP, 365p, 1978. Extrait p.306 et suivantes).
↑François de La Rocque voit dans le Front de la liberté un moyen de « revaloriser les veilles formations et le vieux personnel qui n’ont su ni prévoir, ni pouvoir » (Gringoire, le 21 mai 1937).
↑Didier Leschi, « L’étrange cas La Rocque », p.53-94, dans Michel Dobry (dir.), Le Mythe de l’allergie française au fascisme, 2003.
↑Philippe Machefer, « L’union des droites, le PSF et le Front de la liberté, 1936-1937 », p.124-125.
↑« René Besse précise la position de son parti », Alliance démocratique, 28 février 1936.
↑Si de la plupart des candidats du centre-droit ne se voient pas opposer un candidat du Front de la liberté, ce dernier combat cependant de nombreux centristes, notamment dans le Rhône, la région parisienne ou l’Ouest.