Danièle Lochak, née en 1946, est une juriste française, professeure émérite de droit public à l'université Paris-Nanterre et militante associative de la défense des droits de l'homme, en particulier au sein du GISTI, dont elle a été la présidente.
Biographie
Née en 1946, Danièle Lochak devient française en 1947, par l'effet collectif de la naturalisation de ses parents[1]. Sa mère, née à Istanbul, est arrivée en France avec sa famille à l'âge de sept ans. Son père, né en Bessarabie, est venu en France en 1925, à l'âge de dix-neuf ans. Militant du Parti communiste, « fuyant la dictature anticommuniste et antisémite du régime roumain », il a été exclu ou s'est auto-exclu du PC pour « déviationnisme de gauche ». Il participe à la résistance non communiste, puis travaille comme conseil juridique. En effet, une loi de 1934 interdisait aux naturalisés d'exercer la profession d'avocat pendant cinq ans.
Son nom s'écrit alors « Loschak », en raison de la transcription du cyrillique vers le latin du nom de son père à l'arrivée de celui-ci en France. D'autres membres de sa famille - notamment Georges Lochak, portent un nom à l'orthographe différente. Après plusieurs péripéties, Danièle Lochak obtint en 1984 un décret modifiant l'orthographe de son nom[2].
Carrière universitaire
Danièle Lochak fait ses études de droit à la Faculté de droit de Paris. Elle est tout d'abord assistante de Guy Braibant à la faculté de droit de Paris en 1968. Elle fait sa thèse à l'université Paris 1, et devient, en 1970, docteure en droit avec une thèse sur Le rôle politique du juge administratif français sous la direction du professeur Prosper Weil[3]. Elle est agrégée des facultés de droit en 1972. En parallèle, elle est également collaboratrice de l'Institut français de polémologie (1968-1979).
Devenue professeure de droit public à l'université de Picardie, elle est particulièrement active au sein du Centre universitaire de recherches sur l’action publique et politique (CURAPP) de la faculté de droit. Dès 1972, elle publie « Les droits politiques des fonctionnaires ou les contradictions du libéralisme » aux Publications de la faculté de droit et des sciences politiques et sociales d'Amiens[4]. À partir de 1976, avec la naissance des Cahiers du CURAPP[5], elle y contribue régulièrement
En 1978 elle publie, avec Jacques Chevallier, la première édition du traité de Science administrative en deux tomes aux PUF[6] puis, en 1980, un « Que Sais-je ? » sur le même sujet.
En 1990, Danièle Lochak devient professeure à l'université de Paris X-Nanterre. Elle y crée en 1993-1994 le DEA « Droits de l'homme et libertés publiques », qu'elle co-dirige dans un premier temps avec Emmanuel Decaux. Cette formation est aujourd'hui devenue le master recherche « Droits de l'homme »[7]. Elle a aussi été directrice du Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux (CREDOF), qu'elle a fondé avec Sylvia Preuss-Laussinotte en 2000, et directrice de l'École doctorale de Sciences juridiques et politiques (1999)[8] jusqu'à sa retraite universitaire en 2006.
Au cours des dernières années, ses principales publications ont concerné le Conseil d'État sous Vichy[9], les « bornes » de la liberté, la désobéissance et la dénonciation[10], les différentes formes de discriminations[11], les inégalités de genre[12], l'usage des notions de « race »[13], les minorités[14], le droit des étrangers et les politiques d'immigration[15] ou encore l’impact des nouvelles technologies sur les droits fondamentaux, etc. En 1994, elle décrivait déjà dans un article la « résurgence massive et brutale (…) de la thématique de l'identité nationale dans le débat politique »[16].
Travaux juridiques et débats
En 1989, un article marquant paraît dans un numéro du CURAPP sur Les usages sociaux du droit. Danièle Lochak y rédige, peu après l'affaire Maurice Duverger, une contribution intitulée : « La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme »[17].
Dans le même numéro, Michel Troper publie une réponse[18] où il distingue deux aspects à « l'accusation » de Danièle Lochak. Le premier concerne le fait que « la doctrine a participé à la légitimation de la politique antisémite de Vichy… La doctrine ne pouvait que renforcer la crédibilité de la législation antisémite… elle a facilité à sa façon la mise en œuvre de la politique antisémite de Vichy... contribué à son application sereine ». Sur cet aspect « historique, psychologique et sociologique [qui] concerne les opinions manifestées par les juristes sous Vichy et en général la fonction de légitimation que remplit objectivement ce qu'on appelle en France la doctrine », Michel Troper estime qu'on ne peut « qu'être frappé et largement convaincu par l'accusation terrible que porte Danièle Lochak contre une partie importante de la doctrine juridique française à l'époque de Vichy » et que « ce qu'écrit Danièle Lochak est juste ». En revanche, sur le second aspect « qui regarde la question du rapport entre méthodologie juridique et éthique, une question qui se pose d'une manière particulièrement aiguë, lorsqu'on se trouve en présence d'un système politique et juridique odieux », il critique la position de sa collègue, exprimée dans le sous-titre de l'article, selon laquelle « la doctrine juridique sous Vichy était positiviste et c'est précisément en raison de son positivisme qu'elle a connu ses "mésaventures" c'est au nom des principes positivistes que les juristes ont participé à la banalisation du droit antisémite, contribuant ainsi à légitimer la politique antisémite de Vichy ». Pour le théoricien positiviste réaliste, cette accusation est « injuste », car « si la doctrine juridique française a bien participé à la légitimation de la politique antisémite de Vichy, ce n'est pas parce qu'elle était positiviste, mais parce qu'elle ne l'était pas ».
Danièle Lochak amendera d'ailleurs cette critique dans une seconde version en 1996[19] et dans sa contribution aux Mélanges Troper[20], son collègue de l'université Paris X-Nanterre.
Commentant la circulaire du ministère de l'intérieur Manuel Valls publiée visant à donner aux maires le cadre légal dans lequel ils peuvent interdire les spectacles de Dieudonné M'bala M'bala, elle rappelle que pour justifier des interdictions de spectacles ou de réunions « sans donner l'impression de trahir les principes » de la jurisprudence Benjamin de 1933, le Conseil d'État a souvent « grossi un peu le risque de trouble à l'ordre public ou invoqu[é] des circonstances exceptionnelles ». S'agissant de l'application de la jurisprudence Morsang-sur-Orge de 1995, elle estime qu'on risque de déboucher « sur une impasse » car « contrairement aux spectacles de lancers de nains qui étaient programmés comme tels, les spectacles de Dieudonné ne s'annoncent pas comme « antisémites », même s'ils le sont en fait. Il est plus délicat, dans ces conditions, de les interdire préventivement ». À son sens, « la réponse répressive, par le biais de l'incrimination pénale des propos racistes et incitant à la haine raciale, inscrite depuis 1972 dans la loi sur la presse, reste décidément la plus évidente et la plus sûre juridiquement. Cela suppose de laisser les spectacles se dérouler et le délit s'accomplir avant de pouvoir le poursuivre. Quel que soit le malaise qu'on en ressente, c'est le prix à payer dans une démocratie qui entend veiller à la défense des libertés et où l'on doit donc se méfier de toute interdiction préventive prononcée par une autorité administrative »[21].
Militantisme
Danièle Lochak est très engagée dans le milieu associatif. Son engagement militant semble avoir pris corps dès les années soixante-dix. Son nom apparaît en effet, aux côtés de ceux de Marek Halter, de sa femme Clara Halter et de Clara Goldschmidt-Malraux dans la revue Éléments du Comité de la gauche pour une paix négociée au Proche-Orient[22].
De 1985 à 2000, elle a été présidente du Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI)[23], au sein duquel elle est toujours active aujourd'hui. Défendant la liberté de circulation, elle estime qu'« il n'y a pas d’alternative à une politique d’ouverture des frontières »[24].
En 1991-1992 elle a été membre du Conseil national des populations immigrés[25] et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)[26].
En , elle soutient la manifestation du en faveur du mariage homosexuel en France en estimant qu'« il s’agit en effet, loin d’assigner un mode de vie, d’offrir à chacune et chacun plus de choix pour composer la sienne. Ouvrir à toutes et tous le mariage, l’adoption sans oublier la procréation médicalement assistée, c’est donc faire pénétrer l’exigence démocratique dans le droit pour interroger les normes sexuelles »[28].
En , dans le cadre de l'affaire du « Mur des cons », elle est signataire d'une tribune soutenant le syndicat de la magistrature. Cette tribune défend notamment le fait que « la liberté d’expression est un droit inhérent à l’engagement militant. Si la liberté d’expression des magistrats peut trouver une certaine limite dans l’obligation de réserve, il en est autrement dans l’exercice de l’activité syndicale qui bénéficie, au contraire, d’une très large liberté de ton et de parole y compris lorsqu’il s’agit d’utiliser la caricature ou la dérision »[29].
Publications
Le Rôle politique du juge administratif français (thèse pour le doctorat en Droit soutenue à l'université Paris 2, 1970), 349 p., LGDJ 1972.
La fonction publique en Grande-Bretagne, PUF 1972, dossiers Thémis, 96 p.
La Convention des Institutions Républicaines. François Mitterrand et le socialisme, PUF 1972, dossiers Thémis, 96 p.
Science administrative (avec J. Chevallier), 2 tomes, LGDJ 1978-1979.
La Science administrative (avec J. Chevallier), PUF, coll. « Que sais-je ? » no 1817, 1re éd. 1980, 2e éd. 1987.
Étrangers, de quel droit ?, PUF, coll. « Politique d'aujourd'hui », 1985.
La Justice administrative, Montchrestien, coll. « Clefs-Politique », 3e éd. 1998.
Les Droits de l’homme, La Découverte, coll. « Repères », 2e éd. 2005.
Véronique Champeil-Desplats et Nathalie Ferré (dir.), Frontières du droit, critique des droits : billets d'humeur en l'honneur de Danièle Lochak, Paris, LGDJ, coll. « Droit et société : recherches et travaux », 2007, 406 p.
Références
↑Extrait de «Face aux migrants : État de droit ou état de siège ?», Textuel, 2007 [1]. Voir aussi son passage au Cercle de Minuit de Philippe Lefait sur France 2 le 5 mai 1999 dans lequel elle évoque ses origines, vidéo INA [2].
↑Voir la recension de la thèse par Céline Wiener lors de sa publication en 1972 à la LGDJ dans la Revue internationale de droit comparé, 1973, volume 25, no 3, p. 771-773voir en ligne sur Persée.
↑« Les droits politiques des fonctionnaires ou les contradictions du libéralisme », Publications de la faculté de droit et des sciences politiques et sociales d'Amiens, n° 4, 1972-1973, PDF en ligne.
↑Danièle Lochak, « La dénonciation, stade suprême ou perversion de la démocratie ? » in L’État de droit, Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Dalloz 1996; «Les bornes de la liberté», Pouvoirs, no 84/1998 ; « Le juge doit-il appliquer une loi inique ? » in Juger sous Vichy, Le Genre Humain, décembre 1994 ; « Désobéir à la loi », in Pouvoir et Liberté. Études offertes à Jacques Mourgeon, Bruylant, 1998 [5]
↑Danièle Lochak, « Réflexions sur la notion de discrimination », Droit social, novembre 1988, p. 778-790. « Quand la loi elle-même est discriminatoire » in Contre le racisme. Un combat au quotidien, actes du colloque organisé en juillet 2000 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, La Documentation française, 2000; « Loi du marché et discrimination » in D. Borrillo (dir.), Lutter contre les discriminations, La découverte, 2003, p. 11-37 ; « Réflexions sur la notion de discrimination en droit européen et français » in Miyoko Tsujimura et Danièle Lochak (dir.), Égalité des sexes : la discrimination positive en question. Une analyse comparative (France, Japon, Union européenne et États-Unis), Société de législation comparée, 2006, p. 39-60
↑Danièle Lochak, « Les hommes politiques, les « sages » (?) et les femmes (à propos de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982) », Droit social no 2/1983, p. 131-137 ; « Égalité des sexes : la discrimination positive en question. Une analyse comparative (France, Japon, Union européenne et États-Unis) », (codirection avec Miyoko Tsujimura), Société de législation comparée, 2006. Voir sa participation au programme REGINE, Recherche sur le Genre et les Inégalités en Europe du CREDOF [6]
↑Danièle Lochak, « Les références à la “race” dans le droit français », in Emmanuel Decaux (dir.), Le droit face au racisme, actes du colloque organisé par l’université de Paris X en décembre 1997, Pedone, 1999, p. 27-40 ; « La race : une catégorie juridique ? » Mots, n° 33, actes du colloque « Sans distinction de… race (27 et 28 mars 1992) », Presses de la FNSP, [7] ; Danièle Lochak: « Supprimer le mot race de la Constitution n'éradiquera pas le racisme » (entretien avec Carine Fouteau) [8], Médiapart, 19 mars 2012
↑Danièle Lochak, « Les minorités et le droit public français. Du refus des différences à la gestion des différences », in Les minorités et leurs droits depuis 1789, L'Harmattan, 1989, p. 111-185
↑« L'étranger et les droits de l'homme », in Service public et Libertés. Mélanges Charlier, éd. Émile Paul, 1981, p. 615-633 ; «Les discriminations frappant les étrangers sont-elles licites ?», Droit social, numéro spécial « Liberté, égalité, fraternité et droit du travail », janvier 1990, p. 76-82, voir en ligne.
↑Danièle Lochak, « Usages et mésusages d’un concept polémique : l’identité nationale dans le débat sur la réforme du code de la nationalité, 1985-1993 », in L’identité politique, CURAPP, PUF, Paris, 1994, p. 306-323, PDF en ligne.
↑Michel Troper, « La doctrine et le positivisme (à propos d'un article de Danièle Lochak) », Cahiers du CURAPP, Les usages sociaux du droit, 1989
↑Danièle Lochak, «Écrire, se taire… Réflexions sur la doctrine antisémite de Vichy», Le Genre humain, n° 30-31, Le droit antisémite de Vichy, mai 1996, Actes du colloque international L'encadrement juridique de l'antisémitisme sous le régime de Vichy, Dijon, 19 et 20 décembre 1994, Éditions du Seuil, 1996 [9]
↑« Entre l’éthique du savant et les convictions du citoyen : le juriste face à ses dilemmes » in Denys de Béchillon, Véronique Champeil-Desplats, Pierre Brunet, Eric Millard, L'architecte du droit : Mélanges en l'honneur de Michel Troper, Economica, 2007. Voir aussi Michel Troper, « Le positivisme et les droits de l'homme » in Véronique Champeil-Desplats; Nathalie Ferré (dir.), Frontières du droit, critique des droits. Billets d’humeur en l’honneur de Danièle Lochak, Paris, LGDJ, coll. « Droit et Société. Recherches et Travaux », 2007.
↑« On s'achemine vers une jurisprudence Dieudonné », Le Monde.fr entretien par François Béguin, 7 janvier 2014. Voir aussi en commentaire des ordonnances rendues par le juge des référés du Conseil d'État : Danièle Lochak, « Victoire pour la République ou défaite de la démocratie ? La décision Dieudonné ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité », Légipresse n° 315, avril 2014.
↑v. Misha Uzan, « Israël et les intellectuels français de 1967 à 1982 », Controverses no 7, 2008 [10]
↑V. Danièle Lochak, « De la défense des étrangers à la défense de la légalité. Le Gisti au Conseil d'État », Le dialogue des juges. Mélanges en l'honneur du président Bruno Genevois, Dalloz, 2008 ; Gisti, Défendre la cause des étrangers en justice. 30 ans après l'arrêt Gisti de 1978, Dalloz/ Gisti, 2009). V. aussi son passage au Cercle de Minuit de Philippe Lefait sur France 2 le 5 mai 1999 dans lequel elle évoque son engagement au Gisti, vidéo INA [11] et la vidéo d'une audition par Cette France-Là en 2011