À partir de 2009, des producteurs laitiers des régions du Vimeu et du Ponthieu décident de monter un projet de ferme industrielle de 1 000 vaches pour la production laitière et une unité de méthanisation, à 600 mètres des premières habitations. Parmi ces éleveurs, la figure de proue est Michel Ramery, fondateur d'une entreprise de BTP à la retraite et fils d’agriculteur picard, propriétaire d'une ferme de 200 vaches laitières près de la commune d'Airaines. Ils sont regroupés en une Société civile d'exploitation agricole (SCEA) dite « Côte de la justice[3] », et présentent un dossier concernant 1 000 vaches laitières et leurs suivantes soit 1 750 animaux au total[4]. Le terrain est acquis à l'insu de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Picardie, par un montage financier basé sur la transmission de parts sociales[5]. Par ailleurs, l'exploitation est membre d'une coopérative d'utilisation de matériel agricole (CUMA), alors présidée par Michel Ramery[6].
La première demande administrative du projet est déposée en . Le projet initial souhaite mettre en place un méthaniseur de 1,48 mégawatt[7] (dont la puissance sera finalement moindre[8], soit 1,338 mégawatt[9]).
En , un voyage est organisé par Michel Ramery, avec des élus locaux, en Allemagne pour notamment montrer des méthaniseurs[7].
En , une enquête publique démarre. À l'issue de celle-ci, les commissaires enquêteurs émettent un avis favorable au projet en [9]. Le même mois, des habitants, opposés au projet, décident de créer l'association Novissen (NOs VIllages Se Soucient de leur ENvironnement).
Le , une première manifestation réunit entre 600 et 700 personnes à Abbeville[9].
Construction et mise en service
En , les services administratifs n'autorisent qu'une capacité de 500 vaches, via la limitation de la surface d'épandage associée. En , un permis de construire est délivré par la préfecture[9]. La longueur prévue du bâtiment principal est de 230 mètres.
Le , des agriculteurs du syndicat Confédération paysanne s'introduisent dans le chantier de la future exploitation, afin de tenter de le bloquer[9].
Le , des membres de ce même syndicat agricole s'introduisent une nouvelle fois dans le chantier, pour démonter la machine de traite. Cinq agriculteurs sont interpelés à la suite de cette action, et sont placées 48 h en garde à vue[9]. Le , le conseiller présidentiel à l'agriculture, Philippe Vinçon, est retenu plusieurs heures, par des membres de la Confédération paysanne, alors que ses militants sont en cours de libération[9].
Le , une veille, organisée par Novissen et la Confédération paysanne, guettant l'arrivée des vaches, est organisée à proximité de la ferme, entre les communes de Drucat, Buigny-Saint-Maclou et Abbeville[10],[11].
Début de l'exploitation et augmentation progressive du nombre de vaches
La première traite a lieu le , après que 150 vaches ont rejoint la ferme[12]. À partir du , et pendant trois jours, des militants de l'association Novissen et de la Confédération paysanne bloquent l'entrée de l'exploitation qui a commencé sa production[13]. Les forces de l'ordre interviennent pour les déloger au moment de la première collecte du lait[14].
Les et , Claude Dubois (vice-président de Novissen) constate, lors de vols effectués en ULM, le décès de deux vaches de l'exploitation, les animaux concernés gisant à terre à l'extérieur des bâtiments[15].
Le , neuf agriculteurs de la Confédération paysanne, qui étaient entrés sur le chantier de la ferme plus d'un an auparavant, sont condamnés à des peines allant de l'amende à 5 mois de prison avec sursis ; l'avocat de Michel Ramery était Frank Berton. Une manifestation de soutien a réuni entre 2 000 et 4 000 personnes à Amiens, où s'est déroulé le procès[16],[17]. Le syndicat agricole a profité de cette tribune pour dénoncer l'industrialisation de l'agriculture[18].
Les neuf agriculteurs de la Confédération paysanne condamnés font appel[19] et le ils voient leurs peines de prison, prononcées près d'un an auparavant, annulées par la cour d'appel d'Amiens ; seules des amendes leur restent infligées[20].
Dépassement du nombre de 500 vaches autorisées
En , un employé licencié révèle que le site dépasse le plafond de 500 vaches. Cet ancien employé décrit également de mauvaises conditions sanitaires dans l’élevage (traites trop nombreuses, vêlages mal conduits et manque d'hygiène) ainsi qu’un rythme de travail intensif[21].
Le directeur d'exploitation reconnait, après un contrôle engendré par ces révélations, dépasser — avec 794 individus — le nombre de 500 vaches autorisées[22].
Sanction financière
En conséquence du dépassement du nombre de vaches, la préfète de la Somme, Nicole Klein, décide d'appliquer des sanctions, détaillées dans un communiqué de presse le : 7 800 euros d'amende, à laquelle s'additionne une astreinte quotidienne de 780 euros jusqu'au retour à 500 animaux ; par ailleurs, une étude sur le bien-être des vaches doit être effectuée par un vétérinaire indépendant[23].
Le gérant de la ferme conteste cette décision et dépose un recours sur le fond, ainsi qu'un recours en référé, au tribunal administratif d'Amiens dans les jours qui suivent[24]. Ce dernier accepte le référé en : l’amende est suspendue (en attente du jugement sur le fond) et la préfète condamnée[25]. La préfecture est soutenue par Novissen lors d'une manifestation organisée à Amiens le [26].
La ministre et des associations de protection de l'environnement contestent, auprès du Conseil d'État, les ordonnances du juge des référés, mais celui-ci rejette leur recours le . La suspension de l'amende et de l'astreinte financière infligées à l'exploitant par la préfecture est donc confirmée jusqu’au jugement sur le fond[27] (qui doit être rendu en ).
Demande officielle d’extension à 880 vaches
Afin de pouvoir officiellement dépasser la limite de 500 vaches et donc atteindre les 880 animaux, l'exploitant dépose un dossier auprès de la préfecture, ce qui déclenche le lancement d'une enquête publique durant un mois à partir du . Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, désapprouve cette possibilité d'extension du cheptel[28]. En , cette procédure, dont les conclusions vont être examinées par le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), est considérée comme inutile, en raison d'un accord tacite permis par la loi du relative à la « simplification administrative » (l'État ayant en effet pris trop de temps à examiner la demande d'extension par regroupement d'élevages), mais également parce que l'augmentation du nombre de vaches « n’entraîne pas de modification substantielle des conditions d’exploitation prises en compte dans l’arrêté du 1er février 2013, qui autorise la société requérante à exploiter un élevage de 500 vaches laitières »[8].
Le , la commission d'enquête donne un avis favorable à l'extension, au grand dam de Novissen ; cela n'étant que consultatif, la décision finale revient au préfet[29]. Cependant, Ségolène Royal, ministre de l'Environnement, demande au préfet une nouvelle enquête publique (ainsi qu'une étude d'impact) en [30], date à laquelle l'exploitation compte environ 850 animaux selon son propriétaire[31]. Michel Welter conteste la légalité de l'arrêté préfectoral[32], mais le tribunal rejette le recours concerné en [33].
Demande de visite sanitaire par des associations
Par ailleurs, en , les associations L214 et Écologie sans frontière réclament une visite de l'établissement par un expert. Les conditions d'élevages sont médiocres selon elles, d'après le témoignage d'un ancien salarié[34] (cf. ci-dessus). Michel Welter, le directeur du site, refuse, car une expertise avait déjà été réalisée par un vétérinaire mandaté par le ministère de l'Agriculture. Un procès se déroule le [35],[34] ; le tribunal de grande instance d'Amiens décide de rejeter la demande des deux associations deux semaines plus tard[36]. L214 fait appel « à titre conservatoire » de cette décision en avril[37]. En , L214 abandonne son appel[réf. nécessaire].
Limites du projet et boycott
Le projet de méthaniseur, pas encore construit en , est abaissé à une puissance de 0,8 mégawatt[38].
La production de l'exploitation (où se déroulent trois traites quotidiennes) devrait être de 9 millions de litres de lait, sur l'ensemble de l'année 2016. Elle est alors vendue à la coopérative belge Milcobel[40].
La cour administrative d'appel de Douai rend, le , un arrêt annulant le jugement du tribunal administratif de 2017, qui avait estimé que l'exploitant bénéficiait d'une autorisation tacite pour étendre son exploitation. L’amende et les astreintes journalières prononcées par l'ancienne préfète de la Somme en 2015 sont donc rétablies[45]. L'exploitant se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État[46].
Parallèlement, il demande au tribunal administratif de condamner l'État à l'indemniser pour les préjudices qu'il estime avoir subis, « en raison de la longueur anormale du délai d’instruction, préjudice d’image, d’atteinte à la réputation et préjudice moral », soit 33 millions d'euros[47]. Cette demande est rejetée le , le tribunal jugeant que ces longues procédures n'ont pas causé de préjudice à l'exploitant[48].
Par ailleurs, un incendie d'origine accidentelle détruit 220 tonnes de paille stockées dans un hangar du site, le [49].
Fin de l’élevage
En , la ferme annonce l'arrêt de sa production de lait pour , ne gardant qu'une activité de grande culture (blé, lin, betteraves, pommes de terre), sur les mille hectares qu'elle exploite[50].
Le , le Conseil d'État confirme définitivement l’amende infligée pour le dépassement du nombre de 500 vaches sans accord explicite[51].
La production en grande quantité de lait dans un espace confiné étant vue négativement par le syndicat agricole précité et ces différentes associations écologistes, ceux-ci menacent d'appeler à boycotter la marque Senoble. Selon eux, Senoble détiendrait, avec le groupe normand Agrial, la coopérative Senagral, qui serait la première consommatrice du lait produit dans cette usine. La chaîne de magasins bio Biocoop a décidé de « déréférencer » les produits de la marque Senoble[59],[60].
↑Julie Lallouët-Geffroy, « Les Safer gèrent-elles bien les terres agricoles ? », sur reporterre.net, (consulté le ) : « Un exemple majeur de ce type de montage financier est la ferme-usine des Mille Vaches. C’est par le biais de transmission de parts sociales que Michel Ramery est parvenu à acquérir ses terres à l’insu de la Safer. Résultat : les pouvoirs publics se retrouvent devant le fait accompli, sans possibilité juridique de casser les ventes effectuées. ».
↑Lise Monteillet, « Qui l’eut cru ? La ferme des 1000 vaches en cuma », sur entraid.com, (consulté le ) : « Le gérant ajoute aussitôt : «Nous avons également créé la cuma des 1000 pour partager le matériel des huit structures qui se sont rapprochées pour former la ferme des 1000 vaches. Nous sommes convaincus que le matériel est là pour être utilisé au maximum. Nous songeons à ouvrir ce groupe aux exploitations voisines, sur du matériel de récolte du lin par exemple.» Cette cuma est présidée par Michel Ramery. ».