Le site était déjà fortifié à l'époque Dorienne (-1100). Il a été aménagé par Mausole pour la construction de son palais lorsqu'il fit d'Halicarnasse sa capitale (circa -362). Les Seldjoukides construisirent un fort au XIe siècle.
La construction commença en 1404[2] sous la direction du chevalier-architecte germanique Heinrich Schlegelholt. Les ouvriers se virent garantir une place au paradis par un décret papal de 1409. Les matériaux (en particulier la pierre volcanique verdâtre) utilisés furent pris sur le site du mausolée, dont la destruction avait été achevée par un tremblement de terre au XIVe siècle.
Les premiers murs furent terminés en 1437. La chapelle compte parmi les premières structures terminées (probablement 1406). Elle est constituée d'une nef voûtée et d'une abside. Elle fut reconstruite dans un style gothique par les chevaliers espagnols en 1519-1520. Leurs noms peuvent être trouvés sur deux pierres d'angle de la façade.
Quatorze citernes de récupération d'eau de pluie furent creusées dans le roc sous le château.
Chaque « langue[3] » de l'Ordre avait sa propre tour, la tour des Français étant la plus grande. Chaque langue, dirigée par un bailli, était responsable de la maintenance et de la défense d'une portion spécifique du château, et devait fournir un nombre spécifique de défenseurs. Sept portes permettaient d'accéder à l'intérieur du château. L'architecte a utilisé les dernières connaissances de poliorcétique : les passages menant à ces portes étaient tortueux et à découvert, ce qui permettait aux assiégés d'attaquer sans risque les assaillants. Les chevaliers ont placé sur les murs des centaines de blasons peints ou gravés. Il en reste aujourd'hui 249 : ceux de grands maîtres, des commandants du fort, des pays d'origine des chevaliers, des armoiries personnelles ou des bas-reliefs religieux.
La construction de la tour des anglais fut terminée en 1413. Une porte s'ouvre au nord, à l'intérieur du château, l'autre sur le rempart ouest. Cette tour n'était accessible que via un pont-levis. La façade ouest montre un bas-relief ancien représentant un lion, c'est pourquoi cette tour est parfois nommée la Tour du Lion. Au-dessus de ce bas-relief, on trouve le blason d'Henri IV d'Angleterre.
Pendant plus d'un siècle le château Saint-Pierre resta le second plus important site de l'Ordre. Il a servi de refuge pour tous les chrétiens en Asie mineure.
Le château fut assiégé à la suite du renforcement de l'empire ottoman, tout d'abord après la chute de Constantinople en 1453 et de nouveau en 1480 par Mehmed II. Ces deux attaques furent repoussées.
En 1482 le prince Zizim, fils de Mehmet II et frère de Bajazet II trouve refuge au château, après avoir échoué à fomenter une révolte contre son frère.
En 1494, les chevaliers décidèrent de fortifier encore le château, pour faire face à l'augmentation de puissance de l'artillerie. Ils utilisèrent de nouveau des pierres du mausolée. Les murs faisant face à la terre furent renforcés, ceux dirigés vers la mer l'étant moins car l'ordre possédait une flotte de guerre importante. Le grand maître Fabrizio del Carretto (1513-1521) construisit un bastion arrondi pour renforcer encore la face terrestre du château.
XVIe siècle
Entre 1505 et 1507 les rares sculptures du mausolée qui n'avaient pas été détruites et brûlées pour la chaux sont intégrées aux murs du château. On compte 12 panneaux de l'amazonomachie, un panneau de la centauromachie, quelques lions debout et un léopard courant.
Devant l'imminence d'une attaque de Soliman le Magnifique, Philippe de Villiers de L'Isle-Adam, grand maître de l'Ordre, ordonna qu'on renforce encore les défenses du château. Les derniers restes du mausolée furent utilisés, et dès 1522 quasiment chaque bloc du mausolée avait été réutilisé.
En le sultan attaqua le siège de l'Ordre à Rhodes depuis la baie de Marmaris avec 200 000 soldats. Rhodes tombe en décembre de la même année. Les termes de la reddition incluent la restitution des forteresses de Kos et Bodrum à Soliman. Le château abritera désormais une garnison et servira de prison.
Le nom de Saint-Pierre, Petreum en latin, sera déformé en Bodrum par les Turcs (la lettre « p », en effet, n'existe pas dans l'alphabet ottoman ; elle est rendue par « b »).
Après la reddition, la chapelle sera transformée en mosquée et un minaret sera ajouté. Cette mosquée est appelée Süleymaniye Camii, comme l'atteste Evliya Chelebi, qui visite Bodrum en 1671. À la même époque un hammam est ajouté.
XIXe et XXe siècles
En 1846, Lord Stratford Canning, ambassadeur britannique auprès de la Sublime Porte, obtient l'autorisation d'enlever douze reliefs de marbre, appartenant à l'amazonomachie. Sir Charles Newton conduit des fouilles et enleva un léopard et plusieurs lions en 1856. Ces éléments sont aujourd'hui au British Museum[4].
Dans les années qui suivirent, le château fut utilisé à différents objets. Il fut utilisé comme base militaire par l'armée ottomane durant la révolte grecque de 1824. En 1895, le château est transformé en prison.
Durant la Première Guerre mondiale le château fut bombardé par un croiseur cuirassé français, le Dupleix, qui détruit le minaret et endommage plusieurs tours (). Après la guerre, les italiens stationnent une garnison dans le château, mais se retirent en 1921 quand Mustafa Kemal Atatürk prend le pouvoir.
Le château restera inutilisé pendant 40 ans.
Musée d'archéologie sous-marine
En 1962 le gouvernement turc décide de transformer le château en musée pour les nombreuses découvertes d'épaves de la mer Égée. C'est ce qui deviendra le musée d'archéologie sous-marine de Bodrum[5]. Il abrite une grande collection d'amphores, de verres anciens, de bronzes, de poteries et d'objets en métal. C'est le plus grand musée de ce type consacré à l'archéologie sous-marine. La plupart de ses collections datent de fouilles postérieures à 1960.
Ces fouilles ont été réalisées sur plusieurs épaves :
Finike-Gelidonya (XIIe siècle av. J.-C.) : 1958-1959 ; première fouille sous-marine en Turquie[6], qui montre que les navires marchands du Moyen-Orient ont joué un rôle très important à l'âge du Bronze ;
Bodrum-Yassiada (Byzantin, VIIe siècle) : 1961 - 1964 ; navire marchand romain avec 900 amphores ;
Bodrum-Yassiada (Romain tardif, IVe siècle) ;
Bodrum-Yassiada (Ottoman, XVIe siècle), daté par un réal d'argent de Séville (Philippe II) ;
Seytan Deresi (XVIe siècle) ;
Épave du port de Marmaris-Serçe (verre, XIe siècle) : 1977, étonnante collection de verres islamiques ;
Kaṣ-Uluburun (XIVe siècle av. J.-C.) : 1982 - 1995 ; 10 tonnes de lingots de cuivre chypriote, une tonne de lingots d'étain pur ; 150 lingots de verre ; des pièces manufacturées; des poteries mycéniennes, des sceaux égyptiens (avec un sceau de la reine Néfertiti) et de la joaillerie[7]
Tektaṣ (verre, Ve siècle av. J.-C.) : 1996-2001[8].
L'ancienne chapelle abrite une exposition de vases et d'amphores de l'âge mycénien (XIVe – XIIe siècle av. J.-C.) et de découvertes de l'âge du bronze (autour de ). Le grand nombre d'amphores commerciales donne une vision historique du développement des amphores, et de leurs différents usages[9]
La tour italienne abrite une collection de monnaies et de joaillerie couvrant de nombreux siècles. Une autre pièce d'exposition est consacrée entièrement à la tombe d'une princesse de Carie, morte entre et .
La collection d'objets en verre ancien est l'une des quatre plus importante au monde.
Deux épaves ont été reconstituées, le Fatımi, coulé il y a 935 ans, et le grand Uluburun, du XIVe siècle av. J.-C.
Le jardin abrite une collection de quasiment chaque plante ou arbre de la région méditerranéenne, certains ayant une signification mythologique : la myrthe était dédicacée à Aphrodite ; l'ombre du Platane d'Orient état recherchée car elle était supposée renforcer la santé.
Le château héberge également le siège de l'Institut d'archéologie sous-marine.
Notes et références
↑(en) UNESCO World Heritage Centre, « The Bodrum Castle », sur whc.unesco.org (consulté le )
↑Bodream ou rêve de Bodrum, Jean-Pierre Thiollet, Anagramme Ed., 2010, p.13 et p. 90
↑(en) George F. Bass, Peter Throckmorton, Joan Du Plat Taylor, J. B. Hennessy, Alan R. Shulman et Hans-Gunter Buchholz, « Cape Gelidonya: A Bronze Age Shipwreck », Transactions of the American Philosophical Society, vol. 57, no 8, , p. 1-177 (lire en ligne)
↑(en) « The Uluburun shipwreck (in Res Maritimae: Cyprus and Eastern Mediterranean from Prehistory to Late Antiquity) », Cyprus American Research Institute Monograph Series, vol. 1, , p. 233–262
Frances Linzee Gordon (trad. de l'anglais), Turquie, Paris, Lonely Planet, , 700 p. (ISBN978-2-84070-651-9)
Jean-Bernard de Vaivre, « Le château Saint-Pierre et ses campagnes de construction », dans Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, 2010, no 89, p. 69-135(lire en ligne)