La Dacie aurélienne est une ancienne province de l'Empire romain d'Orient fondée par l'empereur Aurélien auquel elle doit son nom, après le retrait de l'administration et de l'armée romaines de Dacie trajane en 271. Entre /275 et 283/285, la Dacie aurélienne occupe la plus grande partie de ce qui est aujourd'hui la Serbie et la Bulgarie. Sa capitale est Sardica (aujourd'hui Sofia). L'empereur Dioclétien divise la Dacie aurélienne en deux provinces: la Dacie Méditerranée autour de Serdica et la Dacie ripense (grec moderne : Δακία Παραποτάμια: la Dacie des berges du fleuve - il s'agit du Danube) autour de Ratiaria. Ultérieurement ces deux “Dacies” formeront, avec les provinces de Dardanie, de Mésie inférieure et de Prévalitaine, le Diocèse de Dacie, qui disparaîtra au VIIe siècle lors de l'installation en masse des Slaves et des Bulgares, qui remplacent l'autorité impériale et submergent les Thraces romanisés locaux, ancêtres des Valaques.
Culture et langue
En Dacie aurélienne et dans la partie septentrionale du diocèse de Thrace (entre le bas-Danube et les monts Haemos) se produisit un syncrétisme thraco-romain, comme dans d'autres régions conquises par Rome, telles la civilisation gallo-romaine qui s'est développée en Gaule romaine. Au IIe siècle, le latin parlé en Dacie aurélienne et dans le nord du diocèse de Thrace commence à montrer des caractéristiques distinctes, séparées du reste des langues romanes, y compris de celles des Balkans de l'ouest (Dalmatie)[1]. La période thraco-romaine du diasystème roman de l'Est est habituellement décrite comme se situant du IIe siècle au VIe siècle ou au VIIe siècle[2]. Elle est divisée à son tour en deux périodes, la séparation entre les deux se situant au IIIe siècle-IVe siècle. Il semble que les différences entre le latin balkanique et le latin occidental ont pu apparaître au plus tard au Ve siècle[3], et qu'entre le Ve siècle et le VIIIe siècle, cette nouvelle langue, le thraco-roman, évolua d'un parler latin vers un idiome vernaculaire néo-latin (dit « proto-roumain » ou « roumain commun » en roumain : româna comună, mais « roman oriental » par les linguistes non-roumains), idiome qui donna, après le IXe siècle, les quatre langues modernes daco-roumaine, aroumaine, mégléniote et istrienne[4],[5].
L'évolution linguistique des toponymes présente une particularité phonologique de l'actuel aroumain : le "a" préposé au "r". Ainsi, Ratiaria a donné Artsar[6], aujourd'hui Arčar en Bulgarie (à proximité de la ville de Lom).
Dans le diocèse de Macédoine et dans la partie méridionale de la Thrace, ainsi que sur les rives du Pont Euxin, le syncrétisme thraco-romain ne se produisit pas, parce que l'hellénisation des Thraces, antérieure à la conquête romaine, avait déjà produit un syncrétisme gréco-thrace : l'historien Konstantin Jirecek (1854-1910) a pu déterminer, d'après les inscriptions de l'antiquité et de l'antiquité tardive, où passait la limite entre la romanisation et l'hellénisation[7], appelée depuis la « ligne Jireček ».
Ces positions sont les réponses roumaine, serbe et bulgare à la théorie inverse (austro-hongroise, puis hongroise, mais volontiers adoptée par les auteurs allemands, russes et anglo-saxons[9]) qui enseigne, elle, que les Daces antiques, romanisés ou non, auraient tous été rapatriés par Aurélien en Dacie aurélienne selon les récits d'Eutrope[10], et que le territoire de l'actuelle Roumanie aurait été ensuite entièrement peuplé d'Avars, de Slaves et de Magyars, tandis que les Roumains y seraient venus bien plus tardivement, au XIIIe siècle, des Balkans où ils seraient initialement apparus[11].
Toutefois, dans les milieux historiques universitaires non-nationalistes, on admet à mi-mot que les choses ne sont pas si simples et que la zone géographique où s'accomplit le processus de romanisation des Thraces correspond à un territoire limité à l'ouest par l'aire de romanisation des parlers illyriens dont est issue la langue dalmate (une langue romane disparue), au sud par la ligne Jireček, à l'est par les cités grecques de la mer Noire, et au nord par une « zone grise » fluctuant à travers l'ancienne Dacie antique, au gré de la transhumancepastorale des populations romanisées et au gré des évènements historiques (avec des replis vers le sud face aux invasions comme celles des Huns, des Gépides ou des Avars, et des remontées au nord dans le cadre du Premier Empire bulgare ou pour fuir les guerres bulgaro-byzantines à l'époque de l'empereur Basile II)[12],[13].
Annexes
Bibliographie
Victor Chapot, La Dacie dans Le Monde Romain, Albin Michel, Paris, 1951
↑(ru) A. B. Černjak, « Vizantijskie svidetel’stva o romanskom (romanizirovannom) naselenii Balkan V–VII », Vizantinskij vremmenik[lieu=Moscou,
↑Hiéroclès, Synecdemus, 655.1 et Procope, De Aedificiis.
↑Konstantin Jireček, Histoire des Serbes ((de) Geschichte der Serben), Gotha, 1911.
↑(en) Ion Grumeza : Dacie, pierre angulaire de l'Europe orientale antique, éd. Hamilton 2009, Lanham & Plymouth, (ISBN978-0-7618-4465-5).
↑Le Dictionnaire historique français de Michel Mourre (dir.) adopte ainsi la position austro-hongroise dans son article sur les origines des Roumains, et, selon l'axiome « absence de preuve égale preuve d'absence », il affirme que les roumanophones ne sont pas apparus dans l'actuelle Roumanie avant le XIIe siècle au plus tôt.
↑Eduard-Robert Rösler, Romänische Studien : untersuchungen zur älteren Geschichte Rumäniens déjà cité, développe les théories de Franz Josef Sulzer, Josef Karl Eder et Johann Christian von Engel, et est cité dans Béla Köpeczi (dir.), Histoire de la Transylvanie, Akadémiai Kiado, Budapest, 1992, (ISBN963-05-5901-3).