Éliza (Élizabeth) Emma Crouch est née à Plymouth le 17 décembre 1836[1], quelques mois seulement avant l'introduction de l'état civil en Angleterre et au Pays de Galles[2]. Elle est baptisée le 27 décembre 1837 à l'église Saint Andrew de Plymouth avec sa sœur cadette, Hannah Lydia, née le 30 novembre 1837 dans la même commune[3]. L'utilisation ultérieure par Cora Pearl de l'acte de naissance de son autre sœur Louisa Élizabeth, notamment dans la publication de ses Mémoires en 1886 — état civil qu'elle falsifie pour ressembler au sien — conduit à une confusion sur sa date de naissance pendant un siècle[4]. Le certificat original de Louisa Élizabeth Crouch est daté du 23 février 1841. Cora Pearl réalise un faux grossier en remplaçant le premier prénom de Louisa en Emma, puis modifie l'année 1841 en celle de 1842[5].
Son père est le violoncelliste et compositeur Frederick Nicholls Crouch (1808-1896). Il épouse en 1832 à l'église Saint-Paul (Covent Garden), Lydia Pearson, professeure de chant. En avril 1841, Frederick Crouch retourne à Londres, laissant sa femme et ses filles à Plymouth. En 1843, il se remarie avec Élizabeth « Bessie » George et de cette seconde union sont nés deux enfants. Frederick Crouch abandonne de nouveau cette deuxième famille en 1849[6], très certainement pour fuir ses créanciers, et part aux États-Unis à New York pour exercer sa profession de musicien.
Afin de subvenir aux besoins de ses enfants, Lydia Pearson vit maritalement avec un nouveau compagnon, Richard William Littley, et décide d'envoyer sa fille Emma dans une école religieuse en France.
Elle est placée dans un pensionnat à Boulogne-sur-Mer pendant deux ans puis dans une autre institution à Calais, où elle reste sept ans. Par la suite, Emma séjourne deux ans chez sa grand-mère à Jersey, qui la place chez un modiste réputé à Londres. Dans cette maison, elle fait la connaissance du baron Oelsen et vit un an avec lui, avant de devenir la maîtresse d'un propriétaire de cabaret londonien, Robert Bignell, de dix ans son aîné. En mars 1858, Robert Bignell emmène Emma à Paris et lui fait découvrir les hauts lieux touristiques. Après un séjour d'un mois, Robert veut rentrer en Angleterre, mais Emma décide de rester en France car elle a bien d'autres projets.
La courtisane
Emma choisit de devenir une « femme galante »[8]. Elle aime les plaisirs charnels mais c'est avant tout, comme pour la plupart des demi-mondaines, le meilleur moyen de s'enrichir rapidement. Elle devient une femme entretenue au service d'un proxénète du nom de Roubise, qui lui procure de nombreuses relations. Elle prend l'habitude de tenir un registre de ses clients avec leurs noms, des détails intimes de leur vie privée et même des commentaires parfois assez crus sur leurs performances. Six ans après, Roubise meurt et Emma se retrouve libre. Elle s'installe au no 61 rue de Ponthieu dans un appartement qu'elle partage avec une amie, Mlle Carole Hassé[9].
Emma Crouch prend alors le pseudonyme de Cora Pearl. Elle rencontre par la suite le duc de Rivoli, Victor Masséna. Celui-ci lui présente, au cours d'une soirée à l'Opéra, le prince Achille Murat. Cora entretient une relation avec les deux hommes jusqu’en 1865, lorsque le prince doit partir pour l'Afrique sur l'ordre de l'empereur, pour rejoindre son nouveau régiment. Cora, qui se lasse du duc, poursuit néanmoins leur relation. Elle fait la connaissance du duc de Morny, le demi-frère de Napoléon III, en décembre 1864. Elle devient sa maîtresse, mais aussi son amie ainsi que celle de son épouse, la princesse Sophie. Grâce aux générosités d'Auguste de Morny, Cora est la locataire, fin 1864, du château de Beauséjour à Olivet, dans le Loiret ; elle en sera la propriétaire de 1875 à 1885. Elle organise dans son nouveau domaine des fêtes somptueuses et dépense des sommes astronomiques dans les travaux. Pour la décoration, le visiteur ne manque pas d'admirer les marbres, le cuivre et l'or à profusion. Elle fait même installer une vaste baignoire en bronze, gravée de son monogramme : trois C entrelacés.
Les extravagances de Cora ne se comptent plus. Elle prend par exemple un bain de champagne, ou elle fait teindre son caniche en bleu pour qu'il soit assorti à sa robe. Elle introduit également la mode du maquillage. Cora Pearl est surnommée « la grande horizontale », ou « le plat du jour »[8]. Elle fréquente les restaurants à la mode, dont le Café Anglais, qui offre à sa clientèle des cabinets particuliers. La renommée de Cora est telle que le Tout-Paris raconte[10],[11] : « à une occasion, elle s'était fait servir elle-même, étendue nue sur un immense plat d'argent, dans le célèbre cabinet numéro seize, dit le Grand Seize, au Café Anglais. Elle y aurait également dévoilé ses seins, lors d'un dîner entre femmes, ce qui laisse entendre qu'elle aimait à se mettre en avant pour le plaisir, et non pas nécessairement pour appâter le client »[note 1].
L'apogée
Dix jours après la disparition du duc de Morny, le 10 mars 1865, Cora est abordée par le duc Emmanuel de Gramont-Caderousse, avec qui elle a une relation purement « professionnelle », jusqu’au 25 septembre 1865, date de son décès à Paris. Cette même année 1865, Cora rencontre le prince Napoléon, cousin de l’empereur. Il sera son amant plusieurs années durant[13]. Le prince, en tant que bienfaiteur et protecteur, n'hésite pas à lui offrir deux splendides hôtels particuliers, l'un au no 101 rue de Chaillot (16e arrondissement) et l'autre, rue des Bassins (actuelle rue Copernic)[14].
Les années 1865 à 1870 consacrent la période faste et l'apogée de Cora Pearl. Sa fortune s’accroît considérablement et comme la plupart des demi-mondaines, elle dilapide des sommes folles. Au cours de cette période, elle achète plus de soixante chevaux et dépense même pour l'un d'entre eux la somme de 90 000 francs. Elle justifie son appât du gain uniquement pour assurer le même train de vie imposé par la fréquentation des hommes les plus riches et les plus influents de l'Empire. La réussite des puissants se voyait dans la magnificence de leurs maîtresses. Cora Pearl se produit au théâtre des Bouffes-Parisiens, dans une production de 1867 d'Orphée aux Enfers, de Jacques Offenbach. Elle a hérité d'assez de talent musical pour interpréter le rôle de Cupidon et apparaît sur scène seulement vêtue de ses diamants. Chaque soir, un diamant tombe et roule, jamais elle ne le ramasse : c'est le pourboire des machinistes[15]. Elle plaisait à l'empereur et on l'avait vue à ses côtés au bois, dans sa calèche[15].
La guerre franco-allemande éclate le 19 juillet 1870. Cora Pearl est présente au moment du siège de Paris. Elle transforme son hôtel rue de Chaillot en hôpital et s'improvise infirmière. L'effondrement de l'Empire amorce le déclin de Cora Pearl. Elle finit par quitter Paris et rentre finalement en Angleterre. Elle revient en France en 1871, au moment de la Commune. Cora Pearl est dans une situation précaire. Ce qui restait de sa fortune a financé la modification de son hôtel particulier en hôpital et elle se retrouve sans protecteur depuis son retour à Paris.
L'affaire Duval
En 1872, Cora Pearl rencontre Alexandre Duval, riche entrepreneur. Son père, Adolphe-Baptiste Duval (1811-1870), avait fait fortune en ouvrant à Paris, les Bouillons Duval, une chaîne de restaurants à bon marché. À la mort de son père en 1870, Alexandre Duval est à la tête de douze restaurants dans la capitale. Alexandre, qui est âgé de vingt-cinq ans, devient l'amant de Cora qui en a alors trente-sept. Alexandre Duval possède une fortune personnelle en plus de son héritage familial. Cora Pearl ne met cependant pas longtemps à ruiner le jeune restaurateur.
Duval paye l'entretien de son hôtel rue de Chaillot et d'une maison de campagne à Maisons-Laffitte[16]. Il lui offre également des cadeaux : voitures, attelages et même un livre composé de cent billets de 1 000 francs reliés[17]. Il contracte des dettes exorbitantes. Inexorablement, les finances viennent à manquer et la famille d'Alexandre décide de lui couper les vivres.
Cette nouvelle situation n'arrange pas les affaires de Cora qui, sans le moindre remords, met un terme à leur liaison et refuse de revoir Alexandre. Désespéré, Alexandre réussit à forcer la porte de Cora le 19 décembre 1872, malgré l'opposition des domestiques. Armé d'un révolver, il se dirige vers la chambre de Cora dont il suppose qu'elle se trouve avec un autre homme. Alexandre tire une première fois et ne blesse personne. Face à son échec, il retourne alors l'arme contre lui et se tire une balle dans le côté[18] devant sa maîtresse. La tentative de suicide échoue, la blessure n'est pas mortelle. Cette histoire inspirera à Émile Zola, la tentative de suicide de Georges Hugon dans son roman, Nana.
Les conséquences de ce fait divers tragique ne se font pas attendre. Les autorités ordonnent l'expulsion du territoire de Cora Pearl. Deux jours après le drame, elle reçoit la visite d'un commissaire de police qui lui intime l'ordre de quitter la France sans délai. Cora loge d'abord chez une amie à Monte-Carlo, puis part pour Nice et enfin, Milan.
Son expatriation est de courte durée mais sa réputation ne se remet pas de cette frasque trop publique. Ses meubles et effets mobiliers de son hôtel rue de Chaillot sont saisis à la demande de ses créanciers[17]. Cora Pearl porte plainte et reprend possession de ses biens dès 1873. Elle vend néanmoins sa propriété de Maisons-Laffitte dont le dernier visiteur n'est autre que le prince Napoléon, qui passe la nuit avec elle[17].
Les dernières années
Cora Pearl réussit à revenir à Paris, après son exil forcé et reprend les activités de ses débuts, la prostitution. Elle ne retrouvera jamais plus sa position dans la haute société et son existence de luxe. Cora met en vente à Drouot toute son argenterie en 1877, afin de s'acquitter de ses dettes. Elle se sépare également de son château de Beauséjour en 1885, déjà fortement hypothéqué.
Peu de temps après la publication de ses mémoires, Cora Pearl tombe gravement malade d'un cancer à l'estomac. En avril 1886, elle inaugure une nouvelle publication, Les Femmes du jour. Elle meurt en partie oubliée, au premier étage de son domicile parisien au 8 rue de Bassano dans le 16e arrondissement, le 8 juillet 1886[19].
Elle est inhumée dans une concession temporaire de cinq ans au cimetière des Batignolles[20]. Trois mois plus tard, le reste de ses biens, lingerie, draps de lit, son unique collier de perles, son portrait à cheval peint par Lansac, une cravache, une tenue d'amazone, sa bibliothèque de quatre-vingts livres et plusieurs perruques blondes, sont mis aux enchères.
« Je n'ai jamais trompé personne, car je n'ai jamais été à personne. Mon indépendance fut toute ma fortune : je n'ai pas connu d'autre bonheur. »
— Cora Pearl, citation extraite de ses Mémoires, 1886.
Gabrielle Houbre (dir.), Collectif écrivains, universitaires et Bruno Fuligni (dir.) (préf. Michel Gaudin, préfet de police), Dans les secrets de la police. Quatre siècles d'histoire de crimes et de faits divers : dans les archives de la préfecture de police, Paris, Éditions de l'Iconoclaste, coll. « Mémoires », (1re éd. 16 octobre 2008), 336 p., 32 cm × 26 cm (ISBN978-2-91336-650-3, présentation en ligne), « Courtisanes sous surveillance », p. 74 à 81.[21]
Virginia Rounding (dir.) (trad. Béatrice Dunner), Les Grandes Horizontales : Vies et Légendes de quatre courtisanes du XIXe siècle, Paris, Éditions du Rocher, coll. « Anatolia », , 374 p. (ISBN978-2-26805-520-6, lire en ligne).
Michel Cabaud (dir.) (préf. Sébastien Loste), Paris et les parisiens sous le Second Empire, Paris, Éditions Belfond, , 322 p. (ISBN978-2-71441-523-3), p. 177.
(en) Wilfred Herbert Holden (dir.), The Pearl from Plymouth : Eliza Emma Crouch, alias Cora Pearl, with notes on some of her celebrated contemporaries, Londres, Angleterre, Éditions British Technical and General Press, (1re éd. 1950), 176 p. (lire en ligne).
↑L'auteure Joanna Richardson précise l'anecdote dans son ouvrage, Les Courtisanes[12], que Cora Pearl est connue pour surprendre ses invités et conçoit des animations d'une théâtralité surprenante. Au cours d'une soirée, elle met au défi ses hôtes que le plat suivant ne sera jamais découpé. Elle s'absente quelques instants et revient sur un plateau d’argent porté par quatre domestiques, complètement nue et entourée d'une garniture de persil. Cora Pearl emporte son enjeu sans difficulté… à la grande satisfaction de ses convives.
Références
↑(en) Western Times, « Births », Western Times, Exeter, Devon, Angleterre, Imprimeur T. Latimer, vol. IX, no 473, , p. 3 (lire en ligne).
↑(en) Wilfred Herbert Holden (dir.), The Pearl from Plymouth : Eliza Emma Crouch, alias Cora Pearl, with notes on some of her celebrated contemporaries, Londres, Angleterre, Éditions British Technical and General Press, (1re éd. 1950), 176 p. (lire en ligne).
↑Éliza Emma Crouch, registre des baptêmes (1837-1838) de la paroisse de Saint Andrew à Plymouth, dans le comté de Devon : « England, Devon, Parish Registers, 1538-1912 », database with images, on the site of FamilySearch. Baptêmes, v.358/13, période 1835-1842, microfilm 004634284, image 153 sur 398.
↑Virginia Rounding (dir.) (trad. Béatrice Dunner), Les Grandes Horizontales : Vies et Légendes de quatre courtisanes du XIXe siècle, Paris, Éditions du Rocher, coll. « Anatolia », , 374 p. (ISBN978-2-26805-520-6), chap. 10 (« La belle Anglaise du Second Empire »), p. 220.
↑(en) London Evening Standard, « Police : Case of desertion », London Evening Standard, Londres, Angleterre, , p. 4 (lire en ligne).
↑ a et bGabrielle Houbre (dir.) (préf. Michel Gaudin, Préfet de police), Dans les secrets de la police. Quatre siècles d'histoire de crimes et de faits divers : dans les archives de la préfecture de police, Paris, Éditions L'Iconoclaste, coll. « Mémoires », (1re éd. 16 octobre 2008), 336 p., 32 cm × 26 cm (ISBN978-2-91336-650-3), « Courtisanes sous surveillance », p. 74 à 81.
↑Virginia Rounding (dir.) (trad. Béatrice Dunner), Les Grandes Horizontales : Vies et Légendes de quatre courtisanes du XIXe siècle, Paris, Éditions du Rocher, coll. « Anatolia », , 374 p. (ISBN978-2-26805-520-6), chap. 11 (« L'art de se mettre en scène »), p. 262.
↑Claude Blanchard (dir.) (photogr. René Coursaget), Dames de cœur : Dix-sept des premières photographies du monde, Paris, Éditions du Pré aux Clercs, , 176 p., p. 26.
↑Cora Pearl sur le site de Napoléon III : « Les demi-mondaines », sur napoleontrois.fr.
↑Virginia Rounding (dir.) (trad. Béatrice Dunner), Les Grandes Horizontales : Vies et Légendes de quatre courtisanes du XIXe siècle, Paris, Éditions du Rocher, coll. « Anatolia », , 374 p. (ISBN978-2-26805-520-6), chap. 10 (« La belle Anglaise du Second Empire »), p. 249.
↑ a et bMichel Cabaud (dir.) (préf. Sébastien Loste), Paris et les parisiens sous le Second Empire, Paris, Éditions Belfond, , 322 p. (ISBN978-2-71441-523-3), p. 177.
↑Les faits seront par la suite déformés, notamment l'omission de l'homicide volontaire d'Alexandre Duval et la tentative de suicide par une balle tirée en plein cœur, alors qu'en réalité suivant le rapport de police, la blessure se situe sur le côté. Se reporter à l'ouvrage de Gabrielle Houbre, Le Livre des courtisanes, archives secrètes de la police des mœurs.
↑Archives de Paris : État civil - Acte de décès no 750. Cote du Registre : V4E 7324. Archives de Paris, 18 boulevard Sérurier, 75019 Paris.
↑Cora Pearl est inhumée le 10 juillet 1886. Concession temporaire du cimetière des Batignolles : division no 31, emplacement no 10.
↑À propos de cet ouvrage, consulter les articles du journal Le Monde : Pascale Robert-Diard, « Chroniques judiciaires : Secrets policiers », Le Monde, Paris, (lire en ligne). Isabelle Mandraud, « Dans les secrets de la police. Quatre siècles d'histoire, de crimes et de faits divers dans les archives de la préfecture de police : le panthéon des faits divers », Le Monde, Paris, (lire en ligne).