Enfant, dans sa Martinique natale, Euzhan Palcy se passionne pour le cinéma. Elle regarde les films de Fritz Lang, d’Alfred Hitchcock, de Billy Wilder ou d’Orson Welles, d'Ousmane Sembène, de François Truffaut et de Costa-Gavras. Elle écrit aussi des nouvelles et des poèmes. Sa sensibilité artistique se développe au contact de la réalité martiniquaise et de ses salles obscures. À travers les films américains, elle remarque que les comédiens noirs interprètent toujours les rôles les plus dégradants, les plus ridicules. Cette constante la choque et la révolte même[4],[5].
C’est en se plongeant dans la lecture de La Rue Cases-Nègres, le roman de Joseph Zobel qui raconte la Martinique des années 1930, que la condition des Noirs se révèle à elle. À 14 ans, elle fait du roman son livre de chevet. À force de le lire et relire, elle se découvre une ambition nouvelle : devenir cinéaste et porter à l’écran la voix des Noirs[6].
Études et cinéma
Euzhan Palcy réalise, à 17 ans, pour la télévision française de Martinique son premier téléfilm, La Messagère. En 1975, elle s’envole pour Paris sur les conseils de son père qui l’encourage dans son amour du cinéma mais lui conseille aussi de s’inscrire à l’université. Diplômée de la faculté des lettres de Paris (lettres et théâtre), elle étudie également à l'École Louis-Lumière et se spécialise en tant que directeur de la photographie.
Carrière
Rue Cases-Nègres
Euzhan Palcy, qui veut adapter La Rue Cases-Nègres au cinéma, rencontre François Truffaut, qui s'intéresse au projet de la réalisatrice, la soutient, distille ses conseils techniques et facilite les relations de la jeune réalisatrice avec les producteurs[7],[8].
En 1983, Rue Cases-Nègres émeut le public qui découvre la Martinique an tan lontan et l’existence miséreuse des familles noires attachées aux plantations de canne. Le film est un succès public. Le long métrage remporte dix-sept prix internationaux, en France et aux États-Unis[7].
Une saison blanche et sèche
Euzhan Palcy adapte ensuite Une saison blanche et sèche, le roman de l’écrivain sud-africain André Brink dans lequel il parle de son pays déchiré par l’apartheid et le racisme. Après le succès de son premier long métrage, elle peut mener à bien ce projet aux États-Unis. Marlon Brando, Zakes Mokae, Donald Sutherland et Susan Sarandon font partie de la distribution du film. Euzhan Palcy est la seule réalisatrice à avoir dirigé Marlon Brando. L’équipe tourne au Zimbabwe. Le film dénonce la ségrégation alors même que Nelson Mandela est encore emprisonné dans les geôles sud-africaines. Le film est aussi un succès public.[réf. nécessaire]
Elle reçoit, en 1989, le prix Orson Welles pour l'importance et la qualité de son travail (Orson Welles Prize for Special Cinematic Achievement), pour ce film[9]. Mais Euzhan Palcy constate que dans la plupart des films occidentaux comme à la télévision, l’image des Noirs ne varie guère. Leur représentation reste dégradante ou secondaire dans la plupart des scénarios qu’on lui propose. Elle décide de rentrer en France et de se replonger dans la réalité de la vie martiniquaise.
Siméon et Césaire
Son retour prend forme à travers la réalisation de Siméon, « un conte antillais fantastique et musical, entre la vie et la mort dans lequel le fantôme d’un musicien, poète et séducteur célèbre, est le captif d’une petite fille, Orélie, dont il ne peut se délivrer qu’en accomplissant une bonne action », explique la réalisatrice. Kassav' compose la musique du film pour en faire une œuvre complète et fondamentalement antillaise. Bruno Coulais en compose la musique dramatique.
Euzhan Palcy désire aussi rendre un hommage à Aimé Césaire, celui qu’elle considère comme son père spirituel. En 1994, elle lui consacre une série de trois films documentaires, Aimé Césaire, une voix pour l’histoire, et passe plusieurs mois à capter son quotidien pour immortaliser son message.
Appel américain
Ressourcée, la cinéaste reprend ses projets aux États-Unis. En , la télévision américaine diffuse le film Ruby Bridges, une fresque historique qu’elle réalise et coproduit sur une enfant de cinq ans qui se bat pour mettre à bas les barrières de la discrimination raciale dans les années 1960.
Immédiatement après ce film, elle consacre trois ans à ce qui aurait été le « premier dessin animé noir produit par un studio américain » et dont l’action se déroule en Afrique de l’Ouest 2000 ans av. J.-C. Mais au moment de finaliser son projet, le producteur (la Fox) perd son studio d’animation et met un terme à la réalisation en cours.
Au cours de l’année 2005, grâce au documentaire Parcours de dissidents, la cinéaste tente de corriger les oublis de l’Histoire en donnant la parole aux Antillais de la Seconde Guerre mondiale qui ont combattu aux côtés du général de Gaulle[10].
En 2011, le festival de Cannes lui rend hommage et projette en version restaurée Rue Cases-Nègres[11] ; un collège martiniquais ainsi qu’une salle de cinéma dans l'Oise portent son nom[12],[13].
↑ a et bYolande-Salomé Toumson, Herméneutique littéraire du cinéma de Euzhan Palcy (thèse de doctorat en littérature générale et comparée), Université des Antilles, (lire en ligne)